Créer pour Louis XIV. Les manufactures de la Couronne sous Colbert et Le Brun

Créer pour Louis XIV. Les manufactures de la Couronne sous Colbert et Le Brun ©Mobilier National, Thibaut Chapotot
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Les arts décoratifs au service de l’absolutisme de Louis XIV

Si les arts ont eu de tout temps des liens plus ou moins étroits avec les pouvoirs politiques, économiques ou religieux de leur temps, cette relation se renforce considérablement en Europe lors du foisonnement artistique de la Renaissance. La possession d’œuvres d’art est désormais un signe de pouvoir reconnu et recherché par les princes : ceux-ci ont désormais compris que s’entourer d’artistes pouvait apporter autant de prestige que mener des campagnes victorieuses – et bien moins de risques ! De même que la diplomatie, le mécénat sert désormais les mêmes buts que la guerre, avec d’autres moyens.

De l’encouragement des artistes à la célébration de la gloire du monarque, le chemin est parfois très court, et les commandes artistiques des princes servent plus ou moins ouvertement à leur renommée. La monarchie française a largement pratiqué cette démarche : la galerie illustrée par le Primatice dans le château de Fontainebleau à la gloire de François Ier en constitue un prestigieux exemple. Le roi en portait dit-on la clé en permanence autour du cou, et en réservait la visite à ses hôtes de marque, à commencer par son rival Charles Quint, qui n’en possédait pas de pareille.

Un siècle et demi plus tard, et de manière cette fois systématique, Louis XIV mobilisera l’ensemble des arts au service de son prestige politique intérieur et européen. Cette démarche inspirée par un dessein politique omniprésent aura toutefois une répercussion artistique considérable, puisqu’elle portera également le rayonnement des artistes français dans l’Europe entière tout au long du XVIIIème siècle. L’exposition du Mobilier National nous présente quelques-unes des plus belles pièces fabriquées à cette période, et nous éclaire aussi de manière pédagogique sur la fondation et les débuts de la prestigieuse Manufacture des Gobelins.

A l’entrée de la Galerie un imposant portrait équestre de Louis XIV, copie attribuée à Pierre Rabon (1613 – 1684) d’un original peint par Charles Le Brun (1619 – 1690), accueille le visiteur. Le Brun fut le premier directeur de la Manufacture Royale des Gobelins : son bureau supposé (bien qu’il semble de fabrication postérieure, comme l’indique le cartel) est exposé immédiatement à droite de l’entrée. Peintre de talent, Le Brun était entré comme d’autres artistes de l’époque au service du surintendant Nicolas Fouquet. La fête somptueuse donnée par ce dernier à l’été 1661 dans son château de Vaux-le-Vicomte en l’honneur du roi causa sa perte : il fut arrêté quelques mois plus tard, injustement accusé et condamné au bannissement. Mais la vindicte royale, probablement aiguisée par le clan Colbert, le poursuivit encore : le roi exerça son pouvoir de grâce… en commuant la peine en emprisonnement à vie dans la forteresse de Pignerol, où il finit ses jours. Tous comme les artistes, les artisans (notamment les lissiers) réunis par Fouquet dans l’atelier de Maincy (créé pour meubler le château de Vaux) furent dirigés vers le nouvel enclos des Gobelins, acquis par le roi en 1662 pour y abriter la Manufacture. Il s’agissait de terrains bordant la Bièvre, dont les eaux étaient utilisés par des teinturiers installés de longue date (dont ceux de la famille Gobelin, qui donnèrent leur nom au lieu). D’autres artisans, d’Italie et des Flandres notamment, y furent attirés grâce à l’hébergement fourni et à l’espoir de bonnes rétributions, voire d’une naturalisation. Les bâtiments dressés dans l’enclos s’organisent autour de plusieurs cours ; ils abritent ateliers et logements, favorisant un mode de vie communautaire représenté à travers quelques gravures.

Cette démarche n’était à vrai dire pas totalement nouvelle : Henri IV avait déjà pris l’initiative en son temps d’accueillir des artisans étrangers au Louvre. Cette fois le projet est d’envergure, et revêt un double aspect, dont les deux facettes sont intimement liées. Au plan économique, il s’agit d’éviter de coûteux achats à l’étranger, en produisant en France les meubles, tentures, tapis, statues,… destinées aux demeures royales. Au plan politique, cette production locale doit contribuer au rayonnement de la monarchie, par l’élaboration de pièces s’inscrivant dans des programmes iconographiques et symboliques tous destinés à magnifier la gloire royale. En tant que peintre, Le Brun assure ainsi également la production des cartons, tableaux simplifiés qui permettent la réalisation des tapisseries sur les métiers de haute et basse lice. Les sculpteurs, comme le romain naturalisé Jean-Baptiste Tuby (1629 - 1700), produisent les statues destinées aux bosquets de Versailles : en témoignent un Paon, et un Amour dévidant la pelote du fil d’Ariane, vestiges de plomb du célèbre Bosquet du Labyrinthe créé par André Le Nôtre (1603 – 1700) sur le thème des fables d’Esope. Le sculpteur le plus célèbre de la Manufacture était toutefois Antoine Coysevox (1640 – 1720), qui s’illustra par la finesse et le réalisme de ses bustes : il est présent à travers un buste de Colbert, exposé à l’étage.


Plateau de table incrusté de pierres dures

Une autre production importante est celle des plateaux de pierres dures, réalisée essentiellement par des artisans italiens. L’exposition en regroupe plusieurs exemplaires somptueux. Un monumental cabinet d’ébène, aux panneaux de pierres dures et orné de bronzes dorés, fabriqué par des artisans parisiens et propriété du musée des Beaux-Arts de Strasbourg, offre également un témoignage impressionnant du caractère ornemental que pouvaient revêtir certains meubles ; il s’agit d’une des plus belles pièces de l’exposition. Les pièces les plus prestigieuses de cette époque ne sont toutefois malheureusement plus visibles : le Mobilier d’argent était constitué de deux cents pièces produites aux Gobelins à partir de 1661, dont un impressionnant trône d’argent dû à l’ébéniste Domenico Cucci (1635 - 1704). A partir de 1682, celles-ci furent placées à Versailles dans le Grand Appartement du Roi et dans la Galerie des Glaces afin d’impressionner les visiteurs. L’ensemble a été fondu dès 1689, afin de financer la guerre de la Ligue d’Augsbourg (1688 - 1697). Grâce à la réalité virtuelle, un documentaire vidéo projeté au fond de la Galerie nous les reconstitue partiellement. Ce mobilier, qui représentait plus de vingt tonnes d’argent pur, a toutefois rempli sa fonction exemplaire, puisqu’il a inspiré d’autres cours d’Europe.


Cabinet d’ébène, pierres dures et bronzes dorés. Fabrication parisienne

Parallèlement à la production de nouvelles pièces assurée par la Manufacture, Colbert, surintendant des Finances nomme en 1663 un de ses proches, Gédéon Barbier du Mets, aux fonctions d’Intendant du Garde-Meuble de la Couronne. Celui-ci doit en particulier réaliser l’inventaire complet des meubles contenus dans les palais du Roi-Soleil. Cette tâche considérable, jamais entreprise jusque-là, dure de longues années. En 1691, Colbert de Villacerf (cousin du ministre) devient surintendant des Bâtiments du Roi : les bâtiments et leur contenu ne sont plus le simple fruit d’un caprice royal, mais une véritable affaire d’État ! De même, l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres (ou petite Académie), créée par Colbert, a pour fonction de veiller aux programmes iconographiques des différents arts décoratifs, afin de s’assurer qu’ils contribuent efficacement à la gloire du souverain.

Signe de l’intérêt qu’ils manifestent envers la Manufacture, Louis XIV et Colbert s’y rendent en personne. La visite sera immortalisée dans des cartons de Le Brun, reproduits dans de hautes tentures. La Manufacture n’a pourtant pas le monopole de la fourniture des palais royaux, qui reçoivent des meubles et objets décoratifs confectionnés par les artisans des corporations parisiennes. La Manufacture collabora d’ailleurs régulièrement avec ces dernières. A la fin du siècle, la dispendieuse Guerre de la Ligue d’Augsbourg manque toutefois de provoquer sa disparition : les ateliers sont mis en sommeil, à l’exception de ceux des lissiers, qui se poursuivent avec une activité réduite.


La portière de Mars

Les tapisseries constituent bien évidemment le thème central de l’exposition ; la plupart sont présentées dans un très bon état de conservation. Au rez-de-chaussée, le visiteur est ainsi ébloui par les riches couleurs de la Portière de Mars, riche mélange de laine et de soie. Juste derrière sont présentées les quatre tentures du programme des Eléments (la Terre, l’eau, l’air, le feu). Tissées aux Gobelins, elles furent offertes au grand-duc de Toscane Cosme III, lors de son passage à Paris en 1669. La tenture de L’Eau est accompagnée de son carton ; ces derniers sont rarement conservés, car usés par les tissages successifs. Mais c’est assurément l’étage qui met le mieux en valeur les tissages, avec de riches tentures brodées d’or ou d’argent sur les murs, et de somptueux tapis de la Savonnerie jetés au sol. Atelier situé sur la colline de Chaillot, la Savonnerie avait été réunie aux Gobelins dès leur création. Dans une salle attenante, un documentaire vidéo présente les tapisseries du programme de l’Histoire d’Alexandre, livrées au roi à partir de 1677. Ajoutons enfin que de courts extraits d’œuvres de Lully, Charpentier et autres compositeurs de l’époque du Roi-Soleil diffusent un discret fonds sonore tout au long du parcours.


La galerie, premier étage

Une très belle exposition, à ne pas manquer pour les amateurs d’art baroque… et les autres !



Publié le 14 nov. 2019 par Bruno Maury