Rencontre avec Fabien Hyon

BaroquiadeS : Bonjour Fabien. Nous avons eu déjà à plusieurs reprises l’occasion de rendre compte de vos prestations lyriques dans des œuvres baroques (voir nos chroniques Paradiso perduto et Daphnis et Alcimadure). Comment vous est venu le goût de la musique et du chant ?

Fabien Hyon : Je ne suis pas originaire d’une famille de musiciens, mes parents étaient tous deux enseignants en langues… Mais dans mon collège d’Aurillac, j’ai eu la chance d’avoir comme professeur de musique un ancien chanteur professionnel. Il ne jurait que par Mozart et Beethoven ; je ne comprenais pas vraiment tout ce qu’il disait mais il était passionné, et a su me transmettre sa passion. Il avait monté un chœur, auquel j’ai participé. Il m’a encouragé en me disant que je chantais juste. Comme je ne connaissais pas la musique, je l’écoutais chanter et j’essayais ensuite de l’imiter...

BaroquiadeS : C’est son exemple qui vous a incité à entreprendre des études musicales ?

Fabien Hyon : Pas tout de suite. J’ai d’abord eu d’autres emplois : je me suis occupé de chevaux maltraités et j’ai été comédien dans deux compagnies de théâtre. Puis j’ai repris des études en fac d’anglais, à Clermont-Ferrand. Le Conservatoire de la ville n’était pas loin de la faculté de Lettres. Dans un premier temps je m’y suis inscrit pour occuper mes loisirs. Et finalement j’ai vite abandonné la fac...

BaroquiadeS : C’est donc à ce moment-là que vous avez opté pour le chant ?

Fabien Hyon : Oui, j’ai passé trois ans au CRR de Clermont, pour un DEM de chant et un autre de musique de chambre. Puis je suis entré au CNSMD de Paris, où j’ai passé cinq ans dans la classe de Malcolm Walker. Le CNSMDP m’a permis d’avoir quelques contrats, mais j’éprouvais encore le besoin d’être suivi. Je suis alors rentré à la Chapelle Musicale Reine Elisabeth à Waterloo, en Belgique. Elle offrait à l’époque quasiment une formation à la carte, avec José Van Dam et Sophie Koch dans le domaine du chant. Quant on côtoie José Van Dam, on bénéficie de son expérience et de son aura, c’était une rencontre capitale ! Avec lui j’ai chanté beaucoup de lieder. Ses sessions étaient très intenses ; on ressentait sa volonté de transmettre son expérience, son patrimoine musical. Il m’a enseigné la nécessité de transmettre à l’auditoire : en ce domaine il est d’une générosité sans pareille.

BaroquiadeS : Evidemment, avec un tel maître...

Fabien Hyon : Oui, c’était vraiment une chance incroyable ! A la fin de ma formation, j’ai eu l’honneur de chanter avec lui à Bienne. Sur scène, il donne tout ce qu’il a, avec sa simplicité. Il possède cette faculté de faire paraître extrêmement simple ce qu’il fait, c’est-à-dire sans effort, et le public le reçoit simplement, sans se rendre compte de la difficulté de la performance réalisée. Et quelle émotion !

BaroquiadeS : Et vos débuts sur scène ?

Fabien Hyon : J’ai fait mes premières armes avec le Capriccio Français de Philippe Le Fèvre, un ensemble baroque auprès duquel j’ai suivi des stages de musique baroque pendant quatre ans. J’ai donné un premier concert d’airs de Haendel, et j’ai aussi chanté des oratorios avec cet ensemble. Puis j’ai rencontré la compagnie de Jeanne DebostOpéra.3, qui donnait des réductions d’œuvres du répertoire, en une heure trente environ : Candide, Carmen, Le Vaisseau Fantôme… entre autres. J’ai eu aussi des contrats avec des théâtres nationaux, j’ai notamment chanté Oncle Vania dans Pourquoi j’ai mangé mon père, une œuvre contemporaine commandée par le Théâtre du Châtelet. Mon premier rôle complet a été celui de Pâris dans La belle Hélène d’Offenbach, à Saint-Quentin. La musique de chambre m’a aussi ouvert la porte de plusieurs festivals...

BaroquiadeS : Je note que si vous avez débuté par le baroque, vous vous êtes très vite investi dans un répertoire beaucoup plus large ?

Fabien Hyon : Comme j’ai découvert la musique assez tard, j’avais envie d’explorer assez largement. Je refuse de me priver de pans entiers du répertoire, je me sentirais frustré. Je pense qu’un chanteur d’aujourd’hui doit être capable d’un peu de versatilité, c’est pourquoi mes expériences ont été très diverses. En outre, se faire la main sur des formes réduites m’a permis de mieux me rendre compte ce dont j’avais envie, là où j’étais à l’aise et là où je devais encore me développer… C’est aussi pour cela que j’ai fait beaucoup de musique contemporaine.

BaroquiadeS : Votre éclectisme est impressionnant ! Et qu’est-ce qui vous intéresse dans la musique contemporaine ?

Fabien Hyon : On voit bien que dans l’histoire de la musique il y a eu une sorte de schisme entre les compositeurs et les chanteurs. A l’époque de Mozart par exemple, les compositeurs écrivaient leurs partitions pour des chanteurs qu’ils connaissaient bien, ceux qui allaient créer le rôle. Dans la musique contemporaine on peut recréer ce lien. Malheureusement, cela n’arrive pas toujours suffisamment. De même, le chanteur a besoin de bien connaître le compositeur. Quand je travaille avec un compositeur contemporain, j’ai envie de lui demander : « Qu’est-ce que tu as écrit d’autre pour ténor ? N'en restons pas là, il y a tant à faire !». Il faut aussi dire que le travail de composition est souvent solitaire, les occasions d’éprouver les effets d’une partition contemporaine sur le public restent rares – même si l’on crée beaucoup aujourd’hui, combien de pièces bénéficient-elle vraiment d’une vie au-delà de leur naissance ? – et nous avons grandement besoin de ce rapport sur le terrain. Le dialogue demande du temps pour se connaître, beaucoup d’humilité de part et d’autre ; or aujourd’hui tout va extrêmement vite ! Mûrir une composition, développer une voix, caler un geste, cela prend du temps. Nous sommes des artisans, qui souhaitons tous obtenir meilleur résultat final, le porter ensemble devant le public et faire en sorte que notre Répertoire continue de s’étoffer.

BaroquiadeS : Merci pour cette vision éclairante. En effet, la musique contemporaine renvoie par certains aspects aux méthodes de création de l’ère baroque. Mais quand on vous écoute dans le baroque, on est frappé par votre maîtrise des styles propres à ce répertoire, qu’il s’agisse d’opéras français ou italiens, qui demandent des qualités assez différentes, qui sont souvent l’apanage de chanteurs plus ou moins spécialisés dans ces domaines...

Fabien Hyon : Concernant le baroque, j’aborde chaque œuvre sans prétendre effectuer une reconstitution. Même si je lis des traités, si j’écoute ce qu’on fait mes prédécesseurs, j’ai conscience que mon interprétation ne peut être que contemporaine. Je m'efforce d'être fidèle au style et de restituer ce que j'aime tant dans cette musique, mais même pour le baroque, on peut constater que ce style a évolué au cours des dernières décennies. Il existe aussi des enregistrements anciens, antérieurs à la démarche « musicalement informée », que j’aime parce qu’ils offrent une vérité dans le son, si ce n’est dans le style. Car ils reposent sur une démarche d’engagement total dans un son constant, qui emporte l’adhésion de l’auditoire parce qu'elle est ancrée dans son époque.

BaroquiadeS : Même dans le baroque, vous avez exploré des styles très différents, du ténor de Cavalli (dans Erismena) au haute-contre français dans Isis de Lully (voir notre compte-rendu)...

Fabien Hyon : … ou encore, pour l’Allemagne, dans des cantates de Bach ou Schütz ! Dans le répertoire français, je chante plutôt les rôles de taille. La haute-contre demande une technique très particulière, qu’il faut soutenir durant tout le concert. Les rôles de haute-contre chez Lully avant 1680 sont un peu plus aisés à chanter car le chant y est plus « central », moins tendu. Dans le rôle de Mercure (Isis), les récitatifs sont nombreux, l’expérience du théâtre m'a aidé : il faut avant tout donner une forme à la phrase et un rythme, non pas seulement musical mais d’intention. La voix est un vecteur : on est là pour raconter une histoire, servir un propos, sérieux ou léger. Cela ne se fait jamais seul : il faut considérer l’émetteur, la partition, l’acoustique du lieu, le public qui reçoit…

BaroquiadeS : Avec cette approche, vous semblez à l’aise dans tous les styles, de l’opérette à la tragédie lyrique...

Fabien Hyon : C’est très exigeant de passer d’un style à l’autre… Mais cela me semble nécessaire pour toucher des publics variés. Je fais ce métier pour explorer le répertoire, rencontrer des êtres différents et faire que nos mondes se rencontrent. Nous contribuons à un spectacle vivant, objet à la fois beau et fragile. Sa beauté vient d’ailleurs pour une part de ce côté fragile, éphémère...

BaroquiadeS : Et vous êtes aussi très à l’aise les rôles comiques, comme celui de Jeanet dans Daphnis et Alcimadure, dans lequel nous vous avons entendu récemment...

Fabien Hyon : J’aime la comédie c’est vrai. Pour moi il n’y a pas de différence entre une pièce comique et une pièce dramatique. Car il n’y a pas d’instant comique pour celui qui interprète le rôle : c’est à travers le regard du public qu’il est comique. Le théâtre comique est sans doute ce qu’il y a de plus difficile à jouer, car il demande une vérité de chaque instant ; il faut garder son sérieux pour ne pas se trouver drôle !

Avant toute chose, nous sommes des interprètes, nous traduisons le livret et la partition. Quand j’aborde une œuvre, je me guide au départ sur ce qui est écrit. Cela permet de déceler les enjeux des personnages : je vois des êtres humains à qui il arrive des aventures et qui y font face avec ce qu’ils ont à leur disposition. Il n’y a pas de phrase gratuite, l’enjeu c’est le squelette du personnage, ce qui lui permet de tenir debout. En se donnant la réplique, on se fait exister mutuellement. Il ne doit pas y avoir de place pour le doute ou la peur, il faut que l’on travaille tous ensemble. Nous faisons un métier formidable !

BaroquiadeS : Votre enthousiasme, votre recherche de complicité avec vos partenaires caractérisent en effet les interprétations dans lesquelles nous avons eu le plaisir de vous entendre ! Et quels sont vos projets pour les prochains mois ?

Fabien Hyon : Cette saison j’ai une actualité très baroque ! Je chanterai dans le Thésée de Lully, avec Christophe Rousset. J’apprécie beaucoup de travailler avec ce chef, qui aime les voix et n’hésite pas à donner leur chance à de jeunes chanteurs. L’opéra sera donné en mars à Vienne, à Bruxelles (Bozar) puis à Paris au Théâtre des Champs-Elysées. Toujours au TCE et en mars, je chanterai dans le Médée de Charpentier, dirigé par Hervé Niquet. En juillet je participerai à la recréation de la Jérusalem délivrée du Régent, sous la conduite de Leonardo Garcia Alarcón. Je poursuivrai aussi, avec ma compagne Juliette Sabbah, la tournée de notre récital Paris Vagabond, notamment à Avignon. Enfin je chanterai dans un opéra écologique contemporain, Xynthia, l’odyssée de l’eau, qui sera donné en décembre à Reims et en janvier à Metz.

BaroquiadeS : Beaucoup de baroque mais avec une large ouverture vers le reste du répertoire, y compris le contemporain, une saison décidément à votre image ! Merci Fabien, nous aurons donc l’occasion de vous entendre prochainement et nous nous en réjouissons.



Publié le 26 nov. 2022 par Bruno Maury