Rubens - Portraits princiers

Rubens - Portraits princiers ©Louis XIII, jeune roi libéré de la tutelle de sa mère (1622), Peter Paul Rubens, Huile sur toile – Norton Simon Museum © Musée du Luxembourg
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Si nous réalisions un micro trottoir ayant pour objet Pierre Paul Rubens (né le 28 juin 1577 à Siegen, Westphalie - mort le 30 juin 1640 à Anvers) quelles réponses aurions-nous ? Un peintre, bien sûr… un Flamand, sans doute… ou encore, le peintre de nus aux femmes corpulentes quand d’autres mettront l’accent sur l’ampleur des mouvements, des couleurs ou de la sensualité qui se dégagent de ses tableaux. D’aucuns sauraient citer l’un ou l’autre de ses chefs-d’œuvre… et peut-être évoquer un portrait princier… Rubens est tout cela à la fois ayant produit une œuvre considérable dans des genres divers : de grands projets religieux (« Saint Sébastien secouru par les anges » après 1604, plusieurs « Descente de Croix », « Adam et Eve », 1628/29 d’après un tableau du Titien), des peintures mythologiques (« Prométhée supplicié », 1611/12, « Persée délivrant Andromède », 1620), des séries de peinture à caractère historique ainsi qu’un grand nombre de portraits bien qu’il dise être « d’instinct plus porté aux grands travaux qu’aux petites curiosités » !

L’exposition du Musée du Luxembourg présente « une facette de Rubens mal connue- ce qui peut étonner puisqu’il compte parmi les plus grands peintres baroques et parmi les rares artistes officiels dans différentes cours d’Europe (…). Montée au Luxembourg, elle se concentre logiquement autour de la princesse italienne qui fut la fille, la sœur, la mère, la belle-mère de nombres de princes et de rois de l’époque » explique Dominique Jacquot, commissaire de l’exposition. Souvenons-nous que Marie de Médicis (1573-1642) fera construire, à partir de 1612, le palais du Luxembourg. Elle commandera à Rubens un ensemble de vingt-quatre toiles au service de sa gloire mêlant figures allégoriques et élément biographiques (nous reviendrons plus loin sur cet ensemble, aujourd’hui conservé au Louvre).

Avant d’entrer dans l’exposition elle-même, un arbre généalogique place Marie de Médicis au cœur des cours régnantes de l’époque : son ascendance la relie tant aux Gonzague, aux Habsbourg qu’aux Bourbon. Nous retrouverons des éléments simplifiés de cette généalogie à l’entrée de la plupart des salles. De même, une carte murale indique les déplacements et voyages faits pas le peintre dans « une Europe belliqueuse où les alliances entre familles dominantes se font et se défont. Cette Europe, Rubens la sillonne, très jeune, de cour en cour, recommandé auprès des uns en Italie, mandaté par les autres en Espagne, adoubé aussi bien par la maison d’Angleterre que par la famille de Habsbourg, se nourrissant un peu plus à chaque séjour des modèles qu’il découvre dans les collections des grands monarques de son temps. » (Sylvie Hubac, in préface du catalogue de l’exposition).

La première salle nous convie à découvrir « Un peintre et ses légendes ». Sont exposées ici deux huiles sur toile ayant trait au même sujet, toutes deux datant de la première moitié du XIXème siècle : « Marie de Médicis entourée de ses dames d’honneur pose devant Rubens » (1817) de Mathieu-Ignace van Brée (1773-1839) ainsi que « Marie de Médicis visitant l’atelier de Rubens » (1839) de Claudius Jacquand (1803-1878). Dans le premier tableau, la reine, assise, montre, à son fils Gaston, l’ébauche proposée par l’artiste pour l’une des vingt-quatre toiles du cycle qui lui est consacré ; ici la naissance du dauphin. Le second tableau évoque la même scène à quelques différences près : l’artiste, assisté de son élève, Antoon Van Dyck (1599-1641) semble expliquer à la reine la composition de sa toile ; la souveraine, effrayée à la vue de son défunt mari, esquisse un geste de recul ! Admirons également une tapisserie de haute lisse (tissée dans les années 1830/38) due à la Manufacture des Gobelins, « Tenture de L’Histoire de Marie de Médicis d’après Pierre Paul Rubens » représentant le « Mariage de Marie de Médicis ».

La seconde salle (fond bleu turquoise) évoque « L’expérience italienne » de l’artiste. Contrairement à ses collègues ou ses rivaux, Rubens n’est pas issu d’une lignée de peintre : il naît dans une famille aisée puisque son père est juriste. Il bénéficie d’une éducation humaniste et servira comme page auprès d’une grande dame flamande. Deux atouts lui permettant d’acquérir l’aisance nécessaire pour côtoyer les grands personnages de son temps.

Rubens part en Italie parfaire sa formation. Il y séjourne de 1600 à 1608 hormis un voyage en Espagne, en 1603, pour une mission diplomatique. Durant ce séjour italien et sa parenthèse espagnole, il se familiarisera avec les œuvres de Raphaël (1483-1520), du Caravage (1573-1610) ou encore du Titien (v.1490-1576) pour qui il a une vive admiration. Ainsi en est-il de la copie du « Portrait d’Isabelle d’Este », exposée ici, qu’il peignit en 1600/01. Le duc de Mantoue, Vincent de Gonzague (1562-1612), ne tarde pas à l’appeler auprès de lui. Admirons deux portraits de Ferdinand de Gonzague (1587-1626) : le premier (v.1602/03) le montre vêtu de l’habit noir et blanc de l’ordre de Malte, tenant un livre. Il est de trois-quarts. Remarquons la carnation presque translucide du jeune homme qui nous regarde alors que dans le second portrait (v.1604/05) il a les yeux baissés. Le rouge de la nappe pour l’un et celui du rideau de l’arrière-plan pour l’autre représentent la seule touche de couleur. Une huile sur toile (1600/01) présente la fille du duc Vincent Ier : « Portrait d’Eléonore de Gonzague, impératrice, à l’âge de 2 ans, à mi genoux ». Ayant peu d’égard pour les proportions, l’intensité du regard et la gravité de l’expression ne sont pas ceux d’une petite fille qui porte déjà les attributs de sa future majesté. A côté, un tableau de Frans II Pourbus le Jeune (1569-1622) qui séjourne lui-aussi à la cour : « Marguerite de Gonzague, princesse de Mantoue » (1606). Son vêtement d’apparat aux tonalités brunes et or, orné de motifs floraux rouge et bleu, la délicatesse et la richesse de la dentelle de sa fraise, la richesse de ses bijoux concourent au port altier de la princesse !


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Portrait de Ferdinand de Gonzague (vers 1602-1603), Peter Paul Rubens, Huile sur toile, Collection particulière, courtoisie de Nicholas Hall © courtesy of Christie’s

En 1608, la maladie de sa mère décide Rubens à quitter l’Italie pour rejoindre Anvers. La prospérité y est revenue grâce à la paix signée entre l’Espagne et les Provinces-Unies (traité d’Anvers, avril 1609). En septembre 1609, il est nommé peintre officiel de la cour des archiducs Albert et Isabelle qui règnent sur les Flandres méridionales (actuelle Belgique). Soulignons que ce territoire catholique dépend du royaume d’Espagne alors que les provinces du Nord (actuels Pays-Bas) ont fait sécession.

Les toiles réunies dans la troisième salle (fond rouge), sont dues soit à l’artiste lui-même, soit à son atelier sous l’œil du maître, soit à Cornelis De Vos (1584-1651), Rubens y apportant la touche finale. Ils peuvent encore résulter d’une collaboration avec Jan Breughel l’Ancien, dit Breughel de Velours (1568-1625). Ce sont des portraits de l’archiduc Albert (1559-1621) et de son épouse l’infante Isabelle Claire Eugénie (1566-1633). Ils ont été peints dans les années 1615/1620. Arrêtons-nous sur la sobriété de la tenue des gouverneurs des Pays-Bas espagnols ainsi que sur les attributs de leur pouvoir. Dans le domaine du portrait d’Etat à caractère officiel et donc de nature politique, tout est codifié. Chaque élément a son importance ! Le même « exercice » s’appliquera aux portraits des souverains espagnols, Philippe IV et Elisabeth de Bourbon puis du roi de France Louis XIII et de son épouse Anne d’Autriche.

D’aucuns seront surpris par la couleur noire de ces costumes ! Elle est la parfaite image d’un « chic sévère » très en vogue tant à la cour de Bruxelles qu’à la cour d’Espagne. Sur le portrait de l’archiduc daté de 1616, l’habit de cour en satin noir n’est « éclairé » que par des boutons dorés ainsi que par une fraise blanche et des manchettes en dentelle également blanches. Il porte le collier de l’ordre de la Toison d’or qui souligne son ascendance bourguignonne, son père étant Maximilien II d’Autriche. De l’épée, attribut traditionnel de la noblesse, seul apparaît le pommeau derrière sa main gauche. Le couvre-chef, ici posé sur une table recouverte d’un drap vert, participe également du rôle de chef militaire du souverain. La tenue de l’archiduchesse offre le même contraste entre l’étoffe luxueuse de sa robe noire et la blancheur de la fraise, des larges manchettes et du mouchoir tenu dans sa main gauche. Ce dernier, d’une blancheur immaculée, bordé de dentelle est un accessoire habituel du portrait d’apparat féminin. A l’image de son époux, elle pose la main droite sur un meuble, ici un fauteuil recouvert de tissu vert. Quant aux bijoux, remarquons l’imposant collier de perles, la croix latine destinée à affirmer la religion catholique de l’infante née en Espagne et souveraine d’un pays en lutte contre les Provinces-Unies protestantes. De même ordre est le médaillon ovale orné d’une Vierge à l’Enfant.

Sur le portrait peint en collaboration avec Breughel l’Ancien (vers 1615 ou 1618/20), l’infante Isabelle est vêtue à l’identique, le mouchoir négligemment posé sur ses genoux, un éventail à la main. Elle est assise devant un lourd rideau rouge qui s’ouvre sur un paysage à l’arrière-plan suivant, en cela, une tradition ancienne qui montre les demeures de plaisance des souverains ; ici le château de Mariemont dans le Hainaut. Après le décès de son mari en juillet 1621, l’infante se retire et prend l’habit gris, blanc et noir de l’ordre des « Pauvres Clarisses » fondé par sainte Claire d’Assise. Trois portraits la présentent, ainsi vêtue, dans une attitude identique, le regard bienveillant. Plusieurs estampes reproduisent les mêmes personnages.

A sa mort, en 1633, le cardinal-infant Ferdinand d’Autriche (1609-1641, frère de Philippe IV et d’Anne d’Autriche) est nommé gouverneur des Flandres. Le « Portrait de l’archiduc Ferdinand » (vers 1635) le présente à mi-corps dans l’attitude de chef militaire auréolé de sa victoire sur les armées protestantes, à Nördlingen (5/6 septembre 1634). L’armure, barrée d’une écharpe rouge, ainsi que l’épée sont mises en valeur. Le heaume est posé à portée de main. Son visage concentre toute la lumière : finesse de la carnation, blondeur des boucles de cheveux, fierté du regard.

En 1628, l’archiduchesse Isabelle avait envoyé Rubens à Madrid. Il avait pour « mission » de rendre compte au roi de ses activités diplomatiques et peindre pour elle des portraits de ses parents espagnols. Durant la huitaine de mois que Rubens passera à la cour de Madrid, il peindra plusieurs effigies royales et se penchera à nouveau sur les œuvres du Titien.

Dans la quatrième salle (fond noir), sont exposés divers portraits du roi Philippe IV (1605-1665) et d’Elisabeth de Bourbon (1602-1644). Ils sont soit de la main du maître, soit issus de son atelier. On y trouve également le portrait équestre du roi peint part Diego Vélasquez (1599-1660) d’après une toile, aujourd’hui disparue, de Rubens. Ce « Portrait équestre de Philippe IV d’Espagne » (vers 1644/49) présente le monarque sous les traits du défenseur de la Foi : son cheval va fouler, non sans une certaine discrétion, le serpent de l’Hérésie (en bas à gauche). La Foi, au visage empreint de douceur, tient dans une main une croix dominant le monde ; de l’autre, elle coiffe le roi d’une couronne de laurier. La Justice est à ses côté, le regard courroucé, s’apprêtant à foudroyer ses ennemis. L’attitude de Philippe IV est toute de majesté. Un serviteur indien (sur le côté droit) lui apporte son heaume quand deux anges tiennent le globe terrestre. Il s’agit de montrer, par-là, la puissance quasi universelle de la monarchie des Habsbourg. Gaspard de Crayer (1584-1669) peint le jeune souverain en armure d’apparat, « Philippe IV en armure de parade » (v.1628). La somptuosité de cette armure ne peut qu’attirer notre regard ! Le souverain est représenté en pied, devant une tenture rouge qui fait ressortir l’aspect or de l’armure. Il tient le bâton de commandement dans sa main droite, le heaume à ses côtés. Deux remarques : sa main gauche est comme négligemment posée sur sa hanche… son visage est glabre.

Le portrait (1635) peint par Cornelis De Vos (sans doute retouché par Rubens) présente un roi toujours vêtu d’une armure mais « plus sobre ». Il est appuyé sur le bâton de commandement, le heaume posé à terre, la couronne et le sceptre à ses côtés. Il est ganté, coiffé d’un chapeau à plumet et porte désormais la barbiche. Sont également exposées une paire d’effigies dues à l’atelier du peintre, datant probablement du milieu du XVIIème siècle. « Philippe IV, roi d’Espagne » : le jeune monarque est vêtu de noir hormis les manches de son costume dans les tons mordorés. Il arbore le collier de la Toison d’or, tient avec fermeté le pommeau de son épée. La fraise a été remplacée par un col blanc et plat, le duc d’Olivares ayant demandé, en 1623, plus d’austérité et de sobriété vestimentaires à la cour ! Dans le « Portrait d’Elisabeth de Bourbon », nous retrouvons les mêmes codes vestimentaires : robe en satin noir rehaussée de boutons dorés… mouchoir à la main droite… éventail dans la main gauche posée sur une table… Elle porte une fraise espagnole, une collerette plissée et empesée. L’arrière-plan des deux portraits consiste en une tenture rouge qui met en relief la tenue sombre des souverains.

Un portrait plus « atypique » du roi : « Portrait de Philippe IV en chasseur » (Vélasquez, v.1632/34). Ici point de faste mais la simplicité d’une tenue de chasse ordinaire, seulement rehaussée d’un col tombant de dentelles. Une arquebuse en main, il est accompagné d’un chien. La dignité royale tient à l’expression du visage ainsi qu’à la position de trois-quarts du roi placé, cette fois-ci, dans un paysage. Remarquons également le portrait (dû au pinceau de Rubens) de « Ana Dorotea, fille de Rodolphe II, clarisse au couvent Descalzas Reales. Madrid » (1628/29). Elle est la fille illégitime de Rodolphe II de Habsbourg. Le peintre est tributaire de l’habit monastique : les tons de marron de la robe et le noir du voile sont comme sublimés par la blancheur éclatante du rabat. La jeune fille égraine son chapelet. Un doigt de sa main droite tient son missel entre-ouvert. La distinction émane de son visage au regard franc.

Marie de Médicis avait négocié, en 1615, le double mariage de son fils Louis XIII avec Anne d’Autriche ainsi que celui de sa fille Elisabeth avec le futur Philippe IV. En 1621, Rubens est sollicité par la cour de France où il s’installe l’année d’après. La reine Marie lui commande, alors, pour son nouveau palais, deux cycles allégoriques célébrant sa vie et celle de son défunt mari Henri IV. Ce dernier ne sera jamais achevé. Poursuivons notre visite en compagnie de la reine.

Dans la cinquième salle (fond jaune d’or) sur notre gauche, les portraits exposés rendent compte de son évolution tant sur le plan physique qu’en termes de statut politique. Reine puis régente, elle entrera en conflit avec son fils et sera exilée par ce dernier (après le Journée des Dupes des 10 et 11 novembre 1630). Elle partira vivre à Anvers puis à Cologne où elle finira ses jours. Le premier des quatre grands portraits, de Frans II Pourbus, dit le Jeune, présente « Marie de Médicis, reine de France » (v. 1609 ou postérieur à 1610). Osons emprunter au vocabulaire actuel l’expression « total look » pour qualifier et la tenue de Marie de Médicis et le décor dans lequel elle a pris place ! Rien ne manque des signes du pouvoir et de l’apparat : l’habit de sacre qu’est sa robe de velours bleu fleurdelisée et bordée d’hermine, l’opulence des bijoux et le dais rouge sous lequel elle se tient, en majesté, dans une attitude toute hiératique !

Après l’assassinat d’Henri IV, la reine mère ne quittera plus le noir, couleur de son veuvage. C’est ainsi que Pourbus la peint dans un second tableau en 1617, « Marie de Médicis, reine de France » : sourire crispé, regard en biais, perles en sautoir, bracelet et boucles d’oreilles, mouchoir dans la main gauche, auriculaire de la droite curieusement relevé et portant une bague. Elle est debout dans un cadre architectural s’ouvrant à droite sur un paysage difficilement reconnaissable. Deux autres portraits la montrent assise. Le premier nait du pinceau de Guerrit Van Honthorst (1590-1656) : « Marie de Médicis, reine mère de France » (1638). Elle est assise sous un dais grenat fleurdelisé au-dessus duquel trois angelots semblent lui offrir des fleurs. Une couronne est posée à ses côté. Elle tient dans sa main droite un chapelet. Le second d’Antoon Van Dyck, « Portrait de Marie de Médicis » (1631) la représente d’une façon tout aussi sobre, le noir de sa robe à peine relevé par la simplicité de sa guipure. La couronne est, là aussi, posée à ses côtés. Elle tient quelques fleurs dans une main. Visage empâté et regard vague. Le tout petit chien, à peine visible à ses pieds, allongé sur un tapis oriental participe à ce sentiment de solitude qui émane du portrait ! A l’arrière-plan une vue d’Anvers dans un ciel crépusculaire, des bateaux naviguant sur l’Escaut.

Rubens peint « Marie de Médicis, reine mère de France » à l’hiver 1622. Un portrait qui demeure inachevé bien qu’on puisse deviner l’ébauche d’un décor, sorte de tenture sur le côté gauche. Cette absence même de décor confère un aspect plus spontané à ce portrait d’une reine toujours vêtue de noir dont le visage évoque une présence qui est presqu’inhabituelle dans les portrait de cour.


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Portrait Marie de Médicis, reine mère de France (1622), Peter Paul Rubens, Huile sur toile © museo Nacional del prado

Sur la droite de cette même salle sont exposés divers portraits de son fils, Louis XIII (1601-1643) et de sa belle-fille Anne d’Autiche (1601-1666). Regardons le seul portrait du roi que Rubens exécuta face à son modèle. Il s’agit d’une huile sur papier collée sur bois de petite dimension, 42,8 x32,5 cm. L’expressivité mélancolique du souverain impressionne !

Retrouvons le portrait d’Etat strictement codifié. L’artiste reprend les attributs et les symboles habituels, ces derniers permettent de reconnaitre, de prime abord, les souverains français ! Ils ont été peints entre 1622 et 1625. Sur un fond de paysage (nuées grises et rayons dorés sur la droite), dans un décor figurant une colonne et un rideau rouge, Louis XIII est présenté en général d’armée portant le manteau fleurdelisé doublé d’hermine sur son armure de parade. Il tient fermement son bâton de commandement attribut, par excellence, du chef militaire. Sa main gauche, enfermée dans un gantelet, est posée sur une table. Le casque d’apparat surmonté d’un volumineux panache blanc et noir y est également posé. Bien en évidence, la croix de l’ordre du Saint-Esprit attachée par un ruban bleu qui lui barre la poitrine. Cette croix de Malte est celle de l’ordre de chevalerie le plus prestigieux du royaume, fondé par Henri III en 1578. Son visage exprime une certaine mélancolie, ses traits sont fins. Ses cheveux châtains ont de légères ondulations, une grande mèche tombant sur le côté gauche. Il ne porte pas encore la barbe mais une légère moustache apparaît.

Sur un fond sombre, la reine paraît plus raide dans sa robe de satin bleu parsemée de fleurs de lys en or. Les perles dont est rebrodée cette robe, celles du collier ou de sa couronne sont le symbole même de la puissance de la reine de France ! Une croix perlée, bijou de saphir et d’or, élément central du plastron, exprime la foi catholique de la souveraine. Sa carnation est plus pâle avec des tons de chair roses et des ombres bleutées.


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Portrait d’Anne d’Autriche (vers 1622-1625), Peter Paul Rubens, Huile sur toile, Fondation Norton Simon © Fondation Norton Simon

Deux autres portraits (dû à l’atelier ou peint d’après Rubens) montrent Anne d’Autriche richement vêtue, un petit bouquet de fleurs posé sur ses genoux, assise dans un décor architectural complexe. Remarquons la finesse des broderies, du rendu des crevés (ouvertures des manches d’un vêtement laissant voir la doublure) ou l’aspect aérien des manchettes et de ce qui peut encore s’apparenter à une fraise. Est également exposé le « Portrait de Louis XIII en pied » peint entre 1623 et 1645 par Philippe de Champaigne (1602-1674) et son atelier.

Entrons maintenant dans la salle suivante, « La galerie de Marie de Médicis ». Au moment où Rubens dépeint sa vie en vingt-quatre tableaux, les relations entre la mère et le fils sont fragilisées. Ce cycle est destiné à décorer une galerie de l’aile ouest du palais du Luxembourg, sa nouvelle demeure parisienne. Il est inauguré en 1625 lors du mariage de sa fille Henriette (1609-1669) avec le roi d’Angleterre, Charles Ier Stuart (1609-1649). Rappelons que cette galerie est conservée au Musée du Louvre. Sont présentées ici, dans leur intégralité, les vingt-quatre gravures du recueil Nattier réalisées entre 1704 et 1710. Il s’agit d’estampes, burin et eau-forte, mises en couleur au XVIIIème siècle, à la gouache et à l’aquarelle. Les évènements historiques se mêlent aux allégories associant portraits et figures mythologiques. Si ces estampes sont présentées directement à notre regard, des détails de ces toiles monumentales sont projetés en hauteur, au-dessus d’elles. Ici également une seconde « Tenture de l’Histoire de Marie de Médicis d’après Pierre Paul Rubens. Le Voyage de Marie de Médicis au Pont-de-Cé (août 1620) ». Elle présente la reine à cheval, parée des attributs royaux, un lion à ses côtés.

La dernière salle a pour vocation de mêler « Portrait et allégorie ». Une pièce de la tenture dite « de l’Arsenal » représenterait Marie de Médicis « sous les traits de Junon » et daterait du début du XVIIème siècle. Les fils de soie sont dans les tons de bleu et vert sauf pour le personnage central dans les tons or. La tenture porte le blason de la famille de Béthune, duc de Sully. Puis une « Allégorie du bon gouvernement de la France » dit autrefois « Portrait allégorique de Marie de Médicis » de Rubens (1635) : une femme richement vêtue, au sein dénudé, piétine des armes. Elle tient dans sa main droite une corne d’abondance pourvue de fruits, d’épis de blé ainsi qu’une balance. Dans sa main gauche, un caducée. Deux angelots tiennent une couronne de laurier au-dessus de la couronne de tours qui la coiffe. Le gouvernail et le globe terrestre, sur la droite du tableau, concourent eux aussi à la représentation des bienfaits d’un bon gouvernement.


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L’Allégorie du bon gouvernement, Peter Paul Rubens, Huile sur toile provenant des appartements de Marie de Médicis au Luxembourg - Blois, château, musée des Beaux-Arts © RMN6Grand Palais / Agence Bulloz

Une huile sur bois de petite dimension présente « Louis XIII, Anne d’Autriche et le Dauphin- futur Louis XIV- adorant l’Enfant Jésus de la Nativité ». Elle est peinte, en 1640, par Juste D’Egmont (1601-1674). Dans ce camaïeu de gris sur le brun du bois, on voit le couple royal avec leur fils en adoration devant la Saint Famille : deux familles distinctes avec l’étable en fond. Les souverains sont figurés dans l’attitude des Rois mages : la reine offre de la myrrhe, le roi sa couronne donc de l’or et le dauphin de l’encens. Saint Joseph les salue pendant que la Vierge emmaillote l’Enfant Jésus.

Un dernier portrait royal quelque peu « déconcertant » dû à Simon Vouet (1590-1649) et son atelier : « Louis XIII entre les figures de la France et de la Navarre » (v.1630). A l’arrière-plan un paysage indéterminé, un rideau rouge. Bien que portant l’armure, le roi est figuré assis tenant une grande canne (son bâton de commandement ?). Deux figures féminines sont à genou devant lui : les allégories de la France et de la Navarre (cf. le blason sur bouclier). Rappelons que, si le roi de France est aussi le souverain de la Navarre, celle-ci n’est pas encore englobée dans le royaume de France. La rigidité de l’ensemble est « contrebalancée » par la richesse des tons chauds (rose et orangé des étoles sur les épaules des allégories, rideau rouge).

C’est l’ « Autoportrait » peint en 1623 qui salue notre départ ! Il a été offert au prince de Galles, futur Charles Ier d’Angleterre. Rubens est vêtu de noir, porte un large chapeau dissimulant un début de calvitie. A son cou, une chaîne d’or, cadeau traditionnel fait par les princes. Ni pinceau, ni palette, ni outils pour rappeler son métier de peintre ! A l’arrière, une esquisse de paysage brossée par quelques touches de couleur. Mais notre regard ne peut qu’être « attiré » par le visage de l’artiste : admirons le rendu de la carnation, des jeux d’ombre et de lumière et « cette petite touche blanche sur une zone rouge au coin de l’œil… (qui) apporte une lueur au regard et lui confère un peu de vie » (Dominique Jacquot).


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Autoportrait de Rubens, Peter Paul Rubens, Huile sur bois, Royaume-Uni, Londres, The Royal Collection / HM Queen Elizabeth II, Royal Collection Trust © Her Majesty Queen Elizabeth II (2017)

La soixantaine de tableaux exposés au Musée du Luxembourg célèbre à la fois Rubens et ses modèles ! Dans un parcours généalogique, elle permet de mettre un visage sur des figures emblématiques de notre Histoire, de l’histoire européenne. A la fois homme érudit, diplomate actif et artiste de renom, il « s’attache à donner de la chair à ses personnages. Il a le talent de les incarner comme personne. Les réalisations de ses contemporains sont moins sensibles et plus froides. (…) Il a conféré à ses modèles une dimension humaine inédite, notamment grâce à leur regard brillant » (Dominique Jacquot).



Publié le 20 oct. 2017 par Jeanne-Marie Boesch