Jean-Baptiste Huet, le plaisir de la nature

Jean-Baptiste Huet, le plaisir de la nature ©Musée Cognacq-Jay/ Paris Musées
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La peinture animalière à l'heure du rocaille

Né en 1745 dans une famille de peintres, Jean-Baptiste Huet est resté toute sa vie fortement influencé par l'esthétique rocaille, qu'il a développée dans un genre particulier : la peinture animalière. Le choix de ce genre, considéré comme mineur par rapport à la peinture religieuse ou historique, est également caractéristique de la période baroque au cours de laquelle de nombreux amateurs manifestent leur goût pour des scènes inspirées par la nature. Mais à partir de la seconde moitié du XVIIIème siècle la sensibilité rocaille sera peu à peu balayée par un classicisme triomphant, dont les lignes droites et les motifs géométriques s'opposent vigoureusement aux formes voluptueuses et aux coloris délicats de la période antérieure. Toutes ces raisons expliquent sans doute pourquoi l'oeuvre de Jean-Baptiste Huet a rapidement été frappée d'une profonde désaffection jusqu'à une période récente.

Aussi on ne peut que louer l'initiative du musée Cognacq-Jay de nous en fournir un aperçu assez complet, même si le nombre des peintures présentées reste assez limité. Celles-ci illustrent la spécificité d'Huet, qui est de saisir les instantanés de ses modèles en apportant un grand soin à la description anatomique et botanique, comme une sorte de photographe avant l'heure. L'exposition accueille le visiteur avec le saisissant « Chien attaquant deux oies » de 1769 : la structuration de la toile souligne l'agressivité du mouvement de l'attaque, de laquelle le couple d'oies tente de défendre sa progéniture épouvantée. Les couleurs sont éclatantes de fraîcheur, la scène semble se jouer sous nos yeux, le chien se précipite en direction des oies... et du spectateur ! Comme pour corriger cette agressivité, des portraits de chiens bien sages complètent la présentation dans la salle suivante, tel celui du « Petit chien au ruban bleu », dit aussi « La Fidélité déchirant le bandeau de l'Amour et foulant ses attributs » dont le sens allégorique (ou érotique?) nous est aujourd'hui perdu - comme c'est le cas pour de nombreux tableaux du XVIIIème siècle.

Musée Cognacq-Jay

L'inspiration d'Huet ne se limite pas à la pastorale, développée par Boucher vers 1730. Esprit éclectique, il a également intégré l'influence du paysage hollandais du Siècle d'Or, et a ensuite fait évoluer sa production vers le genre historique. Il ne s'est pas limité à la peinture, pratiquant également le dessin, fournissant des cartons de tapisseries et d'ameublement pour la Manufacture royale de Beauvais, puis collaborant avec Oberkampf à élaborer les décors des toiles de Jouy, jusqu'à sa mort en 1811. Mais son évolution n'est pas nécessairement linéaire, elle réserve de savoureux détours. Pour le Salon de 1771, il compose un grandiloquent « Loup percé d'une lance », dans lequel la douleur tragique de l'animal est décrite avec une force que ne renieraient pas les Romantiques, même si elle s'exprime autour d'un délicat feuillage végétal. Sa « Bouquetière » et sa « Laitière » (circa 1780/85) se parent de poses gracieuses et de coloris précieux qui nous ramènent sans ambiguïté dans le genre de la pastorale, déjà désuet à l'époque. Le « Berger gardant un troupeau » (1775 – musée d'Orléans), plus précoce, était pour sa part marqué d'un indéniable classicisme, avec son relatif dénuement, ses couleurs froides et la présence d'une ruine antique en arrière-plan.

Mais le plus surprenant de la production d'Huet réside probablement dans ses créations décoratives. Les quelques cartons pour la Manufacture de Beauvais ont conservé une fraîcheur intacte des coloris. Ses motifs pour la manufacture Oberkampf révèlent une fécondité extraordinaire, et son indéfectible attachement à l'esthétique rocaille dans un univers décoratif considéré comme emblème du néo-classicisme triomphant. Il a tout d'abord développé un premier style marqué par des figurines placées en îlots, au sein d'ensembles décoratifs luxuriants encore fortement inspirés des savantes compositions rocaille. Le second style obéit à la stricte loi de la symétrie, et le troisième est encore plus marqué par les lignes droites. Mais les bergères y côtoient les scènes à l'antique, les sujets de genre voisinent avec les allégories politiques ou littéraires. Malicieux clins d'oeil, des détails naturalistes se glissent avec grâce dans les motifs inspirés de l'Antiquité, dont ils subvertissent la rigueur : ainsi ces escargots qui déambulent sur la courbure d'un arc, ou ces chiens unis par la queue qui emplissent un médaillon en forme de losange.

Ainsi, même au sein du néo-classicisme le plus rigoureux, Huet a su conserver le souci du détail naturaliste qui avait fait la renommée du genre baroque animalier.

Publié le 05 mai 2016 par Bruno MAURY