A la mort, à la vie !

A la mort, à la vie ! ©Anonyme, d'après André Vésale, La Mort appuyée sur une bêche. Après 1543, burin. Musée des Beaux-Arts de Lyon. Photo Martial Couderette
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Images de la mort, du Moyen Age à nos jours

La représentation de la Mort n’est pas propre à l’époque baroque. Dès le Moyen Age (et comme l’illustrent abondamment les reproductions présentes dans la première salle de l’exposition – Entrez dans la danse !), des fresques de danses macabres sont peintes dans les églises, les monastères et les cimetières. Entre épidémies, guerres et famines, la mort est perçue comme indissociable d’une existence humaine très fragile (avec une forte mortalité infantile, et une espérance moyenne de vie qui ne dépassait guère la trentaine). La survenance au XIVème siècle de la peste, rapportée d’Orient par les vaisseaux de la République de Venise, va susciter la représentation de la Grande Faucheuse : un squelette, juché sur un cheval, pourfendant les vivants, armé de sa faux et d’un sablier. Cette représentation traduit les ravages de l’épidémie, qui décime les populations européennes. Elle connaîtra un grand succès en Europe du XVème au XVIIème siècle, dans un contexte désormais troublé par les guerres de religion, qui mobilisent des armes à feu de plus en plus meurtrières.


Georg Pencz : Le Triomphe de la Mort, vers 1539. Burin. Lyon, musée des Beaux-Arts. Image © Lyon MBA - Photo Martial Couderette

L’exposition A la mort, à la vie – Vanités d’hier et d’aujourd’hui, du musée des Beaux-Arts de Lyon prend le parti de mettre ces représentations historiques en regard d’autres, issues de cultures différentes ou d’époques plus contemporaines. Elle est centrée sur la représentation des célèbres vanités du XVIIème siècle, qui ont profondément influencé la peinture comme la sculpture de cette période, à la fois par des représentations directes (crânes, squelettes,…) mais aussi par de nombreux symboles dont le sens, évident pour les contemporains, échappe souvent à nos regards modernes, et dont elle nous livre les clés de lecture.

La seconde salle, consacrée aux Ages de la vie, évoque le temps qui passe, à travers notamment cet Intérieur du Savetier, tableau de Cornelis Jacobsz Schaeck (c. 1628 – 1662), à la dimension morale. La troisième salle (Fragile jeunesse) insiste sur le caractère éphémère de la jeunesse : apparaît la figure du jeune enfant faisant des bulles de savon, en écho à la devise antique (reprise par Erasme) : Est Homo bulla (L’Homme est une bulle). Dans une eau-forte de Rembrandt, la Mort apparaît à un jeune couple d’amants.

La quatrième salle s’intitule Vanité des vanités. Elle est consacré à l’apparition en XVIIème siècle du genre des vanités dans la peinture, et se caractérise par la présence de crânes dans les compositions. Les premières représentations de crânes dans la peinture sont plus anciennes : certains sont déjà présents au XVème siècle dans des polyptyques flamands ; elles se rattachent alors à la devise Memento mori (Souviens-toi que tu vas mourir). Mais les progrès de l’anatomie permettent désormais une bonne connaissance des crânes, qui font l’objet de représentations parfaitement réalistes. Celles-ci s’accordent tout à fait au souci de naturalisme de la peinture flamande, qui multiplie les crânes dans des scènes de natures mortes ; leur présence confère au tableau une dimension morale d’humilité, en phase avec le protestantisme adopté par les pays d’Europe du Nord. Cette Vanité, vers 1640, huile sur toile du Maître de l’Almanach Damien Lhomme rassemble ainsi sur une table autour d’un crâne des livres (évocation de la connaissance), un pain, une pipe (les plaisirs terrestres), des cartes à jouer (la futilité des plaisirs du jeu).

Dans les pays demeurés catholiques du sud de l’Europe, les crânes sont considérés comme des accessoires indispensables de la prière, rappel à l’Homme de sa condition éphémère. Une Vanité attribuée à Francesco Cittadini (1616 – 1681) nous montre, toujours autour d’un crâne, une bouteille, un livre, une araignée et un papillon blanc (symbole d’éphémère). Ces messages picturaux sont parfois soulignés d’écrits plus explicites, comme dans cette Vanité (vers 1650) du peintre français Simon Renard de Saint-André (1613 – 1677) où figure une partition de Bonjour mon cœur, bonjour ma vie qui met en musique un poème de Ronsard. Les symboles qui l’entourent sont eux aussi très clairs : des bulles de savon, un verre brisé, une bougie qui se consume… En regard de ces éléments du XVIIème sont disposées des sculptures de crâne provenant d’Europe mais aussi de Bali.


Simon Renard de Saint-André : Vanité, vers 1650. Huile sur toile. Lyon, musée des Beaux-Arts. Image © Lyon MBA – Photo Alain Basset

La cinquième salle est dédiée à la Vanité des sciences et des savoirs. Dans une perspective chrétienne, il n’est d’autre gloire que celle de Dieu. Il est donc vain de vouloir percer les secrets de la Création, démarche synonyme d’orgueil voire d’impiété. Un magnifique tableau de l’école de David Teniers II le Jeune (1610 – 1690), aux couleurs lumineuses, fustige la démarche des alchimistes, à la recherche de la vie éternelle : Un alchimiste dans son atelier dit La consultation médicale. Il réunit autour de l’alchimiste toute une série d’accessoires qui constituent autant de symboles : foyer (feu = le Diable), globe (la puissance terrestre), fioles, poteries, crâne, alambic, poteries…


Vincenzo Campi : Les Mangeurs de Ricotta, vers 1580. Huile sur toile. Lyon, musée des Beaux-Arts. Image © Lyon MBA - Photo Martial Couderette

D’autres toiles se contentent de tourner en dérision les plaisirs terrestres, comme ces Mangeurs de ricotta, vers 1580, de Vincenzo Campi (1536 – 1591), dans laquelle des personnages s’empiffrent d’une écuelle de ricotta modelée en forme de crâne ! Peu à peu les natures mortes perdent leur sens religieux, et leurs accessoires ne conservent plus qu’un caractère décoratif, comme dans cette Nature morte au violon d’Henri-Horace Roland de La Porte (1724 – 1793).

La sixième salle nous présente des Méditations. En réaction au protestantisme, l’Église de la Contre-Réforme entend exalter l’image du saint pénitent qui se retire dans le désert afin de se repentir de ses péchés et d’échapper aux tentations humaines. Saint Jérôme et sainte Marie-Madeleine incarnent fréquemment ces modèles. Nous nous trouvons ainsi face à un monumental Saint Jérôme dans le désert de Caspar de Crayer (1584 – 1669), dans lequel le saint, assis, tient un crâne dans sa main, indifférent au lion situé sur sa gauche. Les coloris vifs des opulents étoffes d’une Jeune Femme à sa toilette (vers 1626) de Nicolas Regnier attirent notre regard : coiffée d’une couronne d’oranger (symbole d’éphémère, comme les flacons de parfum disposés sur la table de toilette), elle se regarde dans un miroir (symbole de vanité).


Nicolas Régnier : Jeune femme à sa toilette, Vanité, vers 1630. Huile sur toile. Lyon, musée des Beaux-Arts. Image © Lyon MBA - Photo Alain Basset

La septième salle (Ces plaisirs qui partent en fumée) nous dévoile que la propagande anti-tabac ne date pas d’hier ! Les Pays-Bas sont au XVIIème siècle le premier importateur de tabac, dont la vogue s’est répandue dans toute l’Europe. Quel meilleur symbole de l’inconsistance de la vie humaine que la fumée qui s’échappe des pipes que l’on fume chez soi ou dans les cabarets ? Ce qu’évoque précisément ce Jeune fumeur allumant sa pipe à une bougie, huile sur bois de Godfried Schalken (1643 – 1706). Tandis que l’eau-forte de Franz Van Den Wyngaerde (1614 – 1679) fustige l’ivresse et ses conséquences : ses Joueurs séparés par la mort se battent jusqu’à une issue fatale, suite à une querelle de jeu. Les vices humains sont vus avec cruauté : La peseuse d’or de David Rijkaert III (1612 – 1661) incarne l’avarice ; à l’arrière-plan Mammon, démon de la richesse affublé d’une tête de porc, range un sac dans un coffre-fort. Au premier plan, la balance utilisée par la changeuse évoque également la pesée des âmes. Dans un tableau aux brillants coloris, L’Entremetteuse, qui rappelle les Tricheurs de Georges de la Tour, Jan Van Bylert (c. 1597 – 1671) nous décrit crûment une scène de prostitution : une vieille femme compte les pièces qu’elle vient d’encaisser d’un jeune homme placé à côté d’une jeune fille, et dont il tripote déjà les seins...

Mais la charge la plus féroce contre les vices humains réside certainement dans cette eau-forte de Claude-Henri Watelet (1718 – 1786), d’après David Teniers II, intitulée Le corps de garde des singes. Ces animaux, image à la fois ressemblante et caricaturale de l’Homme, sont habillés comme des contemporains. Ils jouent au trictrac, fument et boivent autour des tables, tandis que certains d’entre eux ont capturé un chat, symbole de luxure. Les passions ravalent les hommes au rang des animaux…

Avant de pénétrer dans la salle 8 (L’absente de touts bouquets), un grand tableau synthétique récapitule les symboles de vanité utilisés et leur sens. Certains sont bien connus, et nous les avons explicités plus haut : fleur, papillon, miroir, bulle de savon, instruments de musique, verre de vin, chandelle qui se consume… Mais saviez-vous que l’écorce du citron, pelée en spirale pour dévoiler la pulpe de l’agrume, n’est pas qu’une figure décorative ? Elle symbolise en effet l’être humain qui se débarrasse de son enveloppe charnelle (l’écorce) pour ne conserver que son essence spirituelle (la pulpe).

La salle proprement dite présente des natures mortes aux fleurs qui brillent de coloris éclatants. Une tige cassée dans le bouquet suffit à rappeler leur caractère éphémère. Certaines compositions sont plus élaborées, et accueillent également des animaux : ainsi ce Chat renversant un vase de fleurs d’Abraham Mignon (1640 – 1679), dans lequel l’animal en oublie de rattraper la souris qu’il tenait jusque-là prisonnière ; brisées ou privées d’eau les fleurs vont mourir rapidement. Ou encore cette superbe huile sur bois de Charles William de Hamilton (1668 – 1754), Plantes, insectes et reptiles dans un sous-bois, sorte de synthèse du cycle de la vie : papillons, escargots et chenilles attaquent la végétation, tandis que leurs prédateurs (lézards, serpents – ces derniers symbolisant la mort) attendent qu’ils passent à leur portée.


Charles William de Hamilton : Plantes, insectes et reptiles dans un sous-bois, 1e moitié du 18e siècle. Huile sur bois. Lyon, musée des Beaux-Arts. Image © Lyon MBA - Photo Martial Couderette

La salle 9, consacrée à La vie précieuse, nous décrypte les représentations minutieuses et réalistes des tables garnies dans les pays de culture protestante : les mets les plus délicats, les ustensiles les plus précieux ne sont décrits avec un grand luxe de détails que pour mieux souligner la vanité des plaisirs terrestres. D’un point de vue purement esthétique, il faut l’avouer, le résultat fascine souvent le regard. Ainsi avec cette superbe Nature morte de Willem Claesz Heda (1594 – 1680), avec sa somptueuse argenterie, et dont le plat garni, au premier plan, repose en équilibre instable. Le nautile, renversé, évoque les lointaines Indes orientales avec lesquelles les Pays-Bas entretenaient un commerce florissant, tandis que le citron pelé constitue comme on l’a vu un symbole suffisamment explicite du sens de la vie pour les contemporains. Nous admirons encore le réalisme stupéfiant des grains de raisin de La Coupe d’Argent, huile sur bois d’Abraham Hendricksz Van Beyeren (c. 1620 – 1690). Là aussi une vaisselle précieuse rehausse la table ; une montre rappelle le temps qui s’écoule, tandis que la nappe semble prête à tomber de la table, indice d’un monde qui bascule.


Willem Claesz Heda : Nature morte, 1642. Huile sur bois. Lyon, musée des Beaux-Arts. Dépôt du musée d’art moderne et contemporain de Saint-Étienne Métropole. Image © Lyon MBA - Photo Martial Couderette

La dixième et dernière salle est consacrée au Miroir animal. La mot des animaux renvoie à celle des hommes, parfois même avec un symbole christique, comme avec le célèbre Boeuf écorché de Rembrandt. Deux superbes aquarelles de 1810, aux dimensions exceptionnelles, nous montrent Un coq suspendu et Un lièvre suspendu. On y admire le soin minutieux apporté par Antoine Berjon (1754 – 1843) dans le rendu du plumage et du pelage des animaux, créant un effet saisissant de réalisme malgré une palette restreinte de couleurs. Elles voisinent avec une Carcasse de viande et oiseau de proie de Francis Bacon (1909 – 1992), qui évoque la barbarie humaine.

Soulignons encore une fois l’appréciable aspect didactique de cette exposition qui nous éclaire sur l’apparition et les développements de la représentation picturale de la Mort à l’époque baroque, en regard d’inspirations plus contemporaines ou venues de cultures exotiques.



Publié le 20 avr. 2022 par Bruno Maury