Rencontre avec Carlo Vistoli

Dans un très bon français, fluide et élégant, Carlo Vistoli nous a fait l’amitié d’échanger avec nous, alors qu’il va chanter à Paris à plusieurs reprises dans les prochaines semaines.

BaroquiadeS : Bonjour Carlo. Et merci de nous avoir accordé cet entretien. Vous êtes de passage à Paris après l’Orphée et Eurydice à Berlin. Comment avez-vous vécu cette série de représentations qui a eu un gros succès ?

Carlo Vistoli : J’en suis très content, très heureux ! Le travail avec David Bates et Damiano Michieletto a été très agréable. C’est une belle production, qui est très exigeante. L’œuvre est courtei, mais elle est donnée sans entracte et je suis sur scène tout le temps. Et la mise en scène de Damiano me sollicite beaucoup : je dois aussi danser et chanter mouillé ! (sourire)

C’est un rôle que j’ai déjà chanté à Rome dans une mise en scène de Robert Carsen. J’ai beaucoup évolué sur le personnage et sur l’interprétation, j’ai ajouté des cadences, des appogiatures, des ornements… C’est un rôle qui se découvre peu à peu et j’en suis tombé amoureux. C’est un rôle très théâtral, dramatique ; ce n’est pas un rôle léger contrairement à la caricature qu’en a fait Offenbach.

Et cette production est vraiment très belle, très travaillée, avec des lumières superbes. C’est tout l’intérêt du travail de l’équipe que Damiano Michieletto a constitué autour de lui et qui l’accompagne dans ses diverses productions.

BaroquiadeS : Aucune chance de l’entendre à Paris ?

Carlo Vistoli : Cette production, je ne pense pas, non. Mais je serais heureux de chanter Orfeo à Paris.

BaroquiadeS : Vous allez retrouver Licida à Paris ce mercredi. Dans quel état d’esprit êtes-vous pour ce rôle ?

Carlo Vistoli : C’est un concert qui était prévu en décembre 2020 et qui a été annulé pour cause de Covid, comme, hélas, beaucoup d’autres spectacles. J’ai déjà chanté le rôle avec Jean-Christophe Spinosi en septembre 2020 mais dans une version sans les récitatifs. Je suis content de retrouver le maestro Spinosi, l’ensemble Matheus et les autres chanteurs. L’Olimpiade, c’est un opéra magnifique avec beaucoup d’airs tous plus beaux les uns que les autres. L’intrigue écrite par Metastasio ne parle pas de dieux ou de magie, elle est humaine et je crois encore captivante pour le spectateur d’aujourd’hui.

Licida est un très beau rôle : il n’y a que trois airs mais avec Mentre dormi... qui dure 8 ou 9 minutes. C’est un air très important cet air du sommeil car Megacle vient de comprendre qu’il va combattre pour donner sa bien-aimée à son ami et il se réfugie dans le sommeil et cet air de Licida, avec cor obbligato, est magnifique, léger, suspendu. Les deux autres airs sont des airs de caractère que j’ai déjà chanté, comme le Gemo in punto que Vivaldi a aussi utilisé dans Farnace.

BaroquiadeS : Ce sont des retrouvailles avec Jean-Christophe Spinosi ?

Carlo Vistoli : Jean-Christophe Spinosi a une incroyable énergie, très communicative et entraînante pour les chanteurs. On va aussi se retrouver au festival de Pâques à Aix-en-provence, le 13 avril, pour un concert avec Luigi De Donato, une sorte de bataille entre basse et contre-ténor.

BaroquiadeS : Et il y a aussi le concert salle Cortot ?

Carlo Vistoli : Ce concert a déjà été reporté 2 fois, à cause du Covid. Ce sera mon 1er concert solo à Paris. Ce sera un peu compliqué car la dernière représentation d’Orphée à Berlin est le 6 mars… C’est un programme que j’ai enregistré avec Paolo Zanzu et une formation limitée au continuo de Le Stagioni ; le disque va sortir prochainement, en avril je crois. Il y a cette cantate magnifique de Haendel, La Lucrezia, deux autres cantates de Haendel qui sont, je crois, des premières mondiales d’enregistrement et une cantate de Vivaldi et de Porpora. Je suis très attaché à la cantate de Porpora car je l’ai travaillé lors du Jardin des Voix.

BaroquiadeS : Ptolémée que vous chanterez en mai sous la direction de Philippe Jaroussky, c’est un rôle que vous connaissez bien.

Carlo Vistoli : Oui, mais, comme toujours, je veux trouver quelque chose de nouveau. Bien sûr, ça dépendra de la mise en scène, mais j’essaie toujours de trouver de nouvelles formes pour le da capo, les ornements. Vous savez, on a certaines variations de l’époque et on voit que les ornements étaient vraiment très élaborés. Pour moi, un chanteur d’aujourd’hui doit apporter le même soin aux ornements, donner à entendre quelque chose de nouveau, chercher à surprendre, étonner. Je fais toujours très attention aux ornementations, peut-être même trop (rires) mais c’est dans le style de l’époque et c’est comme ça qu’on peut aujourd’hui mettre quelque chose de personnel dans les interprétations. Je vais donc retravailler les ornements pour Tolomeo, aussi avec Philippe Jaroussky. Et ça va être une belle expérience avec une distribution magnifique.

BaroquiadeS : Vous nous aviez fait l’amitié de nous accorder une interview fin 2016. Vous voyez comment votre carrière depuis cette date ?

Carlo Vistoli : Je suis très content de la manière dont ma carrière a évolué depuis. A l’époque, j’avais déjà fait le Jardin des Voix avec William Christie, qui a été un vrai tremplin pour moi. En 2017, j’ai pu faire une grande tournée avec J.E. Gardiner et les trois opéras de Monteverdi. J’ai commencé à chanter des rôles plus importants, avec des chefs prestigieux et des metteurs en scène de talent qui ont contribué à ma formation. Chaque production, chaque rencontre avec un chef ou un metteur en scène apporte des occasions de s’améliorer. Et puis, il y a eu le Covid qui nous a arrêté et qui m’a fait perdre des occasions comme une Agripina (Ottone) à La Scala, qui n’a pas été reprogrammée à ce jour, ou un Farnace à La Fenice qui a été repris mais à des dates où j’avais malheureusement d’autres engagements. Mais je dois dire que depuis la reprise j’ai eu de très belles occasions comme mes débuts au Bolchoï en Polinesso (Ariodante), ou une tournée avec Cecilia Bartoli en alternance avec Franco Fagioli. Bref, je suis heureux de la forme qu’a pris ma carrière depuis 2016 et j’espère que ça va continuer. J’ai fait des rencontres importantes avec d’autres artistes, des chefs, des metteurs en scène et je vois ça comme une évolution permanente, une amélioration continue.

BaroquiadeS : Et justement, quels sont vos projets à la scène ou au disque ?

Carlo Vistoli : Pour la scène, je ne peux pas faire d’annonces tant que les saisons et les programmations ne sont pas publiques mais il y aura des choses importantes, y compris des concerts ici à Paris. Je peux quand même dire que je ferai mes débuts dans le Xerse de Cavalli au Festival de Martina Franca. Au disque, outre le disque de cantate dont on a parlé, il y a une Finta Pazza de Sacrati qui doit sortir bientôt et j’ai un projet d’enregistrement de musique sacrée de Vivaldi.

BaroquiadeS : Votre voix a évolué aussi sur ces dernières années …

Carlo Vistoli : Oui, c’est vrai. Je reste toujours dans la tessiture alto pour les rôles que je choisis mais j’ai en effet réglé des difficultés que j’avais sur le haut medium et l’aigu et j’y suis plus à l’aise. J’ai fait par exemple mon premier la aigu au Bolchoï en Polinesso et j’en fait un aussi dans l’enregistrement de Lucrezia. Ce sont des extrêmes pour moi mais on doit faire une différence entre le cantabile qui est dans la partie de la tessiture où l’on est à l’aise et fonder la construction de la voix à partir de là. Moi, j’avais déjà les graves et j’ai travaillé pour acquérir un aigu plus rond, plus charnu mais qui reste cohérent avec l’autre partie de la voix. Je ne voulais pas avoir une voix très différente entre le grave, le medium et l’aigu, et j’ai beaucoup travaillé l’homogénéité de ma voix. Je peux faire des rôles un peu plus aigus que ceux que je pouvais chanter il y a 5 ou 6 ans ; surtout je peux choisir davantage mais je reste alto.

BaroquiadeS : Comment avez-vous vécu la période Covid ?

Carlo Vistoli : J’ai perdu pas mal d’occasions en 2020, comme je le disais tout à l’heure. Au début de la période, ça a été difficile : j’avais du mal à étudier, sans perspectives. J’ai mieux vécu le deuxième confinement car j’avais des rôles importants à travailler. Mais se reposer et reposer la voix c’est important aussi. Aujourd’hui ce qui reste un peu compliqué, ce sont les tests répétés pour les représentations et le stress qui va avec. Voyager aussi, c’est un peu compliqué. Mais l’important c’est de travailler. Maintenant je pense surtout à ce qui se présente aujourd’hui et dans le futur.

BaroquiadeS : Merci beaucoup Carlo et bon succès pour vos prochains concerts !



Publié le 21 févr. 2022 par Jean-Luc Izard