Siroe - Haendel

Siroe - Haendel ©
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Un seria au pays des mille et une nuits

Siroe, re di Persia, HWV 24, ne compte assurément pas parmi les œuvres les plus connues de Haendel. Mais faire découvrir des œuvres rarement données du compositeur constitue l’une des missions du Festival Haendel de Halle, comme d’ailleurs de celui de Göttingen. Au plan chronologique, Siroe sera le dernier opéra créé à la Royal Academy of Music fondée en 1719 (voir la récente chronique Les opéras de Haendel) ; celle-ci, épuisée financièrement et désertée par ses plus fameux solistes, fermera ses portes quelques mois plus tard. Le librettiste Haym s’est inspiré d’un livret du jeune Métastase, déjà mis en musique en 1726 à Venise par Leonardo Vinci. Ce texte s’abreuve vaguement à des sources historiques décrivant un conflit familial autour du roi de Perse Chosroès II au VIIème siècle, démis par ses fils Siroès et Médarsès, eux-mêmes en conflit. Au plan musical, le livret s’avère très conventionnel, se limitant à une succession d’airs et de récitatifs, sans arioso ni duo. Lors de la création, l’œuvre rassemblait encore une distribution prestigieuse : le castrat Senesino dans le rôle-titre et les sopranos Faustina Bordoni et Francesca Cuzzoni dans les rôles respectifs d’Emira et Laodice. Elle restera à l’affiche pour dix-huit représentations mais ne connut qu’un succès d’estime. Elle sombra ensuite rapidement dans l’oubli, pour renaître au XXème siècle.

Le metteur en scène Kobie van Rensburg s’en empare avec une nette volonté de la renouveler et de nous la faire apprécier. Au plan musical, cette production raccourcie sacrifie de nombreux récitatifs et environ une demi-douzaine d’airs ; l’air de Laodice Mi lagnerò tacendo est déplacé du début de l’acte II à celui de l’acte III. Les trois actes sont regroupés en deux parties interrompues par un entracte situé au milieu de l’acte II, dans une version « de poche », certes notablement raccourcie par rapport à l’œuvre originelle mais musicalement et scéniquement tout à fait convaincante.

Cette mise en scène joue en effet habilement avec des projections d’images vidéos, qui nous emmènent dans un Orient qui oscille entre contemporain (de grandes tours voisinant avec d’immenses mosquées, qui évoquent Dubaï et les villes modernes des émirats) et mille et une nuits (les tapis volants sur lesquels se déplacent les personnages, le grand palais à moucharabieh du finale,…). Sur scène, les chanteurs sont revêtus de larges tenues bouffantes, qui évoquent plutôt l’Orient imaginaire de l’époque haendélienne, de même que quelques accessoires traditionnels (le cimeterre des gardes). Les vidéos permettent aussi des clins d’œil à l’actualité (les foules dans la rue des printemps arabes par exemple). L’ensemble est fluide et agréable à l’œil, les images suffisamment proches des situations de l’intrigue pour ne pas désorienter le spectateur. En somme, une intégration réussie de la vidéo, qui rend vivante et animée une intrigue pleine d’invraisemblances et passablement alambiquée.

Dans le rôle-titre, le contre-ténor Clint van der Linde confirme la parfaite maîtrise technique que nous avions appréciée il y a quelques mois dans le rôle de Polinesse à Göttingen (voir notre chronique). Son phrasé est soigné, ses ornements filés dans l’air Mi credi infedele tout à fait séduisants. Son dernier air (Deggio morire) est particulièrement émouvant. Sa plus grande réussite est à nos yeux sa remarquable interprétation de l’air du second acte Fra dubbi affetti miei, sommet de la partition particulièrement enchanteur et qui sera longuement applaudi.

Autre contre-ténor du plateau, Nicholas Hariades (Medarsès) témoigne à notre sens d’un ambitus un peu limité. Le timbre est toutefois stable sur l’étendue du registre, et les ornements, bien que limités, sont toujours traités avec un grand naturel. La basse Matthias Helm incarne leur père commun, Cosroès. Il nous a semblé un peu à la peine dans son premier air (Il mio paterno amor), sans doute faute d’échauffement suffisant. Car il se rattrape brillamment dans l’air de bravoure Gelido in ogni vena, dans lequel il se montre également très expressif, et qui lui vaudra de chaleureux applaudissements. Notons aussi ses échanges tout à fait dynamiques dans les récitatifs du second acte avec Siroès.

La soprano Amelie Müller se révèle tout à fait à son aise dans le rôle de Laodice, maîtresse de Cosroès amoureuse de Siroès, sensuelle et perverse à souhait. Elle nous régale de superbes ornements cristallins dans ses airs : Or mi perdo ogni speranza (premier acte), et surtout le magnifique Mi lagnerò tacendo, à la résignation émouvante, et lui aussi justement applaudi. De même, la soprano Annastina Malm, vraie Emira et fausse Idaspe affublée d’un joli collier de barbe (!) est parfaitement convaincante. Sa voix affiche une fraîcheur charmeuse, ses ornements demeurent empreints d’un grand naturel : D’ogni amator la fede (premier acte), Sgombra dell’anima, et tout particulièrement Non vi piacque (où elle se rêve en bergère…) qui conclut avec brio le second acte, bercé par l’atmosphère très pastorale de l’orchestre.

Sous la direction d’Erich Traxler, L’Orfeo Barockorchester scintille dans cette partition. Les cordes sont particulièrement rythmées, elles colorent avec à-propos les atmosphères changeantes de cette intrigue à rebondissements. Le volume sonore est toujours soigneusement ajusté à celui des solistes, dans un délicat équilibre que l’excellente acoustique du petit théâtre à l’italienne de Bernburg permet d’apprécier pleinement. Assurément une adaptation tout à fait séduisante de cette œuvre un peu oubliée du Caro Sassone.



Publié le 24 juin 2022 par Bruno Maury