Galerie des carrosses - Versailles

Des fastes royaux aux ors de la République

Récemment ouverte au public, la Galerie des Carrosses offre au visiteur une mise en regard croisée de pièces rares du XVIIIème siècle avec leurs plus prestigieuses héritières du XIXème. Le carrosse est né dans la seconde moitié du XVIIème sicèle. Vers 1660-1665 Jean Le Pautre imagine une grande voiture à caisse entièrement fermée, avec un train avant fixé sous de grands arcs métalliques, qui autorisent un débattement des roues à quatre-vingt dix degrés. Le nouveau véhicule peut ainsi se déplacer plus aisément dans les rues encombrées de la capitale, en offrant confort et intimité à ses occupants. Plus tard la caisse est suspendue par des soupentes à de grands ressorts métalliques, ce qui en améliore le confort : la berline est inventée, dont le succès se prolongera jusqu'à la fin du XIXème siècle.

La visite commence justement par une riche berline de gala de la présidence de la République, rapatriée de l'ambassade de Londres pour la visite du tsar Nicolas II en 1896. La sobriété de sa décoration extérieure, noire rehaussée de filets dorés, contraste avec le luxe de son intérieur, qui justifie un poids de près de deux tonnes... L'élégant coupé de gala qui lui fait pendant, rapatrié de l'ambassade de Madrid pour la même occasion, accuse un poids à peine inférieur. Tous deux témoignent du degré de raffinement et de confort auquel était alors parvenu l'art de la carrosserie française, s'exerçant dans le même temps à créer les premières automobiles qui allaient sonner le glas des voitures à chevaux.

Sur la gauche de la longue galerie s'offrent en enfilade les berlines conçues pour Napoléon Ier. La Cornaline, riche berline de ville aux armes de l'Empereur, fut réalisée en 1810 pour le mariage avec Marie-Louise. Le luxe déployé pour cette cérémonie dépassa celui des Bourbons, en alignant pour le cortège nuptial plus de quarante voitures de gala, là où celui des mariages royaux n'excédait pas trente voitures. A cette fin la plupart des berlines du sacre de 1804 furent réutilisées, comme la splendide Brillante, conçue par Getting à Paris. Après d'autres berlines du sacre s'offre à nos yeux la magnifique berline du duc de Bordeaux, réalisée en 1808 par le même Getting pour le roi Jérôme, et enrichie en 1821 à la demande de Louis XVIII pour le baptême du fils posthume du duc de Berry, « l'enfant du miracle ». Cette pièce extraordinaire sera réutilisée sous Napoléon III pour le baptême du prince impérial, en 1856. Ainsi, d'un régime à l'autre, les plus belles pièces sont conservées, transformées et réutilisées pour donner un éclat particulier aux cérémonies les plus solennelles.

La pièce la plus prestigieuse de la Galerie se découvre dans le corps principal des Ecuries : il s'agit du célèbre carrosse du sacre de Charles X à Reims. Dessiné par Percier (architecte officiel de l'Empire) et Hittorf (qui conçut également la Gare du Nord actuelle), il s'agit de la reprise d'un projet de 1816 pour Louis XVIII, et resté inachevé puisque ce monarque avait prudemment renoncé à un sacre, qui ne réussit d'ailleurs guère à son successeur... Ce somptueux carrosse monumental de quatre tonnes, orné de bronzes dorés, était tiré par huit chevaux luxueusement harnachés, dont l'équipement figure dans des vitrines adjacentes. Le carrossier Ehrler, chargé en 1853 de déposer les panneaux des portes pour les remplacer par de nouveaux aux armes de Napoléon III, les conserva soigneusement : ils sont aujourd'hui présentés à côté du carrosse. Les quatre fortes roues de chêne qui permirent d'acheminer le carrosse jusqu'à Reims, puis au retour pour l'entrée triomphale dans Paris, permettent de mieux en imaginer le poids...



Mais l'époque baroque est loin d'être absente de cette présentation. La luxueuse maquette, réalisée par un joaillier, d'un carrosse commandé pour le Dauphin, fils de Louis XV, illustre les pratiques de l'époque : la maquette permettait au commanditaire de valider le modèle, et de demander d'éventuelles modifications. On observe aussi que depuis Louis XIV le carrosse a évolué : la caisse est plus évasée vers le haut (ce qui nuit au centre de gravité : le Dauphin adulte périra dans son carrosse renversé...), son galbe est souligné d'une ceinture rocaille ouvragée. Les enfants royaux disposent également de carrosses adaptés à leur taille. On peut observer la petite calèche du Dauphin (futur Louis XVII), et surtout la touchante petite berline du Dauphin Louis, prématurément décédé d'une tuberculose osseuse.

Compte tenu de l'espace qu'il nécessite, l'usage du carrosse n'est pas commode. Aussi est-il réservé à des déplacements « de prestige ». La chaise à porteurs est plus rapide, plus maniable aussi : elle se range aisément dans un vestibule lors d'une visite. Depuis 1617 existent d'ailleurs à Paris des « chaises publiques » ; celles de Versailles, aux couleurs du Roi, sont appelées les « chaises bleues ». On utilise les chaises à porteurs dans les jardins, et même à l'intérieur du château : seule la cour de Marbre et les étages leur sont interdits, privilège réservé à la famille royale. Ces chaises sont parfois de véritables œuvres d'art, telle la chaise « aux marines » (vers 1720-30), décorée de délicates toiles peintes attribuées à Adrien Manglard (1695-1760), et protégées des intempéries par un vernis Martin.



Les plus beaux témoignages de l'époque baroque sont rassemblés aux côtés du carrosse de Charles X, comme en un clin d'oeil malicieux d'un XVIIIème siècle tout de grâce et de plaisirs face à un XIXème empesé sous ses lourdes dorures. Un demi-douzaine de traîneaux, datant des années 1730-40, témoignent de l'engouement de Louis XV et de sa cour pour les courses sur la neige ou la glace. A son arrivée à la cour Marie-Antoinette leur donnera un nouvel élan. Gérées par les Menus Plaisirs, ces pièces témoignent fréquemment de leur inspiration théâtrale au travers d'un décor animalier fantastique : têtes d’ours ou de tigre à la proue, ou encore socle en forme de grosse tortue marine qui accueille le siège. Parfois ce dernier est décoré de motifs typiquement rocaille, comme ce traîneau aux panneaux de « chinoiseries » délicatement peintes, qui évoquent les décors des faïences ou des soieries de l'époque. Au plan esthétique l'effet de contraste de ces traîneaux avec le lourd carrosse du sacre est total.

On ne saurait passer sous silence le cadre magnifique des Grandes Écuries, qui constituent un écrin de choix pour cette présentation. Rappelons au passage que les Grandes Écuries accueillaient les chevaux dressés pour la chasse ou la guerre, tandis que les bêtes d'attelage ou de monte ordinaire étaient logées dans les Petites Écuries voisines. Toutes deux sont l’œuvre de Jules-Hardouin Mansart, et font face au château. Elles ont été construites en un temps record (trois ans, de 1679 à 1682). Leur caractère moderne et monumental a suscité une grande admiration dans l'Europe entière tout au long du XVIIIème siècle, inspirant de nombreuses constructions destinées au même usage (on ne peut évidemment s'empêcher de penser aux magnifiques écuries de Chantilly).

Publié le 11 juil. 2016 par Bruno MAURY