Poésie de l’air - Haydn

Poésie de l’air - Haydn ©Consone Quartet
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L'éloquence du premier violon

Depuis 2014, le Festival d’Ambronay accompagne les jeunes ensembles dans le cadre d’un partenariat avec sept autres institutions musicales européennes : eeemerging (Ensembles Européens Emergents). Formé en 2012 au Royal College of Music de Londres, le Consone Quartet se dédie au répertoire classique et romantique sur instruments anciens ou modernes. Pour la seconde année, il bénéficie de l’accompagnement eeemerging, revenant tout juste d’une résidence au Festival Haendel de Göttingen. Pour le concert de cette après-midi, le quatuor propose un programme d’œuvres inspirées par la poésie du chant.

Joseph Haydn (1732-1809) compose en 1788 un cycle de quatuors qu’il dédie au violoniste Johann Tost, membre de l’orchestre Esterhazy. Le recueil est publié en deux opus 54 et 55 en 1791. Le deuxième quatuor de l’opus 54, en do majeur, est particulièrement représentatif des caractéristiques de ce cycle « très public et très expérimental » (Marc Vignal, Guide de la musique de chambre, Fayard, Paris 1998, p.401). La virtuosité et l’éloquence du premier violon s’y démontre sur des accompagnements dramatiques voire douloureux.

Dès l’exposition du premier thème, le Consone Quartet fait entendre un son rond et sonore. Bienvenu dans le premier mouvement, il empêche le premier violon Agata Daraskaite d’exprimer librement toute sa partie, en véritable soliste. Elle doit alors lutter contre un trio aux belles intentions et belles couleurs mais envahissant ; elle force le son en enfonçant son archet dans la corde et le rapprochant du chevalet, d’où parfois – heureusement rarement – quelques sons parasites. Il aurait été sans doute possible de laisser au trio le son rond et plus chaleureux et, pour ces parties mélodique du violon I, privilégier un son plus clair et brillant. L’accompagnement du violon II Magdalena Loth-Hill et de l’altiste Elitsa Bogdanova devient encore plus envahissant dans le menuet, ne créant alors pas une ambiance feutrée propice à la mise en valeur des couleurs harmoniques, certes très formelles dans ce mouvement. Dans le mouvement final, le violoncelliste George Ross se montre un bon moteur, comme le doit être tout bon violoncelliste de quatuor, mais ces intentions musicales – certes belles, justifiées et visibles – semblent un peu vécues seul, malgré les regards de sa très attentive voisine Elitsa Bogdanova. La fin de l’œuvre est surprenante, comme l’aime son compositeur : l’adagio initial est de nouveau exposé et clôt le quatuor. Le public, trompé, n’ose applaudir une fin qui n’en avait pas l’air. Peut-être le jeune quatuor aurait-il pu le faire comprendre dans leur lever d’archet, après la note finale ?

Semblant un rien impressionné de parler en public, le violoncelliste anglais George Ross sort de sa poche un petit papier pour présenter brièvement (en français !) son ensemble et le programme du concert.

En 1824, Franz Schubert (1797-1828), malade, veut créer une œuvre qui lui restera, émancipée de l’héritage de Ludwig van Beethoven (1770-1827), qu’il admirait. C’est ainsi qu’il créa son Quatuor en ré mineur La Jeune fille et la Mort et son Quatuor n°13 en la mineur Rosamunde. Ce dernier, dédié au violoniste Ignaz Schuppanzigh, fut le seul achevé, édité et créé publiquement du vivant du compositeur, celui-ci ne portant que peu d’intérêt aux fins – ou peut-être en avait-il peur ? Dans ce treizième quatuor, Schubert se nourrit d’œuvres antérieures : l’accompagnement du violon II du premier mouvement Allegro ma non tropppo rappelle celui du piano dans Gretchen am Spinnrade (Marguerite au rouet, 1814) ; le thème du deuxième mouvement Andante est celui de l’entracte de l’acte III de la musique de scène de Rosamunde (1823), d’où le surnom du quatuor ; celui du menuet s’inspire du lied Die Götter Grichenlands (Les Dieux de la Grèce, 1819).

Dans le premier mouvement, cet accompagnement aux ondulations aquatiques est très proprement exécuté par la violoniste Magdalena Loth-Hill, mais reste toujours trop présente, ne permettant pas la surprise du contraste de l’exposition du second thème. Le violon I Agata Daraskaite, jouant constamment avec la moitié du crin de son archet, doit toujours forcer pour illuminer le son de son instrument, se rapprochant alors du chevalet, d’où un son manquant un peu de timbre et de plénitude. Trop souvent, malgré son agilité, la violoniste démontre des extrêmes aigus incertains. La partie centrale agitée est proprement interprétée, particulièrement par l’alto et le violoncelle. Dans cette même partie, le dialogue des violons est tout aussi bien fait, bien que là, le violon II aurait pu être plus présent, voire plus soliste comme le violon I. Il est dommage de remarquer des contre-archets flagrants entre le violon II et l’alto, que leurs phrases respectives ne semblent pas justifier. Le travail de justesse en quatuor – qui demande une grande minutie, n’étant que relative – est patent, particulièrement dans l’Andante. Il est cependant curieux d’entendre systématiquement dans le thème du violon I le glissé du quatrième doigt. Dans les deux derniers mouvements, le quatuor, au son homogène, propose de belles couleurs, toujours un peu perturbées par la force de jeu du violon I qui lutte pour faire dominer sa partie quasi soliste et virtuose.

Le quatuor fut fort applaudi, saluant une belle interprétation d’œuvres difficiles techniquement et musicalement. Les intentions de phrasés étaient assurément belles et ressenties ; cependant, la vision globale des œuvres ne semble pas été profondément étudiée, encore moins transmise. C’est particulièrement le cas pour le Quatuor n°13, véritablement plongé dans le monde du lied, œuvre chère à Schubert, tant dans sa vie musicale que personnelle.



Publié le 25 sept. 2017 par Emmanuel Deroeux