Radamisto - Haendel

Radamisto - Haendel ©Théâtre des Champs-Elysées
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Un opéra pour la Cour

La composition de Radamisto revêtait un enjeu particulier puisqu’il s’agissait d’inaugurer la toute nouvelle entreprise commerciale aristocratique qu’était la Royal Academy of Music. Mais, en raison de difficultés de dernière minute, c’est une œuvre de Giovanni Porta qui ouvrit cette saison. Radamisto fut créé le 27 avril 1720, devant la Cour au grand complet, avec des chanteurs illustres qu’Haendel était allé engager sur le continent : Margherita Durastanti (Radamisto), Ann Turner Robinson (Polissena), Caterina Galerati (Tigrane), Benedetto Baldassari (Fraarte), Anastasia Robinson (Zenobia), Alexander Gordon (Tiridate), Lagarde (Farasmane). Rencontrant un grand succès, la partition fut publiée dans la foulée et une deuxième version fut créée fin décembre 1720 avec Senesino (Radmisto) et la basse Boschi (Tiridate).

L’œuvre fut jouée à Hambourg en 1721, et reprise à Londres également en 1721 puis en 1728. Puis ce fut l’oubli jusqu’au milieu des années 1980, à l’exception d’une représentation en 1927.

Le livret est un peu plus sobre que la plupart des opera seria : Farasmane, roi de Thrace, a marié son fils Radamisto à la princesse Zénobie et sa fille Polissena au roi d’Arménie, Tiridate. Ce dernier, épris de Zénobie, déclare la guerre à Farasmane. Il s’empare de la capitale thrace et Radamisto et Zénobie sont contraints de fuir, par un souterrain, jusqu’aux rives du fleuve. La princesse, plutôt que de tomber vivante aux mains de l’ennemi, préfère se jeter à l’eau, suivie de son mari, qui veut mourir avec elle. Mais ils sont sauvés par les soldats de Tiridate. Tandis que Zénobie est amenée au roi arménien, Radamisto trouve de l’aide auprès de Tigrane, général arménien. Il s’introduit dans le palais vêtu en esclave et se fait reconnaître de Zénobie. Il tente de tuer Tiridate mais il est découvert et jeté en prison, avec Zénobie. Ils seront sauvés par une rébellion déclenchée par Tigrane. Vaincu, Tiridate se réfugie auprès de Polissena. Radamisto renonce à se venger et c’est le happy end final.

Cette représentation en version de concert m’a laissé une impression très contrastée et, pour tout dire, m’a semblé un peu décevante. Dans toute la première partie (ouverture et acte I), Il Pomo d’Oro sonne un peu terne, les attaques sont timides et les tempi choisis par Francesco Corti sont excessivement lents, nuisant à la ligne mélodique et mettant les chanteurs en difficulté, notamment pour vocaliser. On retrouvera un peu plus des caractéristiques de vivacité, d’énergie, de richesse des couleurs et de précision d’Il Pomo d’Oro au II, pour finir par un magistral acte III.

Philippe Jaroussky m’a semblé en difficulté pendant la presque totalité de la représentation présentant une émission pincée et un medium souvent très voilé, ce qui le gêne considérablement, notamment dans les récitatifs. Ses ennuis ont toutefois semblé s’atténuer au III au cours duquel il délivre un magistral Quel nave smarrita, superbement accompagné au théorbe.

Marie-Nicole Lemieux persiste dans son agaçante propension à faire du Lemieux. Avec ses moyens vocaux impressionnants, son timbre exceptionnel, ses remarquables qualités d’actrice, ses fautes de goût qui poussent Haendel vers le romantisme le plus échevelé et le vérisme en sont d’autant plus horripilantes qu’elle peut atteindre au sublime quand elle maîtrise son chant, comme ce fut le cas ce soir à plusieurs reprises, notamment dans Quando mai spietata sorte (et son superbe hautbois) et Eggio dunque au III.

Du trio central, c’est Emöke Barath qui est, de loin, la plus convaincante. Si le rôle est peu développé au-delà de l’acte I, la soprano lui donne un relief tragique tout à fait saisissant. La voix a considérablement gagné en épaisseur, en projection et le timbre est simplement superbe. La technique vocale est parfaitement maîtrisée dans tous les aspects si engageants de ce bel canto du XVIIIe siècle. Et ce sont des interprétations d’une beauté saisissante, que ce soit dans son air d’entrée (Sommi dei) ou dans le rageur Sposo ingrato du III, dans lequel elle fait assaut de virtuosité avec le violon de Zefira Valova.

Zachary Wilder est également remarquable et impeccable en Tiridate, dont il fait un odieux tyran. La voix est solide et le timbre viril et élégant. Zachary Wilder semble pouvoir plier sa voix aussi bien à ses intentions dramatiques qu’aux exigences de virtuosité de la partition dont il semble se délecter, notamment le Stragi, morti, avec trompette, et Alzo al volo avec cors.

Anna Bonitatibus est un peu moins convaincante en Tigrane. SI le timbre est toujours superbe et la technique belcantiste parfaitement éprouvée, les aigus sont souvent tirés, en limite de justesse. Alicia Amo est une belle découverte, et son soprano rayonnant nous livre une belle composition d’un Fraarte adolescent. Le rôle de Farasmane est assez mal servi par la partition mais Renato Dolcini en tire le meilleur avec un beau timbre de baryton et une diction tout à fait remarquable.



Publié le 14 oct. 2021 par Jean-Luc Izard