Dessiner le quotidien - La Hollande au Siècle d'or

Dessiner le quotidien - La Hollande au Siècle d'or ©Louvre éditions - Liénart éditions - Arts Graphiques
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Willem Goerre dans son « Introduction générale à l’art du dessin » (cité par Olivia Savatier Sjöholm, page 8 in catalogue de l’exposition) explique que « de nombreux et bons maîtres (…) ont pris l’habitude de dessiner chaque jour tout au long de leur vie (…) et ils ont dessiné des académies aussi bien que des choses ordinaires… ». Dessiner devient alors pour ces peintres une pratique quotidienne, un peu à l’image d’un pianiste ou d’un chanteur qui fait ses gammes !

L’exposition du Louvre présente 93 feuilles issues des collections françaises. Elles permettent d’explorer nombre de motifs tirés de la vie quotidienne hollandaise en offrant au visiteur l’occasion de scruter, au plus près, le monde dans lequel ces artistes évoluaient.

Dès l’entrée, une carte murale, datée de 1608, indique le cadre géographique de la jeune république hollandaise ainsi que les principales villes devenues rapidement d’intenses foyers artistiques. Puis deux thèmes sont proposés aux visiteurs : le monde des villes et le monde des campagnes.

Dans les Pays-Bas du XVIIème siècle, plus de la moitié de la population vit en milieu urbain. Cette concentration dans des agglomérations est un fait unique dans une Europe encore essentiellement rurale. Scènes de rue, petits métiers, vie domestique, divertissements voire l’univers plus particulier du monde militaire en sont les reflets.

Toutes les classes sociales sont représentées et se mêlent dans diverses scènes hivernales. La gouache et aquarelle, « Patineurs et traineaux sur glace » (vers 1615/1620) de Hendrick Avercamp (1585-1634) en est un bel exemple. Au premier plan, une femme est accroupie chaussant son patin. Si le paysage y est à peine esquissé, ce n’est plus le cas dans la « Scène hivernale avec patineurs et traineaux aux abords d’une ville » (vers 1670/80) de Gerrit van Battem (1636-1684) : des arbres, une église, une tour au second plan figurent une ville impossible à identifier… des couples de patineurs, des luges ou traineaux, une famille attablée (sur la droite du dessin), des soldats (sur la gauche) ou la foule qui se presse pour se réchauffer devant des tentes participent à l’univers typique de ces contrées septentrionales aux hivers rigoureux !


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Scène d’hiver, Hendrick Avercamp – Gouache et aquarelle © Beaux-Arts de Paris, Dist. RMN-Grand Palais / image Beaux-Arts de Paris

Plus particulier, un dessin très achevé de Jan van der Heyden (1637-1712), « L’incendie de l’ancien hôtel de ville d’Amsterdam le 7 juillet 1652 » présente de façon détaillée à la fois l’inefficacité des pompiers (transport de grandes bâches pour protéger les bâtiments environnants… porteurs de seaux d’eau…) et ce qu’il préconise, en tant qu’ingénieur (une pompe puisant directement l’eau dans les canaux).

Divers dessins, généralement sur papier bleu, illustrent des personnages vêtus à la mode des années 1620. L’artiste dessine avec soin la jeunesse dorée de l’époque ! L’ « Etude de jeunes hommes élégants » attribuée à Esias van de Velde (1587-1630), avec son foisonnement de détails, en est le parfait exemple : haut chapeau cylindrique avec des plumes, fraise épaisse et manteau drapé sur l’épaule ou pourpoint à manches pendantes ; l’épée que porte le jeune homme de droite, regard narquois voire arrogant et poing sur la hanche, indique son appartenance à la haute société. Plus loin, un portrait en pied d’une « Femme richement vêtue assise près d’une table » est lui aussi dessiné sur ce papier bleu que les artistes vénitiens du XVème siècle affectionnaient, papier bleu adopté en ce XVIIème siècle par les artistes hollandais. Pieter Cornelisz. van Slingellandt (1640-1691) représente cette femme richement vêtue (collier de perles, châle noué par de gros rubans et cheveux attachés de chaque côté du visage, eux aussi par des nœuds de ruban), quelques rehauts de blanc créant des effets de lumière.

Plusieurs feuilles présentent des personnages se livrant à leurs occupations quotidiennes soit dans leur maison soit au dehors, dans une taverne ou sur leur lieu de travail. Ces dessins fournissent nombre de renseignements sur ces occupations. La représentation féminine y est importante. La vie quotidienne est, d’ailleurs, un thème central dans l’œuvre de Rembrandt (1606-1669). La « Femme assise avec un enfant sur les genoux » traduit un moment d’intimité familial : elle porte encore sa coiffe de nuit et tient contre elle un enfant au regard éveillé. Seuls quelques traits peuvent suggérer le lieu où elle est assise. Avec la « Femme à la fenêtre » (vers 1655), qui sert de jaquette au catalogue, Rembrandt dessine à nouveau une femme dans l’univers domestique. Elle est chez elle et regarde au dehors, appuyée sur le rebord de la fenêtre. Cette fenêtre marque le seuil symbolique entre la vie paisible du foyer et le tumulte (que nous imaginons) de la vie extérieure. Dans un dessin très abouti, « Portrait de Cornelis Claesz. Anslo » (1640), l’artiste montre un riche marchand prêt à se lever de son fauteuil. Le geste de sa main permet de penser qu’il s’apprête à fournir une explication à son interlocuteur, ce que confirme la représentation photographique du tableau qui en résultera : l’homme s’adresse à son épouse attentive, le regard porté sur lui ! Une scène de la vie conjugale parmi d’autres !

Suivent divers portraits féminins : la « Femme âgée en prière » (vers 1655) de Nicolaes Maes (1634-1693) rend hommage à la piété (mains jointes, yeux mi-clos comme perdus dans une profonde prière) et à la vertu des femmes âgées… Avec la « Femme lisant une lettre » de Jan de Bisschop, dit Episcopus (1628-1671) nous abordons un thème qui rencontre un vif succès dans la haute société : l’écriture ou la lecture d’une lettre sont maintes fois représentées par de nombreux artistes. La jeune femme est richement vêtue, porte un collier de grosses perles, de son chignon pendent, sur ses épaules, de grosses boucles très à la mode à l’époque… mais elle ne semble pas lire sa lettre puisqu’elle nous regarde ! Citons également « La Faiseuse de crêpes » attribué à Gabriel Mestu (1629-1667) : de cette femme d’âge mûr se dégage calme et sérénité. Ses vêtements indiquent, cette fois-ci, qu’elle appartient à la classe moyenne. Un dessin qui prône, lui aussi, les vertus domestiques !


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La Faiseuse de crêpes, Gabriel Metsu – Pierre noire – Paris, Petit Palais (Musée des Beaux-Arts de la ville de Paris) © RMN-Grand Palais / Agence Bulloz

L’univers militaire donne lieu à diverses représentations. « Un mousquetaire faisant feu de son arme » (Jacques II de Gheyn, 1565-1629) offre à notre regard un dessin très abouti, fourmillant de détails tant au niveau du costume (culotte à boutons retenue aux genoux par des nœuds harmonieux) que de l’arme qu’il met à feu… Avec les « Soldats se chauffant au feu » (Gerard II ter Borch, 1617-1681) nous découvrons des cavaliers élégamment vêtus, chaussés de grosses bottes éperonnées, fumant en devisant autour d’un feu placé à même le sol. La lumière produit par ce feu éclaire l’ensemble de la composition. Des cavaliers encore avec cette scène de « Campement de cavalerie » due à Barend Gael (1630/35-1698) : des soldats se reposent auprès de tentes dressées (sur la gauche) alors qu’à la droite du dessin des chevaux, harnachés, sont en attente d’être montés. Le calme de la scène est comme « perturbé » par un cavalier semblant arriver au trot !

Le monde rural que nous découvrons au travers des scènes de genre est celui du paysan, du pêcheur mais aussi celui du colporteur, voire du musicien ambulant. Ce sont souvent des êtres mal dégrossis, s’adonnant aux ripailles, à la boisson et au tabac (pratique nouvelle jugée répréhensible) voire au jeu.

Retrouvons Hendrick Avercamp qui campe « Deux pêcheurs au bord de la mer »(1627) : ils partent emmitouflés dans leurs vêtements d’hiver, chaussés de patins à glace, munis de leurs paniers, cannes à pêche et grande nasse. Pas de réelle composition dans cette aquarelle à rehaut de gouache, les personnages marchant les uns derrière les autres ! Le dessin d’Esaias van de Velde, « Marins au bord de la mer » (1628), présente trois hommes discutant puis, à l’arrière-plan, un homme qui s’éloigne, courbé sous le poids de son panier alors qu’un cinquième, assis de dos, contemple l’activité qui règne sur la plage où plusieurs bateaux accostent.

Quittons le milieu de la mer ! Abraham Bloemaert (1564-1651) saisit, comme sur le vif, la scène d’un « Marchand ambulant attaqué par un chien devant une ferme » (1614). Nul autre personnage dans cette composition ; à l’arrière-plan la fumée s’échappe de la cheminée de la ferme, la remise abrite un chariot alors qu’au premier plan le soc d’une charrue semble abandonné !

Le thème du colporteur se retrouve dans divers dessins de Cornelis Dusart (1660-1704) : « La Marchande d’oublies ambulante » au visage grimaçant, sans doute accablée par son labeur, marche dans un paysage désert rendu comme menaçant par l’emploi du lavis brun. « Le Marchand de balais ambulant », courbé sous le poids de sa charge, tend l’un de ceux-ci à une femme à sa fenêtre, en contre-bas de la rue. Ou encore « La marchande de poissons ambulante » qui essaie d’attirer l’attention d’une femme et de son enfant, eux aussi, penchés à leur fenêtre.


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La Marchande d’oublies, Cornelis Dusart – Plume et encre brune, lavis brun © Beaux-Arts de Paris

Indigents, vagabonds, voire bohémiens constituent un monde marginal illustré dans une feuille de Willem de Heer (1637/38-1681), « Bohémiens lors d’une fête villageoise ». Admirons la finesse du détail de la scène au premier plan : un chien lèche, semble-t-il avec douceur, le visage d’un enfant alors qu’au second plan, une diseuse de bonne aventure tient la main d’une élégante bourgeoise. C’est la même finesse du trait dans la composition des groupes ou du paysage à l’arrière-plan dans la scène des « Vagabonds au repos ».

Adiaen van Ostade (1660-1685) pénètre l’intimité familiale avec sa « Faiseuse de crêpes » (vers 1673). Elle est reprise dans l’aquarelle et gouache intitulée « La cuisine en sous-sol ». Nous y retrouvons les mêmes personnages : le père filant la laine, le chat devant l’âtre qui regarde la poêle où la mère confectionne une crêpe, les enfants… A noter les tons clairs employés dans l’aquarelle et les fenêtres agrémentées de carreaux au dessin très précis rappelant plutôt une habitation villageoise qu’une ferme paysanne ! Cornelis Dusart évoque, lui aussi, dans « La Poupée », la sérénité d’un moment où la famille est réunie devant l’âtre : le père montre, pour le distraire, un poupée à son bébé emmailloté, qui repose dans les bras de sa mère… Comme bien souvent, notons la présence d’un animal familier, ici un chien. Puis, comme ce fut le cas pour le monde urbain, sont exposés des portraits de vieilles femmes souvent assises l’une devant son rouet, l’autre en compagnie de son chien.

Les scènes d’auberge sont mises à l’honneur. Elles ont pour chef de file, Adriaen von Ostade. Sa « Rixe à la taverne » (vers 1653) esquisse une bagarre où une chaise est brandie, une table renversée alors que des personnages essaient de contenir leurs adversaires, en particulier, cet homme, aux yeux exorbités, qui brandit un couteau. Nous pouvons rapprocher cette feuille des études, au style vif et aux traits brefs, d’Adiaen Brouwer (1605/06-1638). Les poses de personnages sont variées, parfois dessinées de différents points de vue : un homme torchant son enfant… une vieille femme chevauchant son compagnon déculotté… un côté quelque peu trivial à découvrir, ici et là, dans différents autres dessins !


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Rixe à la taverne, Adriaen von Ostade – Feuille d’études © Musée du Louvre

Mais il n’y a pas que des rixes ! Le cabaret offre des scènes plus calmes, plus joyeuses. Le prolixe Adriaen van Ostade dessine une certaine douceur de vivre dans « Une cour d’auberge » (1674) : si les paysans s’adonnent aux mêmes vices (cf. le regard aviné de l’homme au premier plan) le cadre est, disons, plus « bucolique » puisque les convives sont attablés sous une treille. Son frère, Isaac van Ostade (1621-1649) montre un ménétrier faisant danser, au son de son violon, un paysan quelque peu balourd sous l’œil goguenard d’autres paysans assis devant une vaste cheminée ! (« Scène de cabaret : ménétrier faisant danser un paysan », vers 1644).

Pour terminer la visite, retrouvons Cornelis Dusart et ses « Joueurs de quilles » (1688), motif traditionnel de la scène de kermesse, un temps de loisir fort apprécié ! Diverses scènes propres à ce genre de réjouissances occupent l’espace : au premier plan, bien évidemment le jeu de quilles (un joueur qui semble ivre jauge le coup à lancer alors qu’un autre s’apprête à lui donner un coup de pied !). Puis, au fur et à mesure, des petites scènes : des personnages attablés et buvant… d’autres dansant au son d’un violon… un couple s’enlaçant… d’autres encore, plus à l’arrière, se soulageant… de diverses façons ! Attitudes moqueuses voire outrancières, parfois grotesques qui peuvent faire penser à certains tableaux peints par les Brueghel ! Deux autres feuilles montrent les talents de l’artiste sous un jour différent : « Paysan tenant une cruche » et « Homme tenant une cruche et buvant dans un verre gradué ». La technique est plus raffinée : finesse du trait des costumes, utilisation de la sanguine pour les visages et les mains, rehauts de craie pour rendre la lumière.

La diversité de sujets traités met en scène le quotidien hollandais du Siècle d’or. Les études de figures présentent des personnages souvent bien campés, des personnages dans leur vie de tous les jours, d’autres se livrant à des plaisirs terrestres dont certains suscitent la réprobation. Ces études sont soit directement liées à une toile (voir notre chronique, Du dessin au tableau au siècle de Rembrandt), soit conçues pour être commercialisées. Il existe, en effet, une clientèle d’acheteurs/collectionneurs friande de ce type d’œuvres, certains d’entre eux prisant plus particulièrement les dessins aquarellés. Sans oublier que, si le dessin est un art apprécié, son apprentissage fait partie de l’éducation des élites !

Une belle exposition qui se visite avec plaisir grâce à une scénographie claire où tout est à portée du regard, offrant des explications pour chaque dessin ainsi qu’un encadrement à l’identique.



Publié le 30 mars 2017 par Jeanne-Marie Boesch