Il ritorno d'Ulisse in patria - C. Monteverdi

Il ritorno d'Ulisse in patria - C. Monteverdi ©
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Un Retour très inégal

1641. C'est l'année de création d'Il Ritorno d'Ulisse in patria à Venise. C'est aussi l'époque à laquelle l'opéra sort des cours princières et des salons des palais pour aller à la rencontre d'un « vrai » public. Ce qui est le cas d'Il Ritorno créé dans un théâtre privé, le San Cassiano, premier théâtre privé de Venise, ouvert quatre ans plus tôt.

L'attribution de la partition incomplète à Monteverdi a autrefois fait débat, même si aujourd'hui, comme le rappelle Emmanuelle Haïm, on penche pour une œuvre collective pilotée par Monteverdi. Ce qui est certain, c'est que le caractère incomplet de la partition laisse une grande latitude à la direction musicale. Et on est en premier lieu surpris par l'importance relative de la basse continue qui compte presque autant d'interprètes que l'orchestre aux dimensions modestes. Avec ces effectifs, Emmanuelle Haïm déroule sur trois heures un ruissellement accompli, si typique de la musique de Monteverdi, mais somme toute assez peu coloré, comme si les exploits guerriers et l'héroïque retour d'Ulysse étaient moins le propos de l'œuvre que la longue et désespérante attente de Pénélope. Cette interprétation est à la fois raffinée, somptueuse et austère.

La mise en scène de Mariame Clément s'articule également autour de Pénélope qui devient pivot de l'action. Mais si la direction d'acteurs est remarquable, fouillée et attentive à tous les rôles, la foisonnante mise en scène de Mariame Clément, qui est très agréable à l'œil, finit par tourner à un grand fourre-tout dans lequel le spectateur se perd et qui ne présente guère d'intérêt. Ce « jusqu'au boutisme » nuit ainsi à de belles idées : Ulysse retourne son arc contre les cieux : pourquoi faut il ensuite faire mourir les dieux de l'Olympe dans une scène assez grotesque ? Si le rideau de scène qui fait ondoyer une mer paisible est superbe, à quoi rime la diversité des costumes : Ulysse en personnage d'héroic fantasy, Pénélope en robe d'intérieur année 30, Télémaque en jeans, Iro en touriste, la nourrice en costume médiéval... Et, de même que le bar de l'Olympe dans lequel s'ennuient et picolent les dieux est une belle idée, on persiste à se demander pourquoi Minerve fille un peu vulgaire sur l'Olympe devient si fidèle, en chiton, à sa représentation traditionnelle lorsqu'elle vient sur Terre. En somme un travail riche, plutôt agréable à l'œil mais qui manque de colonne vertébrale, qui est trop décousu pour contribuer efficacement à une lecture réinventée d'une œuvre musicalement très aboutie.

Tête d’affiche de cette production, Rolando Villazon en est la plus grande déception. La présence scénique et l'engagement théâtral sont toujours impressionnants mais ce qui faisait le charme indicible de cette voix à quasi disparu, malgré le recours à une technique robuste : la voix est fatiguée, en tension constante, les aigus forcés systématiquement, le timbre manque cruellement d'homogénéité et les problèmes de justesse sont nombreux. Toutefois, le grave barytonnant est souvent beau et il réussit à porter une émotion palpable dans le duo avec Eumée à l'acte II et dans le duo avec Pénélope au final du troisième. Face à lui, la Pénélope de Magdalena Kozena n'était pas non plus en grande forme. La voix semblait plate et retenue, peu colorée, même si la technique est irréprochable et si les récitatifs sont particulièrement enlevés.

La superbe surprise de cette production est offerte par les interprètes des personnages secondaires qui sont un vrai bonheur. Tous sont stylistiquement irréprochables.

Particulièrement remarquable est la Minerve de Anne Catherine Gillet. La voix est pure et d'une grande agilité, le jeu pétille et chacune de ses interventions dynamise le plateau. De même l'Eumée de Kresimir Spicer rayonne à chacune de ses apparitions, servi par un timbre chaud et une voix douce et puissante. De même le Télémaque nonchalant de Mathias Vidal est une réussite : la voix est claire, sa très belle diction sert à merveille les intentions, et les nuances dont il est capable sont superbes. On est impressionné par les graves abyssaux de Callum Thorens qui compose un très inquiétant prétendant, et dont le chant élégant ajoute au cynisme du personnage. Moins profond dans le grave, Jean Teitgen compose un Neptune trivial et revanchard à souhait qui met en évidence un beau timbre corsé et homogène. Emiliano Gonzalez Toro est un Eurymaque séducteur et séduisant, timbre chaleureux, grande agilité et belle projection, avec des effets sinueux dans la voix qui m'ont ravi. Si son amante, la Mélantho d'Isabelle Druet m'a semblé vocalement un peu plus en retrait, tout comme le Jupiter de Lothar Odinius, Katherine Watson est une Junon de grand luxe. De son côté, le contre-ténor Martens Engeltjes sert Pisandre avec autorité, à l'aide d'une voix très bien projetée et à la belle musicalité. Enfin le Irus de Jörg Schneider est ridicule et truculent à souhait, sans que ni la voix ni l'interprétation ne se laissent aller à la moindre vulgarité. La longueur de souffle dans son solo de l'acte III est impressionnante. Enfin les courtes interventions d'Elodie Méchain en Euryclée ont toutes été réussies, à l'aide d'un très beau contralto qui s'appuie sur un bas médium de grande beauté.

Les spectateurs ont réservé de chaleureux applaudissements à ce spectacle dont l'intérêt réside dans la belle direction d'Emmanuelle Haïm et, surtout, dans la remarquable distribution des personnages secondaires qui font passer rapidement ces trois heures de musique.



Publié le 13 mars 2017 par Jean-Luc Izard