Les Noces de Figaro - Mozart

Les Noces de Figaro - Mozart ©Vincent Pontet
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Une mise en scène à contresens

Mettre en musique la pièce de Beaumarchais était évidemment un projet très sulfureux dans la Vienne de Joseph II. D’où, probablement, le choix par Mozart et Da Ponte de la forme buffa, façon de prendre de la distance avec le contenu révolutionnaire de la pièce et d’amadouer la censure. La création au Burgtheater le 1er mai 1786 fut un véritable triomphe, qui vit bisser presque tous les airs et Les Noces seront reprises rapidement dans toute l’Europe.

Réussir une production des Noces, c’est donc, de mon point de vue, mettre en avant la dimension subversive de l’œuvre dans un contexte comico-érotique et, bien entendu, laisser vivre la musique de Mozart. Autant dire d’emblée que cette production des Noces ne répond pas, mais alors pas du tout, à ces critères.

Netia Jones déroule une mise en scène qui est un contresens absolu. Sa lecture de l’œuvre est étriquée et stérile : aux questionnements sur l’amour, le couple, la fidélité, la jalousie, les tentations charnelles, le pardon amoureux, etc. – qui demeurent encore aujourd’hui, intemporels – elle substitue une grille centrée sur les abus sexuels et le sexisme. Pourquoi pas mais à condition que le propos soit structuré et convaincant. Et ce ne sont pas quelques projections de tracts contre le harcèlement sexuel ou l’allusion lourdaude à un viol de Barberine qui suffisent à structurer un discours scénique creux. La sympathie portée au rôle de Cherubino, qui est somme toute un affreux pervers en devenir, contredit d’ailleurs terriblement le discours féministe…. Tout ceci est fort creux. La structure de mise en abyme, théâtre dans le théâtre, n’est utilisée que pour poser les personnages et n’est pas exploitée dans le déroulement de l’action. La scène découpée en trois espaces nuit à la projection des voix et à la vision des spectateurs. Enfin, la direction d’acteurs est faible, ignorant certains rôles (Figaro notamment, si, si…), se limitant à quelques déplacements et à de nombreux effeuillages (successivement Suzanne, Figaro, la Comtesse, le Comte, Cherubino et Bartolo finiront en sous-vêtements...), sans parler de la masturbation de Cherubino pendant le Voi che sapete.

Côté musical, Gustavo Dudamel ne convainc pas. Quelques élans mozartiens flamboyants succèdent à des moments de pesant ennui, aux tempi alanguis et aux sonorités terriblement XIXe siècle finissant …

Reste la distribution. Luca Pisaroni est un excellent Figaro, qui parvient à faire passer l’insolence du personnage et à lui redonner sa place centrale, en dépit de la mise en scène qui l’ignore totalement. La voix est belle, sonore, la diction est remarquable et l’incarnation est très réussie, malgré quelques faiblesses dans l’aigu. La Susanna de Ying Fang est aussi une très belle réussite : voix claire, bien projetée, ironique à souhait, et sensuelle quand il le faut comme dans son Deh, vieni, non tardar qui est totalement subjuguant.

Le comte de Peter Mattei est superbe : mordant, acide, jaloux, jouisseur, aucun des aspects du personnage n’échappe à ce grand chanteur dont la voix survole la partition et le plateau. C’est beaucoup plus difficile pour Maria Bengtsson dont la Comtesse manque considérablement de projection (la rendant inaudible dans les ensembles), d’autorité et d’aisance. Porgi, amor est ainsi comme étouffé dans le souffle et si Dove sono est un peu plus libéré, le chant est trop appliqué pour donner sens aux vocalises et se perd dans un alanguissement mélancolique et complaisant qui s’éloigne trop de Mozart.

Le Cherubino de Léa Desandre est intéressant dans son aisance physique et vocale. Certes, la voix ne déploie pas des moyens gigantesques mais trouve bien sa place dans l’espace de Garnier et le style est irréprochable, même si la nuance manque un peu parfois. On est tenté de penser qu’une autre direction d’acteurs aurait permis de colorer davantage le personnage. Les autres interprètes tiennent leur rang avec énergie et efficacité, avec une mention spéciale pour l’excellent jardinier de Marc Labonnette et la remarquable Barberine de Kseniia Proshina probablement promise à un bel avenir lyrique.

Au total, une soirée inégale et bien décevante.



Publié le 14 févr. 2022 par Jean-Luc Izard