Les Plans relief de Lille

Les Plans relief de Lille © Palais des Beaux-Arts de Lille : Plan relief de Lille
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Un précieux témoignage de l’architecture militaire à l’époque baroque

Le Palais des Beaux-Arts de Lille présente depuis 1997 une série de quatorze plans relief établis à des fins militaires, entre la seconde moitié du XVIIème siècle et le début du XIXème. Ils sont regroupés dans une salle dédiée, située dans le sous-sol du bâtiment, ce qui permet d’éviter leur exposition à la lumière naturelle, et de leur assurer ainsi de bonnes conditions de conservation. Outre les cartels explicatifs, précis et en trois langues (français, néerlandais et anglais), des panneaux complémentaires éclairent les modalités de leur fabrication, ainsi que la pratique militaire aux dix-septième et dix-huitième siècles, et notamment à l’époque des guerres entreprises par Louis XIV. Celles-ci ont conduit à l’édification ou au renforcement de nombreuses fortifications dans la région, parfois dans des villes qui ont changé plusieurs fois de mains en quelques décennies, comme Lille, prise une première fois par les troupes royales en 1667, reprise par l’ennemi en 1708 et récupérée par la France en 1708… Ces plans nous offrent ainsi des reproductions précises de villes du nord actuel de la France (Lille, Aire-sur-la-Lys, Bergues, Gravelines, Calais,…) mais aussi de Belgique (Audenarde, Namur, Menin, Ypres, Charleroi, Ath,…) et des Pas-Bas (Maastricht).

Ces plans ont été établis dans un but militaire, qui conditionne leur conception. A une époque où les cartes générales n’existaient pas, il s’agissait de reproduire le plus fidèlement possible une ville et ses environs dans un rayon correspondant à la portée d’un tir de canon : habitations, fermes, fortifications éventuelles, mais aussi cours d’eau, dépressions ou hauteurs, constituant autant d’obstacles ou d’atouts potentiels pour la défense ou pour l’attaque. Ils constituaient donc, en fonction de la situation de leur détenteur, un outil indispensable pour concevoir une attaque ou opposer une défense. Ils correspondent à une époque de guerre de sièges, développée par Louis XIV. Celui-ci veut à la fois éviter les batailles en rase campagne (qui font courir aux états-majors le risque d’être capturés), et promouvoir des affrontements qui permettent de le mettre en scène dirigeant un siège, au terme duquel il pourra s’attribuer personnellement la victoire, comme en témoignent les nombreux tableaux à sa gloire qui ornent les palais royaux, notamment celui de Versailles. Vers le milieu du XVIIIème siècle, ce type de conflits sera supplanté par une rapide guerre de mouvements, conçue par les théoriciens militaires prussiens. Les plans relief conservent cependant une partie de leur valeur militaire : après la défaite de 1815, une partie d’entre eux seront emmenés par les Prussiens à Berlin, où ils seront conservés jusqu’à leur restitution en 1948. Leur production ne s’arrêtera que dans le premier quart du XIXème siècle, avec le plan relief d’Avesnes (1826), le plus récent.

Les plans relief suivent les premières conquêtes de Louis XIV sur sa frontière nord, à commencer par la plus importante, Lille, prise une première fois en 1667. Ils sont au départ confectionnés dans chaque ville concernée ou au plus proche, afin de faciliter les échanges avec les officiers et personnels chargés d’établir les relevés. Deux centres de productions voient le jour, à Lille et Béthune. Le plan relief de Calais est le plus ancien de la collection présentée à Lille ; ses grands panneaux de bois coulissent sur un socle imposant et soigneusement ajusté. Rapidement toutefois, la découpe des panneaux est ajustée aux exigences d’une élaboration facilitée : le rayon maximal jusqu’au centre ne dépasse pas le développement d’un bras, afin que les maquettistes puissent en atteindre aisément n’importe quel point. Le travail de reproduction est en effet particulièrement minutieux : il ne se borne pas aux ouvrages militaires mais constitue une véritable maquette en trois dimensions de l’ensemble de l’architecture civile de la ville considérée. Les bâtiments sont représentés avec le nombre exact d’étages et de fenêtres qu’ils comportent, leurs escaliers extérieurs, cours, jardins… Leur valeur historique dépasse ainsi largement l’objet militaire initial qui présidait à leur conception. Le plan-relief d’Ypres a même été utilisé pour effectuer la reconstruction de la ville après les destructions liées aux violents combats de la Première Guerre mondiale !


Maisons (détail du plan relief de Lille)

A la quête de la perfection dans la représentation minutieuse des villes, la production de plans relief devient progressivement une sorte d’artisanat manufacturier autonome, comme en témoignent les planches qui lui sont consacrées. Tout d’abord, leur fabrication est centralisée au sein d’un atelier spécialisé des Invalides au cours de la première moitié du XVIIIème siècle. Un officier, Nicolas de Nézot, se spécialise dans leur conception. Comme le montrent plusieurs vitrines, celle-ci mobilise d’importants moyens humains, autour d’un travail très minutieux, effectué à partir de quelques matières brutes : du bois, du papier et du carton, du fil de fer, du sable, de la soie et des pigments. La soie permet des rendus à la fois précis et réalistes mais son travail est particulièrement fastidieux, comme le montrent les croquis et échantillons présentés. Qu’on en juge : les écheveaux de fil de soie étaient d’abord teintés à l’aide de pigments, afin de disposer de plusieurs nuances de vert (les paysages étaient conventionnellement représentés au printemps, période à laquelle les opérations militaires reprenaient après la trêve hivernale). Puis ces fils étaient réduits en brins court (le floc) par passage dans un hachoir (manuel). Ces brins étaient ensuite étalés sur les panneaux de bois, préalablement encollés, afin de représenter prairies et cultures végétales. Après tamponnage du floc et séchage de la colle, le surplus des précieux brins était soigneusement récupéré… Pour le feuillage des arbres, on avait recours à de la chenille (fil torsadé épais) de soie, elle aussi colorée pour reproduite les nuances naturelles, et fixée sur une tige en fil de fer. Chaque arbre était ensuite implanté dans le plateau où un trou avait été percé au préalable et empli de colle… Le souci de réalisme ne se limitait pas aux végétaux : pour les champs à nu (simulés par des sables de différentes nuances, eux aussi collés sur le plateau), des roulettes permettaient de reproduire les sillons du labour ! Cet artisanat militaire fait place à l’occasion aux influences esthétiques des arts décoratifs de la période. Ainsi, le plan relief d’Audenarde, le mieux conservé avec sa grande table qui représente les surfaces d’inondation, est orné d’un magnifique cartouche de bois doré aux volutes tourmentées, dans le plus pur goût rocaille.

Utile complément, des vitrines latérales nous présentent le vocabulaire illustré de l’architecture militaire de cette période, à travers des dessins et des schémas : bastions, demi-lunes, courtines, plans des citadelles... D’autres vitrines encore permettent de découvrir les armes utilisées au XVIIème siècle : épées, arquebuses, pistolets, petits canons…. Une autre vitrine enfin est consacrée aux médaillons commémorant les victoires militaires de Louis XIV, frappés au cours de ses campagnes, là aussi pour asseoir sa gloire militaire dans l’ensemble du royaume.

La visite du département des Plans relief du Palais des Beaux-Arts de Lille offre ainsi au visiteur un panorama didactique précieux sur l’art militaire à l’époque du Roi-Soleil et l’histoire mouvementée de l’actuel nord de la France à l’époque de la conquête française.



Publié le 04 janv. 2023 par Bruno Maury