Les Musiciens de Louis XIV - Paysages en Musique

Les Musiciens de Louis XIV - Paysages en Musique ©Eric Lambert
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Duo viole théorbe à Savennières : musique au temps de Louis XIV

Paysages en Musique, tel est l’intitulé de la onzième édition du festival Musiques Baroques à Savennières qui se tient en cette année 2021. Village de charme situé à une dizaine de kilomètres à l’ouest d’Angers sur les bords de la Loire, Savennières est avant tout un nom connu des amateurs de vins pour ses blancs de grand renom, le plus célèbre étant la fameuse « Coulée de Serrant ».

L’association Musiques Baroques à Savennières a pour vocation première de promouvoir la musique baroque à travers un festival dédié dont elle est à l’origine. Mais au delà de ce festival, elle organise concomitamment une académie de musique baroque avec master class et résidences d'artistes, tout en valorisant le village lui-même, ses paysages inclus dans le vaste ensemble du Val de Loire inscrit depuis 2000 au Patrimoine mondial de l’UNESCO, ses jardins, ses coteaux de vigne, ses vins bien sûr, ses châteaux, ses manoirs et son église classée qui serait la plus ancienne du département !

Le premier concert de l’édition 2021 se déroulait dans la cour du Manoir des Lauriers dans le village de Savennières. Totalement représentatif de l’esprit français du XVIIIe siècle, ce manoir classé aux Monuments Historiques situé au cœur du village est doté de magnifiques jardins à la française.

Albane Imbs au théorbe et à la guitare baroque et Marc de la Linde Bonal, à la viole de gambe, proposaient ce samedi 21 août ce concert d’ouverture avec un programme consacré aux musiciens du règne de Louis XIV.

Luthiste, théorbiste et guitariste baroque, Albane Imbs commence le luth renaissance à l’âge de six ans auprès de Pascale Boquet à Tours. En 2012, elle intègre le CNSMD (Conservatoire National Supérieur de Musique et Danse) de Lyon dans la classe de Rolf Lislevand et y obtient un master en 2017. Depuis, elle collabore notamment avec Jordi Savall, Rolf Lislevand et Raphaël Pichon. En 2015, elle crée son propre ensemble, Les Kapsber'girls, avec la volonté de faire redécouvrir les œuvres du bassin méditerranéen.

Marc de la Linde Bonal, né à Barcelone commence à étudier la viole de gambe avec Clara Hernández à l'âge de huit ans. Il poursuit ensuite l’étude de la viole au Koninklijk Conservatorium de La Haye sous la direction de Philippe Pierlot et de Mieneke van der Velden. En 2020 il obtient un master au CNSMD de Lyon, au sein de la classe de Marianne Muller. En juillet 2019, il remporte avec le claveciniste Daniel Trumbull le premier prix du concours Maurizio Pratola à Aquila (Italie), présidé par Paul O Dette. Il collabore depuis avec divers ensembles de musique ancienne renommés, dont La Capella Reial de Catalunya, dirigé par Jordi Savall.

Une grande partie des œuvres présentées au cours de ce concert ont été composées par Robert de Visée. Guitariste, théorbiste, très probablement violiste également, ce compositeur faisait partie du petit cercle de musiciens admis dans la chambre du roi Louis XIV à qui il donna des leçons de guitare. C’est avec une de ses Suites en ré mineur (tonalité originale en fa mineur) que débutait le concert. Une suite écrite à l’origine pour le théorbe, et transcrite par Robert de Visée lui-même pour la viole accompagnée du théorbe. Suivait trois pièces de Marin Marais extraites des Pièces De Viole Du Quatrième Livre de 1717 : Le Badinage, une magnifique pièce arpégée que l’on peut notamment entendre dans le film Tous les matins du Monde, suivi de deux Musettes, en la mineur et la majeur. Albane Imbs poursuivait seule au théorbe avec un prélude non mesuré de Visée suivi de deux pièces bien connues des amateurs de théorbe et de luth : La Fürstenberg et les Sylvains de Monsieur Couperin, extraite du Premier Livre de pièces de clavecin. Ces deux pièces ont été transcrites par Visée. L’arrangement pour le théorbe de La Furstenberg provient d’un manuscrit de la Bibliothèque Nationale datant de la toute fin du XVIIe siècle et pourrait, sans certitude, être de Visée. Quant à la paternité effective la pièce originale, elle demeure obscure, on la retrouve en effet chez d’autres compositeurs, notamment chez Michel Corrette.

François Couperin n’est pas particulièrement connu pour avoir écrit des pièces pour la viole… il a pourtant laissé deux suites écrites spécifiquement pour cet instrument. Ce sont six pièces extraites de la Première suite en mi mineur éditée en 1728 qu’Albane Imbs et Marc de La Linde ont choisi d’interpréter. Cette pièce, réellement étonnante, révèle un style très personnel qui ne s’apparente pas aux pièces des autres compositeurs de l’époque.

Difficile de concevoir un programme dédié à la musique sous Louis XIV sans évoquer Monsieur de Sainte Colombe (dont le prénom était semble-t-il Jean). Musicien considéré comme l’un si ce n’est LE maître de la viole, il ne fréquenta cependant pas la cour du Roi. Immortalisé auprès du grand public par le film Tous les matins du monde il a laissé à la postérité des pages de musique admirables, toutes manuscrites. Jean Rousseau, gambiste renommé à son époque et lui-même élève de Sainte-Colombe, écrit dans son Traité de la viole de 1687, que Sainte-Colombe ajouta une 7e corde à la viole, pour augmenter l’étendue d'une quarte dans les graves vers 1675. A travers deux pièces, un Prélude en ré mineur et une Gigue, Marc de La Linde a donné un bel aperçu de l’art de ce compositeur. Une musique épurée, austère presque, moins ornementée, utilisant toutes les ressources de la viole et toute sa tessiture, et usant à loisir de doubles, de triples voire de quadruples cordes.

Changement de registre et surtout d’atmosphère avec La Villanelle (à écouter ici) proposée par Albane Imbs à la guitare baroque. Cette pièce assez connue est attribuée (sans certitude mais par déductions) à Robert de Visée. Ce dernier s’est inspiré d’une ancienne danse paysanne à l’origine accompagnée de chant et d’instruments pour composer cette Villanelle au caractère vif et enjoué, particulièrement mis en exergue par la guitare baroque.

Deux pièces pour le moins originales tenaient lieu de conclusion à ce concert. La Guitare de Marin Marais en premier lieu (à écouter ici) extraite de sa Suite n°VII en sol majeur du Troisième livre. La viole utilise des accords propres à la guitare notamment à son début en pizzicato qui laissent à penser que Marais connaissait fort bien l’instrument, et peut-être même le pratiquait il occasionnellement. La viole est bien évidemment accompagnée de la guitare baroque qui accentue le côté « guitaristique » de cette pièce pour le moins originale et fort bien interprétée.

En second lieu, la Leclair d’Antoine Forqueray (à écouter ici), une pièce dédiée à Jean-Marie Leclair qui fut probablement le plus grand violoniste de son temps. Dans cette pièce, Forqueray cherche à rivaliser de virtuosité avec le violon jusqu’à vouloir l’égaler ! Cette pièce un peu « hors normes » nécessite en effet de la part du violiste une maîtrise sans faille de son instrument compte tenu des qualités techniques que nécessite son exécution. Pour l’anecdote, Antoine Forqueray était, dit-on, un personnage absolument exécrable, mais un gambiste prodigieux. Le roi Louis XIV selon la légende disait à propos de Leclair et de Forqueray que le premier jouait « comme un dieu » et le second « comme un diable »… Marc de La Linde a parfaitement maîtrisé ces difficultés techniques pour offrir une belle interprétation de cette pièce, soutenu par un accompagnement impeccable assuré par Albane Imbs au théorbe.

Bien que le concert soit d’un excellent niveau, on regrettera cependant qu’il ait été programmé à l’extérieur et ce pour plusieurs raisons. Certes, cela se faisait assez couramment à l’époque, mais cela se faisait très probablement lorsque la météo était favorable et de façon impromptue. Et l’auditoire de l’époque n’était pas composé uniquement de personnes réellement en mesure d’apprécier la musique en tant que telle et en mesure de porter un jugement sur l’acoustique… De plus, la pluie tombée durant la journée a généré des problèmes d’accords liés à l’humidité sur des instruments montés en cordes boyau, les instruments en bois étant soumis eux-mêmes aux variations de température et d’hygrométrie qui accentuent les problèmes d’accord. D’autre part, outre le fait que la pluie menaçante durant le concert a probablement eu pour effet de stresser les musiciens inquiets de recevoir des gouttes de pluie sur des instruments fragiles, l’acoustique ne se prêtait spécialement pas à ce type de musique des plus intimiste, même si les instruments ont été légèrement amplifiés, et même si le cadre choisi était totalement adapté visuellement ! L’acoustique très sèche nuit toujours un peu à la musique, une légère réverbération dans une pièce fermée est en effet toujours plus gratifiante autant pour les musiciens que pour l’auditoire.

Et d’ailleurs, le concert a fini par être interrompu à la venue des premières gouttes de pluie, fort heureusement lorsqu’il touchait à sa fin, et l’entrée du manoir a servi d’abri improvisé afin de permettre au public d’entendre les deux dernières pièces. Un excellent concert qui a permis de faire connaissance avec deux jeunes musiciens de talent à travers un programme des plus intéressant, mais qui qui aurait cependant mérité une météo plus clémente voire un autre lieu plus adapté.



Publié le 01 sept. 2021 par Eric Lambert