Rinaldo HWV 7 - Georg Friedrich Haendel - Christophe Rousset

Rinaldo HWV 7 - Georg Friedrich Haendel - Christophe Rousset ©Halle Roter turm, un chevalier
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Furie terribili


Rinaldo HWV 7, premier opéra de Georg Friedrich Haendel (1685-1759) composé pour Londres en 1711, est l'œuvre d'un compositeur âgé de 26 ans, qui avait déjà derrière lui une impressionnante production musicale. Lors de son séjour de près de quatre ans en Italie, Haendel avait en effet œuvré dans presque tous les domaines, notamment dans la musique religieuse (Nisi Dominus, Dixit Dominus, Salve Regina....), l'oratorio (La Resurrezione), la cantate profane (plus d'une centaine), l'opéra (Agrippina...). Rinaldo est probablement le plus flamboyant des opéras de Haendel. Pour entrer avec éclat sur la scène londonienne, Haendel mobilise de grands moyens : la mise en scène exploite les aspects fantastiques de l'affrontement du chevalier chrétien Rinaldo et la magicienne Armida. On y voit le char d'Armida trainé par deux dragons et les actions de la magicienne sont soulignées par des grondements de tonnerre, des éclairs, des feux d'artifice. Quatre fières trompettes accompagnent les exploits guerriers des protagonistes. La musique y est d'une variété et d'une invention époustouflante. Haendel a largement puisé dans le fond considérable de ses propres œuvres antérieures, notamment ses cantates italiennes. Parmi les passages les plus remarquables, on peut citer : la scène pastorale Augellette, che cantate...au cours de laquelle Almirena et Rinaldo échangent leurs vœux, scène délicieuse, accompagnée par deux flûtes à bec alto, une flûte sopranino dont les arabesques miment des chants d'oiseaux. Un lâcher de mésanges sur scène devait renforcer le pouvoir évocateur de cet épisode. Plus loin Rinaldo se désespère de la perte d'Almirena dans un lamento poignant: Cara sposa...qui rappelle les œuvres religieuses de la période italienne encore toute proche. De part son élaboration thématique très poussée et sa densité, la musique de cet air serait digne des parties les plus dramatiques de l'ordinaire de la messe comme le Qui tollis peccata mundi ou bien le Crucifixus est. L'acte I se termine par un air de Rinaldo, Venti turbini... très virtuose accompagné par un premier violon très entreprenant avec ses bariolages légers et rapides, autre réminiscence italienne. Au deuxième acte, le duetto des deux sirènes, Il vostro maggio apporte une note folklorique et m'évoque par son rythme de sicilienne, certaines musiques populaires d'Italie du Sud. Quoiqu'il en soit, cet épisode est d'une troublante poésie. L'aria d'Almirena, Lascia ch'io pianga, dont la musique provient de l'oratorio Il Trionfo del tempo e del desinganno, deviendra bientôt un des plus célèbres du compositeur. Enfin au troisième acte l'aria de Rinaldo, Vo' far guerra met en jeu un long solo acrobatique de clavecin qui était joué par Haendel lui-même. A noter qu'à la fin de l'opéra, Armida et Argante se convertissent au christianisme ce qui a suscité quelques interrogations.

Vingt ans après, Haendel, dans le cadre de la seconde Royal Academy of Music, décide de redonner Rinaldo. L'opéra sera ainsi représenté le 6 avril 1731 au théâtre royal Haymarket. Du fait de la présence de nouveaux interprètes et notamment du célèbre Francesco Bernardi (1686-1758), dit Il Senesino dans le rôle titre, l'opéra sera profondément remanié. Cette version plus condensée, moins prolixe mais aussi moins spectaculaire que la précédente, est centrée sur les personnages de Rinaldo et Almirena. A noter que le personnage de Goffredo, auparavant confié à une contralto est maintenant chanté par un ténor. De nombreux effets scéniques, les machineries complexes sont supprimés, l'effectif instrumental est plus réduit, les quatre trompettes guerrières et les timbales qui donnaient à l'opéra son accent martial ainsi que le solo de clavecin ont disparu. Toutefois dix huit airs ou duettos de la version de 1711 sont maintenus. Les morceaux supprimés sont remplacées par des arias d'opéras antérieurs : cinq de Lotario, un de Giulio Cesare, un de Partenope, un d'Admeto tandis que deux airs sont nouvellement composés. Au troisième acte, dans un important récitatif accompagné, Rinaldo décrit en temps réel, son combat contre l'engeance de l'enfer et sa victoire quand il tranche de son épée le myrte enchanté d'Armida. En dépit de tous ces changements, cette nouvelle mouture est dramatiquement cohérente et présente une unité plus grande que la première version puisqu'à la fin, Armida et Argante repartent comme ils étaient arrivés, sur un char tiré par un dragon et qu'il n'est plus question de conversion.

C'est Goffredo qui ouvre les hostilités avec la voix du ténor Jason Bridges dont le beau timbre et la projection généreuse ont donné beaucoup de punch à ce personnage. Avec six airs et deux duos, le rôle d'Almirena est important, il a été incarné par Sandrine Piau. Cette dernière a fait montre une fois de plus de l'étendue de son talent. Sa voix d'une ineffable douceur dans la pastorale Augelletti, che cantate..., se montrait plus conquérante dans Quel cor che mi donasti... avec des vocalises très incisives. On l'attendait évidemment dans Lascia ch'io pianga... et on fut submergé par l'émotion, par la pureté de la voix, par la douceur du phrasé et de l'articulation. Lors du da capo, elle enrichit son chant avec des ornements élégants et discrets. Avec huit airs, deux duos et un récitatif accompagné, Xavier Sabata (Rinaldo) se taille la part du lion. Le contre ténor a une voix au timbre relativement sombre qui convient à ce rôle. Il m'a impressionné par son adresse lors des vocalises ultra rapides de l'air avec violon solo obligé Venti, turbini qui clôt l'acte I. Dans l'aria di disperazione Cara sposa..., autre sommet émotionnel de l'opéra, il révéla toute la puissance dramatique de cet air. Eve-Maud Hubeaux (Armida) fait une entrée fracassante avec son aria Furie terribili, indiscutablement un grand moment d'opéra. La mezzo a manifesté un engagement exceptionnel et j'ai été abasourdi par la puissance de ses graves dignes de ceux d'une contralto. Une mise en scène lui aurait permis d'exprimer encore plus intensément son superbe tempérament dramatique. Tomislav Lavoie (le mage chrétien) a un rôle important avec trois airs. Ce contre ténor a une voix que j'ai trouvée très séduisante par sa clarté, sa douceur et son agilité. Christopher Lowrey donna à Argante la majesté qui convient à un roi d'une belle voix bien timbrée de baryton-basse. La sirène chante une des plus belles mélodies de l'opéra, Il vostro maggio, Anastasia Terranova, une soprano rompue aux styles baroque et Renaissance, a donné à cette aria tout son caractère et sa poésie. Santiago Garzon-Arredondo (Araldo) intervient dans des récitatifs d'une voix de ténor bien timbrée.
L'orchestre de chambre de Bâle a donné une fois de plus la preuve de son talent et de son métier. J'ai admiré la précision millimétrée des attaques notamment dans les fugues ou fugatos qui parsèment la partition. Le premier violon a fait montre de son agilité dans les arpèges et bariolages ultrarapides de la sinfonia. Le premier violoncelle joua plusieurs solos avec un son magnifique. La première altiste (Mariana Doughty) accompagna merveilleusement sa consoeur Katya Polin qui lâcha son alto pour enchanter le public avec sa flûte à bec sopranino. Cet orchestre a sonné avec une plénitude admirable dans les tutti orchestraux qui ponctuent l'aria Lascia ch'io pianga. Evidemment tous ces artistes jouent sur instruments d'époque et de nos jours on mesure combien furent futiles les polémiques qui ont proliféré à l'écoute des premiers orchestres jouant dans une optique historiquement informée.

Le public a ainsi assisté à une exécution musicalement impeccable d'une version rarement donnée d'un des plus beaux opéras de Haendel qui mériterait d'être gravée. La direction musicale sobre et inspirée de Christophe Rousset est essentielle dans cette réussite, il insuffla à cette représentation la rigueur sans austérité, l'élégance et l'émotion en y ajoutant une touche française que Haendel, musicien international, aurait probablement appréciée.




Une source de ce texte est l'excellente revue Rinaldo de Wikipedia dont la valeur musicologique est attestée par soixante références : https://en.wikipedia.org/wiki/Rinaldo_(opera)



Publié le 11 juin 2018 par Pierre Benveniste