Lucio Cornelio Silla - GF. Haendel

Lucio Cornelio Silla - GF. Haendel ©
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Quand dépouillement se conjugue avec raffinement

A quelques jets de pierre du Deutsches Theater et de son décor traditionnel à l'italienne l'auditorium de la Stadthalle de Göttingen offre un cadre de béton et de bois à la fois sobre et moderne à la représentation de Lucio Silla. Comme pour faire écho à ce dépouillement la production n'offre qu'une mise en espace, sans décors, mais rehaussée des superbes costumes à la mode XVIIIème réalisés par Johannes Ritter. Ceux-ci constituent un modèle du genre par le soin apporté à leur réalisation : il n'y manque pas une plume de heaume ni une boucle de perruque, les étoffes arborent des couleurs chatoyantes, qui ressortent d'autant plus vivement sur les lourds rideaux noirs du fond de scène, accentuant l'impression de profondeur. Les déplacements et gestes obéissent à un ordonnancement méticuleux, réglé avec précision par la metteuse en scène Margit Legler, instigatrice de cette production.

Autres rappels de la scène baroque, la salle n'est jamais plongée dans une obscurité totale, ce qui adoucit les lumières de la scène ; et l'orchestre est disposé au niveau des spectateurs. Le soin apporté à recréer les conditions d'une représentation baroque en embrasse ainsi jusqu'aux moindres détails, ce qui replonge d'emblée le spectateur dans l'atmosphère supposée de l'époque. Soulignons au passage combien nous aimerions retrouver plus fréquemment cette démarche dans les salles qui proposent des œuvres de cette période, en particulier sur le sujet de l'éclairage partiel de la salle. A contrario une salle noire (telle qu'elle s'imposera progressivement dans les théâtres au XIXème siècle) constitue assurément un anachronisme lors d'une représentation qui souhaite recréer l'atmosphère baroque.

La lecture originale de Dorothee Oberlinger constitue en quelques sorte le versant musical de cette approche historique. La chef et musicologue allemande assure la majeure partie de l'accompagnement des airs avec le seul continuo, certes étoffé, le reste de l'orchestre n’intervenant que pour souligner certains passages, en particuliers ceux qui comportent des ornements, ou lors des reprises. Nous n'avons pas suffisamment de connaissances musicologiques pour juger de la pertinence historique de ce choix. En revanche les conséquences en sont bien perceptibles, même à une oreille non avertie : c'est une lecture complètement nouvelle des partitions de Haendel que nous invite l'Ensemble 1700. Les instruments de l'orchestre, déjà plus proches physiquement des spectateurs, sont bien audibles, y compris l'archiluth d'habitude si discret. Et la ligne de chant s'y révèle dans toutes ses nuances, mais aussi ses éventuelles imperfections... Autant dire que ce type de lecture s'avère particulièrement exigeant, pour les instrumentistes comme pour les chanteurs. Sur ce chapitre il convient de souligner le dynamisme du clavecin, particulièrement inspiré, qui emmène le continuo d'un bout à l'autre de la représentation (et ce malgré une légère indisposition, heureusement passagère, du claveciniste à l'entracte).

La distribution est à la hauteur de cette lecture exigeante. Elle se caractérise par une bonne homogénéité. Incarnant le rôle-titre, le contre-ténor russe Dmitry Sinkowsky s'avère très à l'aise dans le médium des longs récitatifs du rôle, affichant toutefois au début de son intervention une incertaine instabilité de la couleur du timbre lorsqu'il s'attaque aux aigus. Au second acte il nous gratifie d'un délicat et sensible Dolce nome, joliment souligné par le hautbois. Son air de bravoure vers la fin de l'acte (La vendetta) sera largement applaudi, et son duo final avec Metella (Non s'estingue mai la fiamma), dans un festival réussi d'ornements, reste comme un grand moment de cette représentation. Autre contre-ténor de la distribution l'allemand Philipp Mathmann (Lepido) affiche d'emblée une belle aisance dans les ornements, même si la diction en pâtit quelque peu (dans le Se ben tuona, au premier acte, longuement applaudi). On retiendra particulièrement les élégants ornements de son brillant duo avec Flavia au second acte (Sol per te), impeccablement scandé par l'archiluth et le basson, un pur moment de bonheur lui aussi longuement acclamé), ou encore ses belles roulades dans le Già respiro au troisième acte, rythmé par un archiluth bien présent. Pour compléter le tableau des voix masculines le baryton italien Thomas Hansen (Il Dio) affiche des graves bien ronds dans sa courte intervention pleine de bravoure au second acte (Guerre, strage), dont la reprise est pleine d'énergie.

Côté féminin la contralto néerlandaise Helena Rasker s'avère tout à fait à son aise dans le rôle masculin de Claudio. Sa diction est précise et soignée, ses ornements sont empreints d'un grand naturel, et son timbre aux reflets mats renforce la vraisemblance de son travesti. Elle s'acquitte magistralement de son morceau de bravoure avec trompette obligée au final de l'acte I (Con tromba guerriera), rivalisant de souffle avec l'instrument dans une belle cascade d'ornements, ce qui lui vaudra un tonnerre d’applaudissements bien mérités et un rappel sur scène ! On retiendra encore le beau Mi brilla nel seno à l'acte II, et le charmeur Luci belle au troisième acte, à la ligne de chant d'une grande fluidité.

La soprano Anna Denis campe une Metella de caractère, qui s'oppose avec vigueur à la dérive autocratique de son époux. Son timbre cristallin est doté d'une projection généreuse, les attaques sont bien nettes, et les aigus tranchants. Son premier air (Fuggon l'aure) est accompagné par un clavecin particulièrement inspiré, et son Hai due vaghe pupillette, relevé de longs ornements délicats, au milieu du second acte clôt avec brio la première partie de la représentation. On retiendra encore son abattage impressionnant dans les mélismes virtuoses du Secondate, oh giusti dei, au final du second acte, et son brillant duo avec Silla au troisième.

La Flavia de la soprano russe Liliya Gaysina se distingue par des ornements très naturels aux reflets mats (Un bel raggio, Qual scolglio). Ses attaques sont bien nettes, et la diction précise et intelligible. Le duo du second acte avec Lepido (Sol per te) est un pur moment de bonheur où s'entremêlent les cascades d'ornements, de même que le plus court Ti lascia (également au second acte). Dans ses courtes interventions, la soprano canadienne Stefanie True campe une Celia expressive, à la voix teintée d'une pointe d'acidité qui en renforce le caractère (Se la speranza). On retiendra aussi l'émouvant Sei già morto au troisième acte, délicatement accompagné par l'archiluth.

Louons enfin à nouveau la direction musicale inspirée de Dorothee Oberlinger, particulièrement attentive à la ligne de chant des interprètes. Les interventions de la trompette brillent tout particulièrement dans cette atmosphère dépouillée, qui affiche un raffinement certain. Cette approche renouvelle complètement l’œuvre, que nous avions eu le plaisir d'entendre l'an dernier à Halle dans une production de bon niveau mais plus classique au plan musical, dirigée par Enrico Onofri avec Filippo Mineccia dans le rôle-titre. Aussi attendons-nous avec quelque impatience que Dorothee Oberlinger applique ses talents de musicologue et de chef à d'autres œuvres du Caro Sassone. Et remercions le Festival de Göttingen de nous avoir fait découvrir son approche si originale dans cette production d'un excellent niveau musical et scénique.



Publié le 04 juin 2017 par Bruno Maury