Vêpres - Monteverdi

Vêpres - Monteverdi © Julien Gazeau
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Le troublant mystère des Vêpres de Monteverdi

La dédicace des Vêpres contenue dans la partition publiée en 1610 est ainsi rédigée : « A la très Sainte Vierge : Messe pour six voix pour chœurs d’église et Vêpres à chanter à plusieurs avec quelques concertos sacrés, adaptés aux chapelles ou aux appartements des princes. Une œuvre récemment composée par Claudio Monteverdi et dédiée au Bienheureux Paul V pontifex maximus ». Elle a suscité controverses et désarrois chez les musicologues des deux siècles derniers : quelle était donc l’intention du compositeur au moment de cette publication ?

Les années qui précédèrent avaient été marquées par une intense production musicale de la part de Monteverdi. La publication du Livre IV (1602) puis du Livre V (1605) des Madrigaux avait été saluée par de nombreuses louanges. En charge de la chapelle du duc de Mantoue, il avait en parallèle produit deux opéras : L’Orfeo créé en 1607, puis L’Arianna en 1608 qui rencontra un succès plus grand encore auprès des contemporains. Pourtant, après la création de L’Arianna, c’est un Monteverdi éreinté, bien que théoriquement en pleine force de l’âge (il a alors 41 ans), qui retourne chez son père, à Crémone. Ce dernier supplie le duc d’alléger la charge de son fils pour ménager sa santé. Mais le duc refuse et ordonne à Claudio Monteverdi de revenir à la cour de Mantoue.

Monteverdi aurait-il composé ces Vêpres afin d’être auditionné par le Pape, et d’obtenir une charge à Rome lui permettant de fuir les exigences démesurées du duc de Mantoue ? De fait, les Vêpres mobilisent une grande variété de techniques musicales, tant anciennes (des polyphonies obéissant aux règles du contrepoint) que modernes (dans les concertos sacrés, avec des expressions monodiques utilisées par Monteverdi dans ses opéras). Elles constituent ainsi une sorte de « carte de visite » de l’étendue et de la variété des talents du compositeur, destinée à susciter l’intérêt du souverain pontife. C’est l’hypothèse du moins l’hypothèse qu’émet Paul Agnew dans sa notice de présentation du concert, et qui nous semble une explication tout à fait convaincante de la variété des genres mis à contribution dans cette partition.

S’il s’agissait du dessein caché de Monteverdi en composant cette partition, son voyage à Rome manqua son but : il n’obtint pas de charge auprès du pape. Toutefois, dès 1613, il obtenait le poste de maître de chapelle de la prestigieuse basilique Saint-Marc de Venise, dans une Sérénissime dont l’éclat rivalisait alors avec celui de la cité pontificale, et qui était en conflit latent avec la papauté depuis le début du XVIIème siècle.

Signe de l’intérêt du public de Vendée (ou venu de plus loin…) pour le Festival de Printemps des Arts Florissants, l’église Notre-Dame de Fontenay-le-Comte est pleine à craquer ce soir-là. Après une sonore harangue lancée a cappella par Paul Agnew, aussitôt relayée par le foisonnement de l’orchestre, au sein duquel dominent trombones et cornets, place au Dixit Dominus, riche de contrastes (le souffle léger de De torrente, avant l’énergique Gloria Patri, magnifié par des vents sonores). Accompagné par un généreux continuo (clavecin, deux théorbes, viole et harpe), Paul Agnew livre ensuite un Nigra sum tout en dépouillement, qui met en valeur la ductilité de son phrasé et la qualité de sa diction, parfois relevés d’aigus sonores qui emplissent la nef.

Nicholas Scott lance le Laudate pueri, au son des cornets ; son Amen final, en duo avec Paul Agnew, est saisissant. Le Pulchra es rassemble tour à tour les deux sopranos (Miriam Allan et Violaine Le Chénadec), qui unissent leurs voix dans la section finale. L’orgue de Jean-Luc Ho se fait particulièrement présent dans le Laetatus sum, lancé par Paul Agnew et repris par un tutti plein d’allégresse. On retrouve les vents pour souligner la gloire de Dieu dans le Gloria Patri final.

Le Duo Seraphim est confié à Paul Agnew et Nicholas Scott, particulièrement complices dans les échanges ; ils sont rejoints par Rodrigo Carreto pour la strophe finale (Tres sunt). Le timbre de Miriam Allan se signale par sa sonorité claire et incisive dans la polyphonie du Nisi Dominus, accompagnée du seul continuo. Cordes et vents viennent relever le Gloria Patri conclusif, avec les notes brillantes du cornet d’Adrien Mabire sur l’Amen final.

L’Audi caelum bénéficie d’une mise en espace pertinente et évocatrice : Rodrigo Carreto, accompagné d’un théorbe, répond depuis la tribune de l’orgue de l’église, à la prière qui lui est adressée par Nicholas Scott depuis le chœur. Son timbre aux couleurs célestes, généreusement projeté, emplit ainsi l’église. Les autres solistes et l’orchestre les rejoignent (Omnes hanc) pour les dernières sections.

Le Lauda Jerusalem Dominum s’achève sur un magnifique finale, dans lequel brillent à nouveau les cornets. La Sonata a 8. Sopra Santa Maria réunit à nouveau Miriam Allan et Violaine Le Chénadec, entourées de deux violons (Magdalena Sypniewski et Roxana Rastegar), deux cornets (Adrien Mabire et Benoît Tainturier) et trois trombones (Alexis Lahens, Adam Bregman, Arnaud Bretcher). Les passages instrumentaux y sont exécutés avec précision et virtuosité.

Les timbres graves des deux altos de la formation (Blandine de Sansal et Mélodie Ruvio) soulignent la solennité et le recueillement des prières qui constituent les deux dernières strophes de l’Ave maris stella, avant un éclatant finale rehaussé des cornets et des trombones.

Le concert se conclut sur l’éclatant Magnificat, polyphonique, où brillent les cornets (éclatants dans le Deposuit potentes) et les violons. Nicholas Scott lance la prière finale (Gloria Patri) avec un magistral effet d’écho, éclatant panache final de cette brillante soirée.

Une performance musicale et vocale saluée par de chaleureux applaudissements d’un public qui se lève pour mieux manifester sa satisfaction et son enthousiasme. Un triomphe amplement mérité !



Publié le 30 avr. 2024 par Bruno Maury