Selva morale - Monteverdi

Selva morale - Monteverdi © Julien Gazeau
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Laudate Dominum (Louons le Seigneur)

Dans ses quelques mots de présentation du Festival de printemps des Arts Florissants, qui se tient dans différents églises de Vendée, Paul Agnew rappelle que la saison 2024 est dédiée à Claudio Monteverdi (1567-1643), « grand-père de la musique baroque ». La plupart des pièces présentées ce soir sont extraites de son recueil Selva morale e spirituale (Forêt morale et spirituelle), publié en 1640. Celui-ci témoigne de la place centrale qu’occupait la musique religieuse à Venise. Il rend également compte de sa diversité puisqu’il comprend des madrigaux, des fragments de messes, des psaumes, des hymnes et des motets pour les fêtes mariales, qui donnent un aperçu de la variété de la production religieuse de Monteverdi, par ailleurs maître de la chapelle du Doge à la basilique Saint-Marc durant les trente dernières années de sa vie.

Le concert se tient dans la cathédrale Notre-Dame de l’Assomption de Luçon, dont un des titulaires durant le XVIIème siècle fut le jeune Armand Duplessis, futur cardinal de Richelieu. Il débute par un Confitebor (Je rends grâce) qui proclame la foi chrétienne. Julie Roset se montre particulièrement à l’aise dans les délicats mélismes de la sonore proclamation finale (Gloria Patri), qui s’achève dans un Amen d’une légèreté céleste. La canzonetta Chi vuol che m’innamori, qui réunit le ténor James Way, l’alto Mélodie Ruvio et la basse Cyril Costanzo, illustre parfaitement le style madrigalesque, où la musique est intimement liée au texte : la joie rieuse du Hoggi si ride (Aujourd’hui on rit) est vite effacée par le sombre E puoi diman si piange (Et demain l’on pleure). Les enchaînements parfaits de la polyphonie témoignent de la maîtrise des interprètes, tandis que Cyril Poulet développe le chant expressif de son violoncelle, et que les deux violons (Emmanuel Resche-Caserta et Sophie de Bardonnèche) révèlent leur parfaite complicité dans le brillant finale.

Iste confessor réunit deux sopranos. Julie Roset expose de son timbre clair et nacré la première strophe joyeuse, tandis qu’Ana Vieira Leite mobilise des couleurs plus cuivrées pour la seconde strophe, plus sombre. Leurs voix se rejoignent dans le Sit laus qui proclame la puissance de Dieu.

Le court intermède instrumental de la Sonata decima de Dario Castello offre un nouvel exemple de la virtuosité complice des deux violonistes. Lui succède un Nigra sum d’anthologie, dans lequel le ténor Bastien Rimondi illustre avec soin de ses intonations les nombreuses allusions évoquées par le texte : l’amour, la sensualité, le froid de l’hiver, les fleurs du printemps, le tout enveloppé dans un phrasé parfaitement fluide. Une prestation particulièrement applaudie pour ce célèbre extrait des Vêpres à la Vierge.

Le O ciechi il tanto affaticar offre un exemple du style concertant. Il s’achève sur l’imprécation Miser chi speme, appuyée des graves profonds de Cyril Costanzo.

Le Pianto della Madonna est un exemple emblématique du « recyclage » des mélodies pratiqué par Monteverdi, puisque ce morceau réutilise la mélodie du Lamento d’Arianna, opéra du compositeur malheureusement perdu à ce jour mais qui avait rencontré un immense succès lors de sa création, en 1608, sur des paroles sacrées. Si le procédé restera en faveur durant toute la première moitié du XVIIIème siècle, notamment chez Haendel et Vivaldi (ce dernier recyclait même parfois directement ses airs, sans en changer les paroles, dans de nouveaux opéras !), il peut paraître étonnant chez le maître du madrigal, qui attachait une telle importance au lien entre le texte et la musique... Cette transformation d’un texte profane en un texte sacré est pourtant tout à fait convaincante dans son expressivité, comme le démontre magistralement Ana Vieira Leite dans cette longue désolation de la Vierge devant le sort de son fils, seulement accompagnée de l’orgue de William Christie et du violoncelle de Cyril Poulet.

Le Salve Regina réunit James Way et Bastien Rimondi dans une parfaite complicité, qui enchante nos oreilles. Lui succède la Sonata settima de Giovanni Battista Fontana, dans laquelle Emmanuel Resche-Caserta et Sophie de Bardonèche rivalisent tour à tour de virtuosité avant de se rejoindre dans un époustouflant finale, couronné des chaleureux applaudissements d’un public enthousiaste.

Après un madrigal à cinq voix (È questa vita un lampo), Cyril Costanzo entame le Laudate Dominum sur des graves fermes et sereins, pour conclure sur un imposant Amen. Là aussi on note le soin expressif apporté aux intonations du texte. Et dans le Beatus à six voix qui conclut le programme, les deux violons se signalent à nouveau par leurs sonorités charmeuses.

La fin du concert est saluée par les applaudissements nourris du public qui emplissait ce soir-là la cathédrale. Après plusieurs rappels, Les Arts Florissants reprennent le Confitebor qui ouvrait le programme, à nouveau récompensé par de longs applaudissements.



Publié le 24 avr. 2024 par Bruno Maury