Semele - Hasse

Semele - Hasse ©Innsbrucker Festival der Alten Musik
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Un somptueux divertissement

La serenata baroque constitue, comme la cantate française de la même époque, un genre musical tout à fait particulier, une sorte d'opéra miniature. Mais alors que la cantate est en principe destinée à un seul interprète affrontant des situations (et des états d'âme) variés, la serenata comporte plusieurs interprètes, en nombre parfois très limités : Marc'Antonio e Cleopatra de Hasse n'en comporte que deux. Alessandro Stradella (1639 – 1682) semble à l'origine du genre, dont il a posé les principes : deux actes assez courts, et une intrigue suffisamment relevée mais point trop dramatique, qui s'achève nécessairement sur un lieto fine. Les serenata étaient en effet destinées à des représentations privées de riches mécènes, lors de fêtes organisées à l'occasion d'un grand événement (mariage,...). Formé à l'école italienne, et en particulier napolitaine, il était naturel que le saxon Johann Adolf Hasse (1699 – 1783) s'essaie au genre. De fait nous ne connaissons pas les circonstances précises ni le lieu de la création à Naples en 1726 de sa Semele. Elle était du reste assez rapidement tombée dans l'oubli, et sa programmation au Festival de Musique ancienne d'Innsbruck correspond à une véritable recréation.

Pour celle-ci le Festival avait réuni toutes les conditions afin de nous restituer sa valeur musicale et esthétique. Commençons par l’intelligente mise en espace (ne s'agissant pas d'un opéra le programme hésite à la qualifier de mise en scène) de Georg Quander. Tout au long de la pièce, le mur du fond de la vaste scène du Landestheater d'Innsbruck se pare de projections qui suggèrent les changements de lieu de l'intrigue : un Olympe en trompe-l’œil pour les scènes du début ou de la fin, tandis que la façade du palais du Té de Mantoue (avec ses impressionnants géants) éclaire les scènes d'amour avec Sémélé, garnies de quelques meubles modernes. L'alternance des habits et les ruptures du décor éclairent à propos le déroulement de l'action : dans les scènes de l'Olympe, Junon arbore une robe de cour et Jupiter un radieux habit de satin blanc, tous deux portent perruque. Mais c'est vêtue d'habits contemporains que Junon vient rendre visite à Sémélé sous les traits de sa sœur Climène. A l'aide de moyens réduits, Quander parvient ainsi sans peine à nous suggérer à la fois le fil de l'intrigue et le brio esthétique des fêtes baroques dans lesquelles elle s'inscrivait.

Le plateau vocal est distribué avec tout autant de soin. Dans le rôle-titre, la jeune Francesca Aspromonte campe une Sémélé physiquement idéale, dont le timbre cristallin joliment nacré vient redoubler le pouvoir de séduction. La technique est assurée, elle délivre un phrasé souple à la diction précise. Parmi les passages les plus applaudis nous retiendrons les longs ornements du Vago fior et l'émouvant Taccio, sospiro e gemo dans la première partie. Au début de la seconde partie le Dolce spira est un pur moment de bonheur, souligné par les attaques aériennes des cordes.

Face à elle Roberta Invernizzi incarne avec conviction une Junon perpétuellement jalouse, qui accueillera au final sa rivale dans l'Olympe sur ordre de Jupiter ! Les couleurs du timbre sont toujours aussi séduisantes, la technique du phrasé admirablement maîtrisée. La projection reste mesurée, et par inclination naturelle on attendrait un peu plus de panache dans le Trassi anch'io de la première partie ou dans le Va spergiuro au final. Mais la serenata n'est pas l'opéra, et les morceaux de bravoure pulvériseraient sa délicate atmosphère musicale, dont le raffinement impose une nécessaire retenue. Son talent d'actrice donne de la crédibilité tant à ses récriminations qu'à sa rencontre avec Sémélé sous les traits de Climène, qui se conclut par un duo très réussi (Un gelido timore), salué à juste titre par le public. Il anime aussi avec force et intelligence le long accompagnato qui ouvre la pièce (Soglie celesti), genre dans lequel elle excelle.

Jupiter battant mais au cœur tendre, Sonia Prina joue avec malice de son physique, au buste habilement dissimulé dans ses vêtements, tant pour calmer son épouse que pour séduire Sémélé. Sa voix légèrement rugueuse, à l'éclat solidement trempé, convient à merveille pour camper ce rôle masculin. Dès le premier air (Troppo, o sposa) les ornements fusent avec aisance, piqués d'une pointe d'ironie dans la reprise. Le volume demeure en permanence ajusté à celui de ses partenaires et de l'orchestre, de sorte qu'elle apparaît comme la pièce maîtresse de l'intrigue sans en écraser les autres protagonistes : belle leçon de talent et de mesure. Chacune de ses interventions est un régal ; retenons tout particulièrement le brillant Del mio fulmine et sa cascade d'ornements, et le tendre Occhi belli aux longs accents de douceur amoureuse. Les ensembles sont tous particulièrement équilibrés et réussis, notamment le magnifique trio qui conclut la première partie (Morirò con la speranza).

A la tête de son orchestre Le Musiche Nove, Claudio Osele distille avec soin les couleurs expressives de l'intrigue, sans jamais verser dans la grandiloquence de l'opera seria. De l'ouverture au finale, le rythme est soutenu, la dynamique bien présente mais à l'écart de tout débordement. Toujours attentif à ses chanteurs, le chef nous restitue avec brio la sensibilité quelque peu maniérée de ce somptueux divertissement, où le drame n'est que prétexte à de magnifiques numéros vocaux.



Publié le 04 sept. 2018 par Bruno Maury