Enfants de la Renaissance

Enfants de la Renaissance ©Château royal de Blois
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Un intérêt nouveau pour la figure enfantine !

« De la fin du XVème au début du XVIIème siècle, la place de l’enfant et sa perception dans la société connaissent une profonde mutation. (…) Si bon nombre des pratiques et des préceptes de la Renaissance se rattachent à la tradition médiévale, d’autres témoignent d’une attention nouvelle accordée à l’enfant et à ses besoins spécifiques. » (Caroline zum Kolk, in catalogue de l’exposition). En effet, durant les années 1450-1560, la France connait une croissance démographique que l’on peut qualifier d’exponentielle ce qui va entrainer rapidement le rajeunissement de la société. La Guerre de Cent Ans et les ravages qui lui sont liés sont, pourrait-on dire, « oubliés » ! Néanmoins la société reste fragile. La mort décime les familles : la moitié des enfants meurent avant d’avoir atteint leur dixième année ! Avec les Guerres de Religion, avec le refroidissement climatique, la tendance s’inversera à nouveau.

L’enfant qui naît à la Renaissance, nait majoritairement à la campagne. La ville constitue un univers particulier où la mise en nourrice, pratiquée surtout par une élite aristocratique voire bourgeoise, est répandue. Quant aux enfants royaux, ils vivent souvent loin de leurs parents. Ainsi en est-il du château royal de Blois transformé en pouponnière, véritable « crèche royale » selon le mot de Pauline Poutrel (in magasine « Geo Histoire » juin-juillet 2019). C’est ce même château qui accueille l’une des manifestations phare des festivités du 500ème anniversaire de la Renaissance dans le Val de Loire. L’occasion également de fêter la reine Catherine de Médicis. Née un 19 avril 1519, elle y fit de nombreux séjours et y mourut le 5 janvier 1589 !

Pourquoi Blois ? La conservatrice en chef du château, Elisabeth Latrémolière, explique que le château n’a cessé de voir grandir les enfants royaux à un moment où la cour de France est encore itinérante. Ainsi y ont vécu les deux filles de Louis XII (lui-même né à Blois en 1462-1515) et d’Anne de Bretagne (1477-1514), puis les sept enfants de François Ier (1494-1547) et de Claude de France (1499-1524) qui elle-même y grandit. Sans compter les dix enfants nés de l’union d’Henri II (1519-1559) et de Catherine de Médicis ! Maison d’enfance, il le fut également pour la progéniture tardive d’Henri IV (1553-1610) et de Marie de Médicis (1573-1642).

La thématique de cette exposition est en soi une nouveauté dans la mesure où elle n’avait été étudiée, jusqu’alors, que pour les périodes du Moyen-Age et du XVIIème siècle. Plus d’une centaine d’œuvres (tableaux, sculptures, manuscrits, ustensiles, biberons, jouets,…) sont présentées. Le parcours se déploie en trois salles ayant chacune une approche différente : la « Naissance et petite enfance » évoque la grossesse et ses épreuves, l’accouchement, la maternité mais aussi un personnage essentiel, la nourrice. Puis, « L’univers enfantin », est consacré à la figure de l’enfant, son portrait, le mobilier utilisé ainsi que des objets de sa vie quotidienne. La dernière partie, « Grandir à la cour », aborde l’enfance et le quotidien des enfants royaux, dauphins et futurs princes de France. Ce parcours est jalonné de bornes interactives permettant d’explorer l’iconographie présentée ou de plonger dans la réalité quotidienne des jeunes princes ayant grandi ici.

Il est temps de pousser la lourde porte et d’entrer dans l’exposition ! Elle baigne dans une douce lumière. « Henri II, roi de France, Catherine de Médicis et leurs enfants » (1835) nous y accueillent. Scène rare que cette réunion familiale où le couple royal est représenté entouré de sept de leurs dix enfants, dont trois devinrent rois de France. Cette huile sur toile est une commande du roi Louis-Philippe (1773-1850) destinée à orner la galerie d’Apollon au Louvre. Alfred Johannot (1800-1837) peint ici une scène quelque peu « anachronique », plus en rapport avec l’idéal bourgeois du XIXème siècle : un couple contemplant sa progéniture. Remarquons l’attitude des personnages : la reine pose sa main sur la tête de l’enfant qui s’appuie sur les genoux maternels, un faucon sur son bras… deux autres enfants déchiffrent un livre… le dernier-né est sur les genoux de sa mère alors qu’à l’extrémité gauche de la scène, une fillette nous regarde… et sur la droite, le dauphin, épée au côté, est tourné vers son père. A proximité, une gravure (burin de 1602) représente « Henri IV et ses enfants » : le dauphin est assis sur les genoux de sa gouvernante. Le roi lui tient la main en présence de la reine. Remarquons les habits de cour, mais surtout la taille des personnages : sur la droite figure un petit personnage qui n’est autre que le duc de Vendôme, bâtard légitimé d’Henri IV. Il est moins grand que le nourrisson royal et porte son chapeau à la main en signe de révérence. Ainsi les codes de représentations sont respectés puisque seuls le roi et le dauphin sont coiffés !

Naissance et petite enfance.

A la Renaissance, chaque étape de la maternité est indissociablement liée à la mort, celle du nourrisson ou de sa mère. Ne l’oublions pas ! Et lorsqu’il s’agit des enfants royaux, les enjeux dynastiques ou ceux des lignages sont primordiaux. Ne pas avoir d’enfant, et surtout un enfant mâle… ne pas voir cet enfant arriver à l’âge adulte sont des craintes de tous les instants.

Le tableau attribué à Lambert Sustris (1515-après 1565) évoque « La Naissance de saint Jean-Baptiste ». Remarquons d’emblée la richesse de sa palette (tons dorés) et la minutie des détails, tant de la scène que du décor : nous sommes dans une grande pièce au plafond voûté évoquant l’intérieur d’un palais. Au centre, un grand lit à baldaquin posé sur une estrade. Une femme y est allongée. A ses côtés, elle tient un enfant debout ; une servante, de l’autre côté du lit, lui présente une assiette lui permettant de le nourrir. Dans la pièce, plusieurs groupes de femmes s’activent : travaux d’aiguille, soin du bain donnés à un bébé, une nourrice en arrière-plan,… Nombre de ces femmes ou de ces enfants sont richement vêtus.


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La Naissance de saint Jean-Baptiste, Lambert Sustris, XVIème siècle, Troyes, Musée des Beaux-Arts – inv.14.1 © Carole Bell, Ville de Troyes

Il est à rapprocher d’une faïence attribuée à l’Atelier du peintre de Zénobie (vers 1550/60), « La Naissance d’Esaü et de Jacob ». Décor d’architecture classique. Palette de tons bleus et jaunes éclairée par les touches de blanc des draps. Rebecca, étendue sur un lit à baldaquin, est entourée de sept femmes qui s’affairent. L’une d’elles fait chauffer un linge devant une cheminée ; deux autres s’occupent des enfants. Un autre émail peint représente l’ « Histoire de Joseph : la naissance d’Ephraïm » (vers 1570, Léonard Limosin 1505-1577 ?). Trois scènes dans cet intérieur cossu : la mère est alitée dans le fond. Au premier plan, des femmes s’occupent du nouveau-né alors qu’une troisième apporte un berceau. Mais la nouveauté est à observer sur la gauche de la représentation : nous y voyons des hommes qui festoient autour d’une table. La partie centrale, lacunaire, laisse deviner la présence de Joseph.

Une enluminure de Jean Mansel (1400-vers 1473), « La Fleur des histoires » (vers 1470/80) complète notre approche des scènes de l’enfantement. Sainte Anne, alitée, tient Marie dans ses bras. Cette dernière est complètement emmaillotée.

Plusieurs vitrines exposent manuscrits et livres. Traités d’obstétrique tels ceux d’Ambroise Paré (1510 ?- 1590) et de son disciple Jacques Guillemeau (1549-1613). Il y est également question de gynécologie, de puériculture voire de pédiatrie. Un manuel à l’usage des sages-femmes zurichoises (vers 1580). Le traité de Jakob Rüff (1505 ?-1558) et sa description du matériel médical (chaise d’accouchement, ancêtres des forceps,…) utilisé au XVIème siècle. Une lettre autographe de Jeanne d’Albret (1528-1572) qui écrit à sa tante, Antoinette de Bourbon, duchesse de Guise (1493-1583). Elle attend son premier enfant et parle de son inquiétude par rapport à une grossesse qui semble pénible. Elle lui demande d’être présente à ses côtés lors de la naissance de l’enfant.

Une curiosité : un « Talisman pour protéger la femme en couches ». Un objet rarissime car généralement détruit après l’accouchement ! Il s’agit d’un parchemin du milieu du XVème siècle, présenté ici ouvert (H 59 cm sur L 56cm). Soigneusement plié, il est enfermé dans une pochette scellée, le « sachet d’accouchée ». Il n’est jamais lu mais, à l’exemple de celui-ci, il fait appel à plusieurs saintes tutélaires dont Sainte Marguerite patronne des accouchements. Il comporte des extraits des Evangiles (Annonciation, Circoncision,…) mais aussi des invocations plus ou moins orthodoxes !

Sont exposés divers objets en faïence offerts aux accouchées, souvent avant l’accouchement afin d’encourager la parturiente : des écuelles, une coupe, un bol et son plateau. Les scènes représentées sont tirées de la Mythologie mais plus souvent de la Bible (ici, Moïse sauvé des eaux). Puis des biberons. Ceux qui sont exposés n’ont rien à voir avec ceux auxquels nous sommes habitués ! Ce sont des récipients le plus souvent en terre cuite, parfois en faïence. Le bec tubulaire permet à l’enfant de boire facilement. Ils sont munis d’une ou deux anses. Notons que ceux-ci servent également aux malades. Parfois une glaçure verte les recouvre ce qui permet une meilleure conservation du liquide. Pour les distinguer d’autres contenants, ces biberons sont souvent appelés « chevrette » (en rapport avec le lait de chèvre donné si le lait maternel vient à manquer). Lorsqu’il grandit, la mère ou la nourrice lui présente son repas dans une écuelle (ici en grès) à l’aide d’une cuiller (ici en étain). Ce repas consiste principalement en une bouillie de céréales cuites.

Arrêtons-nous sur cette huile sur bois d’après Gérard David (vers 1450/60-1523) : « La Vierge à la soupe au lait ». Les personnages prennent place dans un paysage avec, en arrière-plan, un château et des douves où nagent deux cygnes révélateurs de l’amour absolu qui unit ces deux êtres. L’enfant Jésus est assis sur les genoux de sa mère qui le nourrit de lait à l’aide d’une cuiller. Sur la table, le pain renvoie au symbole de l’Eucharistie. Les visages, les attitudes respirent la grâce et la douceur.

La nudité de l’Enfant contraste avec les représentations habituelles du nourrisson : pendant toute la période de l’allaitement, l’enfant est emmailloté, enveloppé des pieds aux épaules. Il s’agit, durant sa première année, de prémunir ses os contre toute déformation. Par la même occasion, il peut être protégé des rats en étant suspendu à un crochet ! Ce « maillot » est généralement une pièce de laine ou de lin un peu épaisse. Dans les familles princières un drap d’apparat recouvre ce tissu afin d’identifier le rang de l’enfant. D’ailleurs, comme nous le verrons par la suite, les bébés royaux ont une remueuse, une personne dédiée au démaillotement-emmaillotement plusieurs fois par jour !

« La Nourrice », petite statuette (H 25cm ; L 9,6 cm ; Pr 8cm) du premier tiers du XVIIème siècle, représente ce moment de l’allaitement. Un dessin de plume et lavis de l’école hollandaise (premier tires du XVIIème), « Les Nourrices », affiche un groupe de trois femmes réunies autour d’un demi-tonneau retourné. Sans doute des nourrices bavardant, des enfants avec elles. Deux sont debout mais le troisième a de la peine à se tenir dans cette position. D’ailleurs la femme semble lui resserrer son vêtement autour de la taille à moins qu’elle ne le maintienne ainsi. Le trait est vif, le tracé précis.


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La Nourrice, premier tiers du XVIIème siècle, Ecouen, musée national de la Renaissance, E.CI. 1830 © RMN-Grand Palais (musée national de la Renaissance, château d’Ecouen / Mathieu Rabeau

Univers enfantin.

L’enfant a grandi. Comment joue-t-il ? De quels jouets dispose-t-il ? Comment s’habille-t-il ? Autant de questions auxquelles répond cette seconde partie de l’exposition. Comme de nos jours, le jouet tient une grande place dans son épanouissement. Ils sont souvent la transposition en miniature des objets du monde des adultes.

Un dessin (plume et encre noire) attribué à Jean Cousin le Père (1503-1562 ?) témoigne des « Enfants jouant ». A droite, une petite fille, vêtue d’une robe, apprend à marcher dans un trotteur qui n’a rien à envier à nos youpala ! Elle est entourée de garçonnets nus, l’un poussant le trotteur, l’autre brandissant un drapeau. Au premier plan, un autre est entrain de déféquer ! Plus en arrière, au centre, un autre enfourche un cheval de bois et semble vouloir entrainer ses compagnons dans la bataille ! Gaité, insouciance émanent du dessin.


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Enfants jouant, D’après Jean Cousin le fils, XVIème siècle, Rennes, musée des Beaux-Arts, Inv. 794.1.2604 © MBA Rennes, Dist. RMN-Grand Palais / J. M. Salingue

Les vitrines abondent de figurines miniatures (un chien, un cavalier sur son cheval) en terre cuite qui sont autant de jouets. De même de la vaisselle (de véritables dînettes !) ou du mobilier qui peuvent également être en plomb-étain. Des armures miniatures en fer forgé, parfois gravé reproduisant dans les moindres détails les harnois réels. Elles évoquent un type de joute qui se pratiquait dans le monde germanique à la fin du XIVème siècle, le Gestch (lire les explications pages 194 et 195 du catalogue).

Une autre vitrine présente divers hochets en forme de trompette ou de sifflet. L’un d’eux, en argent, possède une dent de loup (qui protège l’enfant) entourée des grelots. Nous retrouverons un hochet identique plus loin dans l’exposition, sur la sanguine intitulée : « Portrait de César, légitimé de France, duc de Vendôme (1594-1665) ». Il s’agit du premier fils légitimé d’Henri IV et de Gabrielle d’Estrées (1573-1599). Notons qu’il s’agit d’un portrait en grand buste avec les mains. L’enfant est vêtu d’une robe d’apparat. Son bonnet est surmonté d’une aigrette, ornement que le roi arborait souvent dans ses portraits.

Ces hochets sont souvent des objets luxueux, pendentifs à suspendre à une chaine ou à une ceinture ainsi que le montre le « Portrait d’une princesse » (cercle de Frans Pourbus le Jeune, 1569-1622). L’enfant est ici peint devant une tenture aux tons rouge. Fille ou garçon, la question se pose malgré le titre du tableau. Rien ne l’indique. Mais il semble âgé de deux ou trois ans. Rappelons que filles et garçons portent indifféremment, jusqu’à l’âge de sept ans, une robe recouverte d’un « devantier », sorte de tablier parfois orné de dentelles comme c’est le cas de ce portrait. L’enfant porte autour du cou une chaîne qui retient son hochet ainsi qu’un double rang de perles de corail en bandoulière (comme on peut le voir sur divers portraits de petits garçons). La robe est de velours noir agrémentée de dentelles aux poignets, autour du tablier ou sur le pourtour de la fraise empesée, voire de la coiffure.


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Portrait d’une princesse, Cercle de Frans Pourbus, vers 1604, Majorque, Fondation Yannick et Ben Jakober, Inv, N°3 © Fundación Yannick y Ben Jakober Collection

A la mi-temps de l’exposition, une reconstitution évoque la chambre de l’accouchée. On y voit un lit à baldaquin aux tentures rouges, un cuvier, un berceau à bascule en bois, une chaise haute. Rappelons que le berceau est un meuble qui appartient à la sphère urbaine ou aristocratique. Dans les campagnes, l’enfant couche dans le lit de ses parents voire dans une sorte de hamac.

Puis deux portraits sont accrochés côte à côte. Le « Portrait d’un jeune enfant avec son tambour» (école française, premier quart du XVIème siècle) est celui d’un garçonnet comme certains détails de sa robe l’indiquent. Dite « à jaquette », elle est en coton jaune d’or et comporte des parements, une fraise et des poignets en dentelles comme ceux des hommes. Par ailleurs, il porte un chapeau en feutre, à haute calotte et large bord, caractéristique de la mode masculine du début du XVIIème. Il tient un tambour indiquant par la même la place importante que la musique tenait dans la vie quotidienne. La présence du singe (héritage culturel des cours moyenâgeuses) signale que les mammifères exotiques sont toujours présents dans l’entourage de la famille royale sous les Valois.

Le second est attribué à Sofonisba Anguissola (1532-1625). Il s’agit du « Portrait présumé de Maximilien Stampa » (1557). Le jeune garçon a quitté la robe de l’enfance. Il est vêtu de noir comme il se doit dans l’aristocratie italienne de cette époque. Son costume de velours est orné de riches dentelles au col et aux poignets. Il porte les accessoires de son rang : gants et épée au côté. De même pour ce qui est de la stature : il est accoudé à une colonne, un pied esquissant un pas en avant. Le chien qui dort à ses côtés fait le lien entre l’enfance et la maturité.

Un autre portrait : « Petite fille vêtue de brocart rouge avec une poupée » (cercle de Lavinia Fontana, 1552-1614). L’enfant porte une lourde robe de brocart de soie dans les tons rouille à motifs floraux dorés. Elle porte de nombreux bijoux : bagues, collier de corail et pierres noires, anneaux aux oreilles. Elle brandit de sa main gauche une poupée et tient dans l’autre une couronne tressée. Son regard perçant nous fixe avec intensité !

D’autres représentations de l’enfant s’offrent à notre regard. Une terre cuite émaillée, « Jeune enfant vêtu d’une tunique » (vers 1470/80, d’Andrea della Robbia, 1435-1525) : présenté à mi-buste, le jeune garçon est vêtu d’une tunique bleue, d’un manteau au bleu plus soutenu et vert. Le noir des sourcils et des yeux ressort du blanc laiteux du visage ce qui lui donne un air pensif, plein de douceur. Un marbre, « Une fillette coiffée d’un bonnet côtelé et portant une fraise » (vers 1575/80) : le visage est rond, joufflu, le menton marqué d’une fossette, les yeux attentifs. Des boucles s’échappent du bonnet. Une fraise tuyautée enserre son cou. Les épaules sont soulignées par des ailerons. Tout laisse à penser que la fillette est de haut rang.

Les portraits de famille, eux aussi, se multiplient dans l’Europe du XVIème siècle. Nous devons probablement à Frans Francken (1542-1616) ce « Portrait de famille » (1577). Ce n’est pas encore une scène de vie familiale, mais plutôt une juxtaposition de portraits. A l’arrière-plan sont accrochés les portraits des grands-parents. Deux personnages esquissent un geste : à droite le père montre du doigt son fils aîné qui, lui, désigne son père. Symbole de la continuité familiale ? Les codes vestimentaires permettent de situer chaque enfant dans sa « tranche d’âge » ! Sur la droite, une représentation peu habituelle d’un père qui tient de la main un nourrisson encore emmailloté, ici en rouge, ceci afin de le protéger des maladies. Devant eux, un jeune garçon encore en « jaquette » tient un moulinet dans ses mains. Sur les genoux de la mère, un enfant, coiffé du bonnet de la petite enfance, arbore un « devantier » et tient une cuiller dans sa main droite. La dentelle du bonnet est identique à celui porté par la mère ce qui pourrait indiquer qu’il s’agit d’une fille. Enfin, sur la gauche, le fils aîné porte un costume d’adulte : pourpoint, fraise mais surtout une épée au côté.


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Portrait de famille, Frans Francken, 1577, Le Puy-en-Velay, Musée Crozatier, 826.4 © Luc Olivier

Grandir à la cour

Naître à la cour signifie pour l’enfant de vivre loin de ses parents ! Cette troisième partie de l’exposition aborde le quotidien des princes de sang. Installés dans une maison qui leur est dédiée, ils grandissent entre les châteaux de Blois et d’Amboise. Ils sont séparés de la cour, une façon d’échapper aux complots voire aux épidémies ! Ils ne voient leurs parents que de façon épisodique. Mais… ils disposent de ce qu’on appelle une « Maison des enfants » (sorte de crèche avant l’heure !) avec tout un personnel à leur service, parfois jusqu’à trois cents personnes ! Selon le tableau exposé, on y trouve les incontournables nourrices mais aussi des femmes de chambre et des valets, des lavandières. Des gouvernantes et des médecins. Un apothicaire et un barbier. Dans le domaine de la bouche : des cuisiniers, des fruitiers mais aussi un sommelier ou un panetier. Et d’autres personnels plus insolites tels l’ébéniste ou le brodeur !

Une page extraite des « Comptes de enfants de France pour l’année 1551 » indique avec précision les dépenses faites pour les gages des officiers et le train de vie des enfants royaux. Les mises concernant les dépenses pour l’habillement sont particulièrement détaillées et le nom de plusieurs marchands blésois y figure. Deux autres feuillets (parchemin) concernent les « Compte de bouche du 22 mars 1521 » et « Compte de bouche du 16 avril 1525 ». Les sommes engagées diffèrent : pour le premier, nous sommes en période de Carême et de ce fait, le menu servi est maigre, essentiellement des poissons. Pour le second, il s’agit du jour de Pâques où la viande reparait sur la table !

Divers ouvrages sont présentés : des manuels d’éducation tels « La civilité qui se pratique en France parmi les honnêtes gens pour l’éducation de la jeunesse, avec une méthode facile pour bien apprendre à lire ». Il s’agit d’une adaptation d’Erasme par Antoine de Courtain publiée en 1671. Des auteurs anciens : « La vie des hommes illustres grecs et romains (…) translatées de grec en françois » (1559) de Plutarque ou « Les suppliantes » (vers 1540) d’Euripide, deux ouvrages traduits par Jacques Amyot, précepteur des fils d’Henri II. Un livre de dévotion : « Horae ad usum Parisiensem (Heures du dauphin François de France, futur François II » (1555/1/57). Ou encore, un ouvrage destiné au jeune roi Charles IX (1550-1574) : « Sommaire des grandes annales et croniques d’Angleterre » (1567) de Jean Bénard. Il est ouvert à une page où figure un paysage ayant en son centre les symboles (deux colonnes torses enlacées et couronnées) ainsi que la devise du roi (Pietate et Justicia).

Si les enfants suivent des cours de danse et de musique, les exercices guerriers font également partie de l’éducation des garçons et cela dès la petite enfance. En témoignent les armures exposées. Elles sont façonnées à leur taille (enfant de six ou sept ans) et souvent richement ornées. La « Demi-armure pour un enfant de la cour de France » (vers 1560) est « ornée sur toute la surface d’un réseau de rubans gravés et dorés, entrelacés à la façon d’un treillage, laissant apparaître le fond d’acier bleui. » (in catalogue). Une « Armure de lansquenet pour enfant » (vers 1550) d’origine allemande est, elle, plus légère : moins de trois kilos pour les cinq kilos de la précédente !


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Demi-armuure pour un enfant de la cour de France, vers 1560, Paris, musée de l’Armée, inv. G 188 © Paris – Musée de l’Armée, Dist. RMN-Grand Palais / Jean-Yves et Nicolas Dubois

Sont également exposées deux armures de joute destinées à des adolescents d’une douzaine d’années. Remarquons leur sobriété, leur polissage. La première (provenance allemande, vers 1580) est complète. Soigneusement et solidement forgée, à l’identique de celle des adultes, elle est de ce fait très lourde : 13 kilos ! La seconde de fabrication française (vers 1580) montre que certaines des pièces du harnois ont disparu. Par contre les deux trous visibles sur le côté droit de la poitrine permettent la fixation d’un crochet destiné à supporter la lance calée sous le bras.

La Renaissance est peu encline aux effusions maternelles ou aux relations parents-enfants telles que nous les connaissons. Néanmoins, le couple royal que forment Henri II et Catherine de Médicis s’enquiert régulièrement de leur progéniture. Nous le découvrons dans une page du « Recueil de lettres royales et princières » (1537 à 1558). La reine adresse, le 5 mai 1551, une lettre à la gouvernante de son fils Charles. L’enfant ne supportant pas le lait de sa nourrice, la reine en avait demandé le changement. Elle s’étonne ici que sa demande n’ait pas été suivie d’effet ! La première partie de la lettre a été dictée à un secrétaire, puis Catherine de Médicis la termine. Son orthographe est quasi phonétique. L’écriture est large, penchée vers la droite.

Des pages d’écriture, des gribouillages, voire des dessins produits par les enfants royaux sont conservés. Le médecin Jean Héroard (1551-1628) tient fidèlement un journal dans lequel il consigne, jour après jour (de 1605 à 1627), la vie du dauphin, futur Louis XIII (1601-1643). Il y retrace dans les moindres détails les maladies, les caprices, les apprentissages de son royal patient ! Il a également conservé des dessins dont celui que nous pouvons admirer : un « bonhomme » dessiné le 30 octobre 1607 à Saint-Germain-en-Laye. Le peintre Martin Fréminet a guidé la main du petit dauphin alors âgé de six ans !


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Journal de la vie active du roy Louis [XIII], Jean Héroard, Figure d’homme, dessin de la main du dauphin Louis XIII, Paris, Bibliothèque nationale de France, Français 4022 © BnF

Dans cette dernière salle sont exposées diverses représentations des enfants royaux. D’abord des dessins sur papier, pierre noire et sanguine avec rehauts de pastel (bleu ou jaune), voire d’aquarelle. Le célèbre « Portrait de François, dauphin de France puis François II, roi de France et d’Ecosse (1544-1560) » dû à François Clouet (vers 1515-1572). Gravité et majesté émanent de ce portrait qui est l’ultime représentation de ce jeune roi. Catherine de Médicis fit rattacher un peintre à la maison des enfants royaux. Il avait pour « mission » de dessiner les visages des petits princes et princesses afin de la consoler de leur absence. Ainsi le « Portrait de Claude de France (1547-1575), future duchesse de Lorraine » (1555) de la main de Germain Le Mannier (actif entre 1530et 1560). Il ne s’agit pas d’un portrait officiel en tant que tel. L’artiste saisit la gaité, la spontanéité dans le visage, dans le regard bleu de son modèle. Le rendu du vêtement est plus rapide.

Une toile nous présente le « Portrait présumé de Henri IV enfant ». Tenue élégante du jeune prince sans doute âgé de sept ou huit ans. Remarquons la toque rouge (assortie aux chausses) ornée de perles et d’un plumet blanc… le cordon de l’ordre de Saint-Michel autour du cou… Egalement les objets posés à ses pieds : une sorte de stylet attaché à une chaîne, une boussole, un compas et une carte. Le tout permet d’insister sur l’instruction qui lui a été donnée.

Deux tableaux de grandes dimensions complètent la visite. Une huile sur toile de Charles Martin (vers 1562-1646) présente « Marie de Médicis et le dauphin Louis » (1603). Un portrait qui respecte les conventions du portrait de cour : visages impassibles et pose comme figée, le tout sur un fond monochrome. Sur la gauche il est fait mention de son âge : « âgé de 27 mois ». De ce fait, il porte encore la robe de la petite enfance mais a la poitrine barré du cordon bleu de l’ordre du Saint-Esprit et tient à la main une pique en lieu et place de l’épée. La reine pose sa main droite sur la tête de l’enfant. Il s’agit là sans doute plus de marquer le lien dynastique que l’affection maternelle.


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Marie de Médicis et le dauphin Louis, Charles Martin, 1603, Blois, château royal de Blois, inv. 861.14.3 © Château royal de Blois / photo. F. Lauginie

Enfin, une toile de Gillot Saint-Evre (1791-1858) intitulée « Education de Marie Stuart à la cour d’Henri II » (1836). Nous retrouvons l’empreinte de la Monarchie de Juillet dans la commande de ce tableau ! Reconstitution soignée et précise des costumes ou de l’architecture à partir de documents de l’époque. La future reine apparait isolée au milieu de la foule princière, toute à la déclamation d’une oraison en latin qu’elle a composée. Son futur époux, le dauphin François, semble absent alors que le cardinal de Lorraine lui parle à l’oreille. Assis au premier plan, le roi est pensif, la reine songeuse. Un moment de la vie à la cour qui semble comme figé !

Ainsi s’achève notre visite, notre plongée dans les us et coutumes du monde de l’enfance à la Renaissance. La figure enfantine fait son entrée en tant que telle dans le domaine artistique, en parallèle avec la reconnaissance de son individualité et de sa distinction du monde de l’adulte. La notion de famille se met doucement en place. La période voit apparaitre les premières méthodes d’apprentissage. Ainsi le livre de civilité et de morale à l’usage des enfants publié en 1530 par Erasme sera traduit et diffusé dans toute l’Europe.

Remercions les auteurs de cette exposition de nous avoir permis cette découverte ! D’une grande richesse scientifique, elle présente, à la fois, des œuvres exceptionnelles et des objets étonnants. Deux bémols cependant : les fiches explicatives relatives aux objets exposés sont parfois difficiles à lire du fait de leur accrochage trop bas et de la relative discrétion de la lumière. Le second aura sans doute été réparé depuis notre visite mi-juin : il concerne l’inversion de deux fiches explicatives dans une des premières vitrines… entre la gravure de la chaise de la parturiente et celle concernant la planche des soins destinés à la petite enfance et inversement !

Une mention spéciale pour le catalogue de l’exposition : il est plus qu’un simple catalogue car toute la longue première partie trace parfaitement le contexte du sujet de cette exposition.



Publié le 04 juil. 2019 par Jeanne-Marie Boesch