Magnificat à la Chapelle royale

Magnificat à la Chapelle royale ©TLO-Thomas Guillin
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A la découverte du baroque méridional

Au coeur actif de la vie musicale toulousaine, le prestigieux festival international Toulouse les Orgues qui célèbre cette année son vingt-et-unième anniversaire occupe une place capitale. Cette manifestation dont l’un des objectifs a toujours été d’accorder tout leur lustre aux magnifiques orgues historiques qui font de la ville rose une terre d’élection pour les amateurs de ce roi des instruments, s’est aussi donnée pour mission, selon le vœu d’Yves Rechsteiner, son directeur artistique depuis 2013, de faire dialoguer les cultures, développer les répertoires, mêler les registres afin d’attirer un public diversifié et élargir l’audience.

Pour cette édition, l’enjeu a été de favoriser la redécouverte des maîtres du baroque méridional parmi lesquels Jean Gilles et Antoine-Esprit Blanchard occupent une place de choix. Jean-Marc Andrieu à la tête de son ensemble Les Passions auquel s’est associé l’excellent chœur Les Eléments de Joël Suhubiette, a eu le privilège d’assurer le concert d’ouverture. Depuis de longues années Jean-Marc Andrieu et sa formation basée à Montauban qui fête ses trente ans d’existence, n’ont cessé de poursuivre un travail remarquable d’exploration du répertoire baroque, centré essentiellement sur la musique sacrée en s’attachant particulièrement aux compositeurs méridionaux issus de l’école d’Aix fondée par Guillaume Poitevin : recherches entreprises avec assiduité sur les sources pour avoir une conception informée de la pratique musicale à l’église et constituer un effectif vocal et instrumental vraisemblable, lectures scrupuleuses d’articles d’historiens, consultations des partitions manuscrites enfouies dans les bibliothèques afin de restituer une interprétation la plus proche de l’original en veillant sur les tempi, les ornementations et l’articulation de la prosodie du texte. Cette entreprise passionnante menée par Jean-Marc Andrieu s’est concrétisée dans le cadre de concerts aussi bien à Montauban que dans festivals de renom, à Toulouse, à Utrecht, à La Chaise-Dieu, à Pontoise et cet été au Festival de Radio France et Montpellier Occitanie. Plusieurs éditions discographiques avec le chœur Les Eléments ont été remarquées dont la trilogie de Jean Gilles (Requiem, Lamentations, Motets, Messe en ré) en coffret sous le label Ligia Digital et le CD Magnificat à la Chapelle royale qui réunit trois motets à grand chœur d’Antoine-Esprit Blanchard, qui vient de paraître chez le même label.

En première partie a été jouée la messe de Requiem de Jean Gilles (1668-1705). Ce chef-d’œuvre du baroque français d’un dramatisme intense a été donné pendant tout le XVIIIe siècle, en particulier au Concert Spirituel, pour le service funèbre de Jean Gilles lui-même et pour les funérailles de personnalités importantes dont le compositeur Jean-Philippe Rameau en 1764, le roi de Pologne, Stanislas Leczinski en 1766, Louis XV en 1774. Né à Tarascon, formé à Aix, maître de musique à Agde, Jean Gilles succède à Campra dans cette même fonction à la cathédrale Saint-Etienne de Toulouse jusqu’à sa mort.

Les Passions et le chœur Les Eléments ont offert une version épurée du Requiem, fruit d’une sérieuse documentation qui justifie les choix d’esthétique musicale retenus par Jean-Marc Andrieu. Empreint d’un dramatisme intense, tout en retenue, ce Requiem saisit par sa puissante noblesse et son infinie humanité. En cette soirée, tout a contribué à la réussite particulière de l’exécution de l’œuvre. L’homogénéité du plateau vocal réunissait des familiers du travail du chef, rompus à ce répertoire : Anne Magouët (dessus), François-Nicolas Geslot (haute-contre) dans la partie habituellement assurée par Vincent Lièvre-Picard, Bruno Boterf (taille) et Alain Buet (basse-taille), tous animés d’un même souffle en harmonie avec l’orchestre et les chœurs sous la direction fervente et inspirée de Jean-Marc Andrieu, particulièrement à l’aise dans ce répertoire.

En seconde partie, le programme consacré à Antoine-Esprit Blanchard (1696-1770) a repris en partie celui donné avec succès dans le cadre du Festival Radio France et Montpellier Occitanie le 25 juillet. Les trois motets à grand chœur ont été enregistrés par Radio France à cette occasion. Blanchard est l’objet des dernières investigations de Jean-Marc Andrieu, toujours en quête de nouveautés qui enrichissent et approfondissent notre connaissance de l’histoire de la musique et celle du patrimoine régional. Poussé par une insatiable curiosité, il est allé consulter les manuscrits de ce musicien sur lequel Bruno Boterf avait attiré son attention. La rencontre avec Bernadette Lespinard, musicologue spécialiste de Blanchard, a facilité les recherches. Né à Pernes-les-Fontaines, dans le Comtat Venaissin, passé par Aix où il a suivi l’enseignement de Guillaume Poitevin après Gilles et Campra, maître de chapelle à la collégiale Saint-Victor de Marseille, à Toulon, à Besançon, à Amiens, puis sous-maître de la Chapelle Royale de Louis XV à Versailles où il s’éteindra en 1770, Blanchard n’a cessé de composer de la musique sacrée. Créé au Concert Spirituel en 1742, son De profundis sera exécuté sous sa direction pour les funérailles de la reine Marie Leczinska en 1768, c’est dire le prestige dont jouissait alors le compositeur dans le poste très convoité qu’il occupait.

Blanchard s’inscrit dans la grande tradition du motet français. La forme musicale qu’il choisit épouse celle des versets du psaume qu’il met en musique. Ses deux motets à grand chœur, Magnificat (1741) et In exitu Israel (1749) s’imposent par la combinaison évocatrice des timbres, l’alliance de majesté et de théâtralité, par le savant jeu de contrastes qui fait alterner la somptuosité du chœur et les parties solistes plus intimes soutenues par une instrumentation subtile et inventive. La musique de Blanchard exprime tout l’éventail des émotions, de la joie à l’effroi, elle varie ses effets, descriptive, elle fait surgir les images qui animent la parole chantée tels des tableaux sonores.

Le Magnificat exalte la gloire du Seigneur confiant aux solistes (Anne Magouët avec Cécile Dibon-Lafarge dans le duo Esuriente implevit bonis, dessus ; François-Nicolas Geslot, haute-contre ; Bruno Boterf, taille ; Alain Buet, basse) et aux trois magnifiques interventions du chœur (Magnificat anima mea Dominum, Fecit potentiam, Gloria Patri), les accents rythmés aux couleurs méridionales d’une foi reconnaissante envers un Dieu de bonté et de justice. Le motet In exitu Israel raconte la sortie du peuple juif d’Egypte. Au passage de la mer Rouge, l’eau se retire, le Jourdain remonte à sa source, les montagnes sautent, la terre tremble, toute une nature en éveil participe musicalement à l’événement extraordinaire qui se déroule selon la volonté divine que la musique traduit de manière évocatrice par une écriture orchestrale originale aussi bien pour les vents que pour les cordes, les timbales et l’orgue positif confié à Yasuko Uyama-Bouvard.

En ce 6 octobre les échos bouleversants de la musique sacrée ont résonné sous les voûtes de l’imposante cathédrale Saint-Etienne de Toulouse pour plonger l’auditoire dans la plus vive émotion, celle qu’éveille le sentiment de notre finitude et la quête de spiritualité que la musique peut combler. Les Passions, instrumentistes et solistes ainsi que leur allié, le chœur Les Eléments, ont atteint un haut degré de perfection dans un répertoire qu’ils interprètent avec un engagement qui force l’admiration. Formons le vœu que le Requiem de Jean Gilles et les motets de Blanchard puissent être écoutés dans la Chapelle Royale de Versailles, écrin idéal pour accueillir cette musique aujourd’hui.

Parallèlement aux manifestations musicales, s’est tenu les 6 et 7 octobre à l’Université Toulouse-Jean Jaurès un colloque universitaire en partenariat avec Les Passions et le Centre de Musique Baroque de Versailles sur le thème Musique, culture et identités dans les provinces du Sud-Ouest de la France ( XVIIe -XVIIIe siècles) qui a rassemblé plusieurs grands spécialistes du baroque français et des pratiques musicales dans la vie culturelle publique et privée des provinces du Sud-Ouest. Seize communications savantes ont animé ces journées sous la responsabilité scientifique de Philippe Canguilhem et la coordination de Françoise Escande.

Du 15 septembre au 15 octobre, a été organisée à la Bibliothèque d’Etude et du Patrimoine une exposition qui a mis à l’honneur Les maîtres du baroque méridional. Manuscrits musicaux, autographes de compositeurs, partitions, estampes ont fait revivre sous nos yeux la vie musicale très active sous l’Ancien Régime dans le Midi.



Publié le 09 nov. 2016 par Marguerite Haladjian