Orfeo - Monterverdi

Orfeo - Monterverdi ©Gilles Abegg - Opéra de Dijon
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Mauillon, un Orfeo idéal

Composée en 1607 par Claudio Monteverdi, cette fable en musique marque les prémices de ce qui deviendra par la suite le Dramma per musica (le drame en musique). Dans sa mise en scène, Yves Lenoir fait toutefois résolument le choix d'une autre époque, et nous place dans un appartement new-yorkais, dans les années 70. Durant une fête où alcool et drogue abondent, Orfeo sera assailli de toutes les émotions possibles, tandis que les autres personnages resteront jusqu’au bout dans l’esprit de la fête et de la débauche. Au milieu de cette ambiance festive et presque glauque, de la fumée de cigarette et de cigare, prennent place des scènes à connotation sexuelle particulièrement explicites : une « orgie » sur le lit de la chambre, Proserpine qui incite Pluton à rendre Eurydice à Orfeo en lui faisant l’amour. Mais ces passages sont réglés avec prudence et intelligence, même si l’on peut se questionner sur leur nécessité. On peut aussi noter que les situations les plus scabreuses semblent parfaitement assumées par les artistes, qui s'y prêtent avec un grand naturel. Globalement la transposition est donc plutôt réussie, chaque élément du livret y retrouve sa place.

Les lumières de Victor Egéa étaient tout à fait appropriées, nous plongeant dans l’intimité de cette chambre : un néon au-dessus du lit ainsi qu’une lumière naturelle arrivant par les fenêtre nous entraînent dans la fête. Les effets accompagnent la progression de l'action : la salle s’éclaire pour suggérer la remonter d’Orfeo dans le monde réel, puis s’éteint lorsqu’il perd sa bien-aimée. Ces différents éléments, mêlés aux chorégraphies élaborées et énergiques d’Emilie Bregougnon, concourent à un Orfeo très rythmé, dynamique, et prenant.

Les chanteurs et le chœur s'impliquent physiquement dans cette production, malgré la difficulté inhérente à se mouvoir en chantant : le chœur danse en rythme, Orfeo se trémousse telle une rockstar durant ses airs, sans rien gâcher à la qualité de la musique et du chant.

Emmanuelle de Negri ouvre la fable avec une Musica en garçon manqué et désinvolte ; sa voix agréable affiche une belle douceur dans les aigus. La Ninfa de Capucine Keller était correcte, malgré une projection un peu limitée. Et Marine Chagnon (Euridyce) nous a fait regretter que ses interventions soient aussi succinctes. Eva Zaïcik incarne une Messagère particulièrement dramatique, portant les émotions d’une manière des plus bouleversantes, et avec une voix parfaitement appropriée, à la diction claire et fluide. Torturée par son unique mission d'annoncer l'horrible nouvelle, elle ingurgitera une forte dose de médicaments, puis s’enfermera dans l’armoire de la chambre pour y mourir.

Malgré son talent habituel et un travestissement tout à fait réussi, Kangmin Justin Kim ne nous a pas convaincu dans le rôle de la Speranza : le vibrato nous a semblé trop présent pour ce répertoire, et les ornements peu précis. Renaud Delaigue incarna de sa stature un Caron tout à fait imposant et intéressant, dealer endormi par Orfeo à l’aide d’une seringue. Le duo Pluton / Proserpine s'est mué sous nos yeux en une scène très « hot ». Mais la difficulté supplémentaire des mouvements n'a nullement pénalisé cet ensemble éclatant, dû à un Frédéric Caton à la voix profonde mais malicieuse, et à une Claire Lefilliâtre aux attaques franches et aux aigus clairs.

Cette fable en musique se termine sur l’arrivée d’Apollon. Sous ses traits Tomas Kràl nous a offert une fin digne de ce nom, grâce à une voix maîtrisée et douce, remplie de la bienveillance paternelle pour emmener son fils aux cieux. Notons également ses magnifiques vocalises, qui furent pour nous les plus convaincantes de cette soirée.

Surtout Marc Mauillon nous a gratifié d’un Orfeo impressionnant, hors pair. Sa prestation vocale est irréprochable : voix légère et puissante, timbre doux à faire flancher les cœurs, magnifiques ornements. Sa prestation d'acteur est à la hauteur : il incarne à merveille son personnage, nous montrant le tourment dans lequel il vit dès le premier acte, exprimant chaque émotion – colère, joie, déception, chagrin – de manière intense et convaincante. Nous ressentons une empathie constante pour son personnage. Ajoutons-y aussi son excellent jeu de danseur, avec une énergie à revendre, et sa forte présence scénique dans les moments les plus sombres ; il incarne à nos yeux un Orfeo idéal.

Le chœur est bien homogène, il participe pleinement et aisément aux nombreuses chorégraphies en compagnie des trois excellents danseurs. Sous la direction d’Etienne Meyer, l’orchestre des Traversées baroques sonne particulièrement bien. Dès la fameuse toccata des cuivres d'une justesse irréprochable résonnent magnifiquement depuis les loges de l’avant-scène. La direction très rythmée, énergique, fait écho avec bonheur à l'univers du « pop-rock » suggéré par le metteur en scène. Elle s'appuie sur un brillant continuo confié à cinq artistes, qui se partagent orgue, clavecin, théorbe, archiluth, guitare baroque, tiorbino, régale (petit orgue donc le son particulier est utilisé dans les Enfers). Dans cet ensemble soulignons tout particulièrement la harpe d’Angélique Mauillon, dont le merveilleux son accompagne une fois de plus Orfeo (voir notre chronique: Li Due Orfei). Certains pourraient regretter une métrique trop présente, mais elle était certainement indispensable pour ordonnancer la subtile complexité des déplacements et des chorégraphies.

Le public a comme nous largement apprécié la qualité de cette production, malgré l’audace de sa transposition, récompensant les artistes par de chaleureux applaudissements à l’issue de cette première !



Publié le 07 oct. 2016 par Hippolyte Darissi