Récit - S. Gasselin & J. Taylor

Récit - S. Gasselin & J. Taylor ©
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Salomé Gasselin et Justin Taylor à Savennières : un pur moment de bonheur musical

Dans le cadre du festival Musiques Baroques à Savennières le grand salon de musique du château des Vaults accueillait ce lundi 23 août 2021 un récital de Salomé Gasselin à la viole de gambe et Justin Taylor au clavecin. Ces deux musiciens originaires d’Angers devaient à l’origine présenter un programme consacré à Bach et Biber intitulé Bach et Biber en miroir. Mais le hasard, la chance aussi, en ont voulu autrement… Salomé Gasselin a eu en effet l’opportunité unique de pouvoir acquérir un instrument historique exceptionnel : une viole signée Simon Bongars (ou Bongard) datée de 1655 ! Possédant cette viole depuis deux mois, elle se l’approprie musicalement de manière progressive et a souhaité présenter avec cet instrument un programme intitulé Récit consacré à de la musique française.

Un programme très original, comprenant des transcriptions de Récits de tierce en taille empruntés au répertoire de l’orgue français du XVIIe, auxquels ont été adjoints des pièces de Jean Philippe Rameau, de Louis Couperin et de Marin Marais. Qu’est ce qu’un récit de tierce en taille ? Il s’agit d’une forme musicale couramment usitée au XVIIe siècle consistant à jouer une mélodie sur un jeu de tierce, accompagnée sur un autre clavier de l’orgue par des jeux très doux, parfois avec les jeux du pédalier. Le terme « taille », employé dans la musique baroque française, signifie tout simplement que la mélodie est jouée dans la tessiture d’un ténor. Louis Marchand, Nicolas de Grigny, Pierre Du Mage, Jean Adam Guillain et Jacques Boyvin sont les compositeurs ayant particulièrement usé de cette forme musicale spécifique à la musique française pour l’orgue.

Une viole historique

De la musique française, donc, pour valoriser un instrument historique d’exception ! Cette viole signée Simon Bongars datée de 1655 est en effet probablement la seule subsistante de ce maître luthier actuellement. L’oncle de François Couperin (prénommé également François, frère de Louis qui composa pour le clavecin et l’orgue, et de Charles, père de François Couperin dit « Le Grand ») s’est marié en 1675 avec Louise Bongars, fille de Simon Bongars. On sait que ce dernier fréquenta de près la famille Couperin, François Couperin époux de Louise Bongars demeurant même un temps chez Simon Bongars devenu son beau-père, lequel exerçait depuis 1644 la profession de « faiseur de violes » rue de la Tissanderie dans le quartier de Saint-Gervais à Paris. Par ailleurs, des écrits de cette époque mentionnent le fait que Marin Marais lui-même jouait sur une viole signée Simon Bongars ! Laurent Grillet dans son livre Les ancêtres du violon et du violoncelle, les luthiers et les fabricants d’archets, édité en 1901, cite des « faiseur de violes » parmi lesquels Simon Bongard (ou Bongars), qui exerçait a Paris dès 1644. Toujours dans le livre de Laurent Grillet, on trouve cette information: « Une basse de viole à six cordes, signée Simon Bongars, et portant la date de 1655, appartient à M. de Bricqueville. » Enfin on retrouve son nom dans une lettre d’un certain Boynet, élève de Marais qui écrit ceci : « Je n’ai jamais eu d’autre vue que celle d’imiter 1’effet du viollon... Mon instrument est un dessus de violle monté en pardessus. Il est de Paris par Bongard en 1665. ... I1 à un son assez fort et gracieux. » Cette viole est elle celle qui appartint à ce monsieur de Briqueville ? Fut-elle jouée par François Couperin « Le Grand », ou peut être tout simplement essayée par lui dans l’atelier de Simon Bongars ? Aurait-elle été jouée par Marin Marais lui même ? Toutes les hypothèses sont permises et expliquent le bonheur immense et l’émerveillement de Salomé Gasselin de pouvoir jouer sur un tel instrument vieux de 366 ans! A titre de précision, cette viole est actuellement montée en sept cordes, mais il est acquis qu’elle fut construite en six cordes, l’adjonction de la septième corde destinée à d’augmenter l’étendue d’une quarte dans le grave revenant selon la légende à Monsieur de Sainte Colombe aux alentours de 1675.

Transcription de Récits

Le concert débutait par un récit de Jean-Adam Guillain extrait des Pièces d’orgue pour le Magnificat, transcrit pour la viole et une basse continue par Salomé Gasselin qui explique ainsi sa démarche : « A cet univers de l’orgue français, on emprunte les récits de tierce en taille : ces pièces d’orgue imitent les récits instrumentaux et vocaux et témoignent d’une rhétorique cristallisée qui rappelle le style narratif de Marais. ». Hormis l’intérêt indéniable de ces transcriptions, qui ont très probablement été effectuées à une époque ou l’usage de la transcription était monnaie courante, c’est le son de l’instrument qui a d’emblée séduit le public. Ces pièces qui sont des récits d’orgue à l’origine avec une voix concertante très proche des préludes de Marais s’adaptent parfaitement à la viole. Durant le concert, une seconde pièces de Jacques Boyvin cette fois, strictement dans le même esprit et transcrite par Salomé Gasselin d’un Récit Grave extrait de son Second livre d’orgue était présentée au public. Ce travail de transcription pour le moins original permet de faire un parallèle entre deux formes musicales au premier abord totalement différentes mais cependant assez proches. Il fait d’ailleurs l’objet par ces deux musiciens d’un projet d’enregistrement sur ce thème, lequel devrait se concrétiser en 2022.

Voix humaines

Plusieurs pièces de Marin Marais figuraient au programme, parmi lesquelles certaines plus rarement jouées. Mais Les Voix Humaines, extraite du Second Livre de Viole, est considérée comme comptant parmi les plus belles pages écrites par Marin Marais pour la basse de viole. Cette pièce écrite comme une Plainte se démarque dans l’œuvre de Marin Marais par sa profondeur et par la mélancolie qu’elle dégage. Elle vient dans le programme en continuité des Récits, ainsi que l’a précisé Salomé Gasselin à travers sa présentation durant le concert. En effet, « les voix humaines de Marais pourraient également faire allusion au jeu d'orgue » d'où l’idée de l'insérer dans le programme. Le titre même de cette pièce évoque la beauté de la voix humaine à laquelle cette pièce semble faire allusion par son phrasé, elle invite à s'immerger dans l'univers intime d'un compositeur majeur d’une époque où la musique française était aux sommets. Dans son Traité de la Viole publié en 1687, Jean Rousseau, élève de Sainte Colombe, écrivait que « jamais homme n’a approché de plus près le chant que par la viole qui ne diffère seulement de la voix humaine qu’en ce qu’elle n‘articule pas les paroles ». La subtilité du jeu de Salomé Gasselin a fait littéralement merveille durant un moment chargé d’émotions, pendant lequel le public a pu apprécier cette œuvre incontournable jouée sur un instrument contemporain de Marin Marais lui même !

Assez voisine dans l’esprit, la Plainte (à écouter ici), extraite des pièces de viole du Troisième livre de 1711, accompagnée avec subtilité et sensibilité par Justin Taylor fut un moment de grâce dans ce concert, accompagnant le jeu tout en finesse de Salomé Gasselin dont la viole présente une palette sonore d’une richesse incroyable, notamment dans les pianissimi.

Jean-Philippe Rameau

Quelques pièces pour clavecin seul figuraient au programme, permettant ainsi d’apprécier au mieux le jeu à la fois virtuose et délicat de Justin Taylor. Des pièces de Jean Philippe Rameau exclusivement parmi lesquelles L’Égyptienne (à écouter ici) interprétée de façon magistrale, mais surtout la fameuse  Gavotte et ses Doubles (à écouter ici), extraite des Nouvelles suites de pièces de clavecin éditées en 1728. Débutant sur un thème tout en douceur et en retenue, six « doubles » se succèdent, déclinant a loisir le thème initial de façon très inventive pour s’achever sur un dernier double des plus tempétueux. Cette pièce, parmi les plus célèbres de Rameau, témoigne de son génie et de sa maîtrise dans l’art de la variation tout en mettant en valeur toutes les ressources du clavecin. Une occasion de plus pour Justin Taylor de donner une brillante démonstration de son talent.

Autre point intéressant, une transcription de La Piémontoise de Louis Couperin écrite à l’origine pour le clavecin seul, et transcrite pour la viole par Salomé Gasselin, le clavecin n’assurant plus que la basse continue. Cette réécriture de La Piémontoise pour deux instruments donne un éclairage pour le moins inédit et original de cette pièce et conduit à entendre les lignes mélodiques différemment.

Les applaudissements du public ont conduit Salomé Gasselin et Justin Taylor à offrir en bis à l’auditoire l’Adagio de la Sonate BWV 1027 de Jean-Sébastien Bach, un choix éminemment symbolique de la première pièces qu’ils ont joué ensemble…

De cet excellent concert, on retiendra un art maîtrisé de la nuance par Salomé Gasselin, servie par un instrument au son chaud et aux graves amples qui font la différence avec la plupart des copies d’instrument récente. De plus, les doubles et triples cordes sont parfaitement maîtrisées et les aigus hors frettes sont impeccables de justesse ! En outre, chacun aura également pu apprécier le jeu à la fois subtil et éclatant de virtuosité du claveciniste Justin Taylor et son toucher exceptionnel. La maîtrise parfaite du style qui caractérise la musique française du XVIIe siècle par ces deux musiciens désormais incontournables de la scène baroque, alliée à l’ambiance feutrée du salon de musique du château des Vaults ont permis à l’auditoire de vivre un pur moment de bonheur musical.



Publié le 04 sept. 2021 par Eric Lambert