Rencontre avec Nathalie Stutzmann

BaroquiadeS : Vos parents étaient tous les deux chanteurs (baryton et soprano), est-ce que vous êtes une moyenne entre les deux ?

Nathalie Stutzmann : Peut-être, en quelque sorte, mais j’ai la voix aussi grave que mon père, c’est certain.

BaroquiadeS : Il y a longtemps que votre mère ne chante plus ?

Nathalie Stutzmann : Elle a arrêté sa carrière il y a une vingtaine d’années et depuis elle a enseigné.

BaroquiadeS : C’était une soprano lyrique, n’est-ce pas ?

Nathalie Stutzmann : Oui, c’était un très beau soprano lyrique spinto, Puccini,… Elle était à l’Opéra de Paris. Tout ce que j’ai rêvé de chanter mais que je ne chanterai jamais.

BaroquiadeS : Ah vraiment ?

Nathalie Stutzmann : Oui, car quand on est enfant et que l’on entend sa mère chanter des rôles aussi beaux que Butterfly, Tosca ou autre, on est assez fasciné et j’aurais adoré. Mais il était assez évident, même à ma voix parlée d’enfant que ma voix chanté était plus grave que celle de ma mère. Mais j’ai ensuite rêvé d’être mezzo et de chanter Carmen et le Chevalier à la Rose et je me suis vite aperçue que je n’étais qu’un « pauvre contralto ».

BaroquiadeS : Vous avez pratiqué le basson, le piano, la musique de chambre et évidemment la direction. Comment peut-on se retrouver au milieu de toutes ces activités ?

Nathalie Stutzmann : Je pense que cela indique bien que ma passion c’est la musique et la musique dans son ensemble. J’ai grandi comme musicienne avant d’être chanteuse, j’ai étudié la voix, comme à peu près tous les chanteurs à seize-dix-sept ans. J’ai gagné un prix international deux ans plus tard, ce qui fait que la priorité a été donnée à la voix. Mais, j’ai toujours gardé cet esprit ouvert et cette envie dévorante de la direction d’orchestre et j’ai toujours entretenu mes instruments. Je vous parle en regardant mon piano à queue sur lequel je jouais il y a quelques instants. Je ne joue plus de basson et de violoncelle par manque de temps.

BaroquiadeS : J’ai vu que vous aviez pris des leçons avec Hans Hotter et Michel Sénéchal. Ce sont deux chanteurs totalement différents.

Nathalie Stutzmann : Absolument ! Mon premier et principal professeur a toujours été ma mère, Christiane Stutzmann. Parallèlement à cela, je suis entrée à l’école de l’Opéra en 1983 et Michel Sénéchal était mon professeur de chant et directeur de l’école. Il a fait un très très bon travail et c’était un plaisir de travailler avec lui. Au bout d’un an, nous avons eu la chance d’avoir une master class donnée par Hans Hotter, c’est là que je l’ai rencontré. Ensuite, il m’a suivie et j’ai travaillé régulièrement avec lui tout le lied allemand, que j’ai découvert et perfectionné avec lui.

BaroquiadeS : C’est toute la partie « lieder allemand » de votre répertoire, que vous avez enregistré avec celle que l’on pourrait appeler votre pianiste préférée, Inger Södergren.

Nathalie Stutzmann : Tout à fait. Musicalement, c’est quelqu’un d’absolument fabuleux dont j’ai appris énormément, tout au long de nos années de travail commun.

BaroquiadeS : Et vous chantez toujours avec elle ?

Nathalie Stutzmann : En récital toujours ! Quand je trouve ce qui me convient, je n’ai pas besoin d’aller voir ailleurs. Il y a une communion musicale qui a été là dès le premier concert, dès le premier disque et c’est toujours un plaisir. Il est vrai qu’aujourd’hui, mes activités vocales sont recentrées uniquement sur mes concerts avec Orfeo 55 et mes récitals avec Inger Södergren.

BaroquiadeS : Comment êtes-vous arrivée dans la planète baroque ? Car ni Michel Sénéchal, ni Hans Hotter ne sont de grands baroqueux ?

Nathalie Stutzmann : En fait, j’ai fait très peu de baroque dans ma vie. J’en fais beaucoup maintenant car c’est un répertoire que je n’ai pas eu le temps d’explorer quand j’étais plus jeune. Tout simplement pour des raisons évidentes car c’est ce répertoire baroque qui offre le plus de possibilités aux voix de contralto, que ce soit pour l’opéra ou pour le concert. Il y a un choix extraordinaire pour la voix d’alto que l’on n’a plus du tout ultérieurement.

BaroquiadeS : On sait que Vivaldi appréciait particulièrement la voix d’alto.

Nathalie Stutzmann : Absolument, il adorait particulièrement les voix féminines, c’est la raison pour laquelle, nous allons consacrer la deuxième partie de notre résidence à Montpellier à un répertoire qui s’appelle Prima Donna. Parce que je voulais révéler tous ces airs exclusivement écrits pour des voix d’altos féminines et non pour des castrats.

BaroquiadeS : Oui, on oublie souvent que la voix des castrats, même chanté par des contre ténors, est fondamentalement une voix d’alto.

Nathalie Stutzmann : Evidemment et l’on oublie aussi que Vivaldi, comme beaucoup de compositeurs, écrivait pour les castrats parce que c’étaient des vedettes à l’époque mais ses écrits montrent que d’un point de vue personnel, il préférait les voix féminines.

BaroquiadeS : Comment apprend-on la virtuosité et l’ornementation baroques ?

Nathalie Stutzmann : Vous savez, j’ai une formation de musicienne. Je lis la musique comme le journal. J’ai fait un apprentissage rapide lors de mes premiers concerts avec certains spécialistes du baroque. J’ai essayé de comprendre les spécificités, les façons de s’amuser avec les ornements. Ce sont des règles de base qu’il faut connaître pour pouvoir ensuite s’en libérer. Je déteste les extrémismes quels qu’ils soient.

BaroquiadeS : J’ai noté au moins deux chefs qui ont eu de l’influence pour vous, ce sont Ozawa et Rattle.

Nathalie Stutzmann : Oui, ce sont mes deux mentors de direction, ce sont les deux qui m’ont encouragée, donné ma chance et surtout, qui aujourd’hui continuent à me soutenir, avec qui je suis en contact permanent pour tout ce qui concerne ma carrière de chef d’orchestre symphonique et d’opéra. Ce sont des êtres merveilleux à mes côtés.

BaroquiadeS : Comment se retrouve-t-on, en tant que femme, devant un orchestre. On sait que l’orchestre est parfois un peu « cours d’école ». Comment doit-on les prendre ?

Nathalie Stutzmann : Il faut savoir que la France est très en retard sur ce sujet, encore très réfractaire à la direction des femmes. C’est malheureux pour ce pays tellement moderne sur d’autres plans, on comprend mal ce retard. Il est vrai que sur le plan personnel, j’ai été arrêtée dans mon souhait de diriger, lorsque j’étais adolescente par un professeur, un macho qui ne supportait pas l’idée qu’une femme puisse vouloir monter sur un podium. J’ai rapidement compris que je ne pourrai rien faire d’intéressant de ce côté-là à cette époque et j’ai attendu que le vent commence à tourner. J’ai bien fait car dans certains pays comme la Scandinavie ou le Brésil, dont je reviens et où je suis « Principal Guest Conductor » d’un merveilleux orchestre, cela ne leur pose aucun problème que ce soit une femme. C’est un aspect auquel je n’ai pas pensé, je voulais diriger, deux des plus grands chefs de la planète m’ont dit que j’avais des talents pour le faire, donc je ne me suis pas posé de questions. Il y a très peu d’endroits où le fait d’être une femme a pu me poser problème, hormis la France, hélas. J’ai une autorité naturelle, je pense, qui m’aide beaucoup. Aujourd’hui, j’ai de très grands orchestres entre les mains, comme l’Orchestre symphonique de la radio-télévision irlandaise de Dublin. Lorsque j’arrive dans un endroit et que les gens sont renseignés, il y a un respect et une reconnaissance par rapport à ma carrière de chef qui s’est énormément développée ces dernières années. J’essaie d’éviter les « cours d’école ».

BaroquiadeS : Lorsque l’on arrive pour la première fois devant un orchestre, comme le Philharmonique de Londres ou l’Orchestre de Philadelphie, le cœur doit tout de même battre fort…

Nathalie Stutzmann : Et comment ! C’est très impressionnant et surtout la première répétition, qui, pour tout chef, est la clé. Effectivement, on se retrouve devant une centaine de personnes que l’on ne connaît pas et qu’il va falloir séduire.

BaroquiadeS : Que pensez-vous de la croyance qui consiste à dire que les musiciens jugent la qualité d’un chef dès son arrivée au pupitre ?

Nathalie Stutzmann : C’est presque cela même si c’est un peu une caricature. Mais, c’est comme pour le chef qui au bout de dix-quinze minutes sait déjà où sont les points forts et les faiblesses. Vous savez, diriger un orchestre pour la première fois, c’est comme essayer une nouvelle voiture. Quand vous êtes habitué à bien conduire, vous essayez différents modèles et vous repérez tout de suite les points forts et les points faibles. Je me souviens la première fois où j’ai dirigé l’orchestre de Berlin du Konzerthaus, l’orchestre d’Ivan Fischer, un chef de pupitre est venu me voir à la fin du concert et m’a dit qu’à la première levée que j’avais faite ils avaient compris qu’ils allaient passer une bonne semaine de travail. Les musiciens sentent quand on a une vision musicale, une technique, un charisme pour faire passer la vision de l’œuvre que l’on a. Quand on a tellement travaillé, les musiciens le sentent.

BaroquiadeS : Au point de vue répertoire, vous avez fait du Beethoven, du Brahms, un Tannhauser qui a beaucoup marqué, vous pensez vous orienter plutôt vers le symphonique ou l’opéra ?

Nathalie Stutzmann : Le cœur de mon répertoire c’est le grand répertoire symphonique allemand romantique ou post romantique, Strauss, Wagner, Brahms, Beethoven… mais comme j’aime l’opéra, que je suis née dans le monde de l’opéra et en tant que chanteuse, j’ai plaisir à travailler avec des chanteurs et j’essaie de faire au minimum une belle production d’opéra par an. Je pense que l’on est un meilleur chef symphonique si l’on fait un peu d’opéra et inversement. Je pense que les deux apportent différentes choses et sont complémentaires et j’aimerais trouver un équilibre en gardant une ou deux productions d’opéra par an.

BaroquiadeS : Autre difficulté : diriger en chantant.

Nathalie Stutzmann : Je m’étais amusée à aborder cette difficulté lorsque j’ai créé mon propre orchestre de chambre. C’est un exercice que je ne pratique qu’en petite formation et qui fonctionne bien, je pense, pour quelqu’un qui a les deux formations comme moi. Je fais un travail de chef au départ mais ce sont toujours les mêmes musiciens que j’ai moi-même recrutés. Nous travaillons ensemble depuis cinq-six ans, nous avons une belle complicité, nous travaillons plus vite et c’est un vrai plaisir de chambriste.

BaroquiadeS : Parlons de votre résidence à Montpellier avec votre orchestre Orfeo 55. Tout d’abord d’où vient le nom ? On comprend bien l’Orfeo mais le 55 ?

Nathalie Stutzmann : Et bien, tout d’abord, le cinq est mon chiffre fétiche, c’est le chiffre de mon chemin de vie. Pour moi, c’est le plus beau chiffre car il allie la rondeur et la douceur féminine à la puissance masculine. Je trouve que c’est un chiffre très complet, très yin et yang. Mais un seul cinq aurait fait un peu trop « Chanel n°5 » et j’ai découvert que le 55 représentait la musique dans toute l’histoire de la cabbale napolitaine musicale !

BaroquiadeS : A partir de septembre, vous êtes en résidence à Montpellier pour trois ans. Il y a eu Christophe Rousset, Hervé Niquet, les Ombres, quelle est votre proposition ?

Nathalie Stutzmann : Le projet d’Orfeo est tout à fait particulier parce que je suis chef et chanteuse et c’est donc un autre répertoire qui va être développé, un autre projet. Nous avons envie de faire découvrir d’autres répertoires, de faire des actions pédagogiques vis-à-vis des jeunes de la région. Mes musiciens sont extrêmement investis à titre personnel sur le plan social. Nous discutons actuellement avec l’opéra pour construire les trois prochaines saisons afin que ce soit le feu d’artifice le plus complet possible.

BaroquiadeS : On m’a soufflé qu’il y aurait peut-être un opéra de Haendel ?

Nathalie Stutzmann : Effectivement, c’est dans l’air.

BaroquiadeS : Vous dirigeriez et vous chanteriez ?

Nathalie Stutzmann : Pour le moment, on ne peut rien dire…

BaroquiadeS : Le programme de votre prochain concert, Quella Fiamma, est le programme d’un disque qui vient tout juste de sortir. J’ai du mal à le situer. Il contient les arie antiche, fameuse compilation de Parisotti mais j’ai l’impression qu’il y a autre chose…

Nathalie Stutzmann : Et bien non, il n’y a que ce qui figurait dans les recueils de Parisotti

BaroquiadeS : Plaisir d’amour en faisait partie ?

Nathalie Stutzmann : Absolument ainsi que Ah, mio cor, schermito sei de Haendel, ainsi que l’air de Cléopâtre et dans les tessitures de voix moyennes. Ainsi, j’ai eu le plaisir de chanter deux airs de sopranos que je n’aurais jamais chantés autrement parce qu’ils étaient dans les recueils Parisotti.

BaroquiadeS : Mais les éditions de Parisotti, musicologue compositeur de 19ème siècle proposaient des partitions piano-voix. Etes-vous revenue sur les partitions originales ?

Nathalie Stutzmann : En fait, le projet est une première mondiale. Effectivement, Parisotti avait fouillé dans le répertoire baroque des bibliothèques italiennes mais comme il les destinait aux classes de chant, il les a arrangées avec piano dans un style du 19ème. Donc, cela a toujours été chanté de cette manière par les Pavarotti, Caballé,… c’était bien pratique d’avoir des versions piano. De nos jours encore, dans le monde entier, tout le monde chante les Arie antiche, je les ai moi-même chantés. Mais je me suis demandé où étaient les partitions originales et je me suis rendue compte que personne n’en avait eu l’idée. Cela m’a demandé deux ans de recherche. J’ai fait plus de quatre-vingt disques et c’est celui qui m’a demandé le plus de travail. Tout était dispersé dans le monde entier.

BaroquiadeS : Et vous avez adapté cela à votre ensemble ?

Nathalie Stutzmann : Non, nous jouons les orchestrations d’origine. Parfois, on a dû compléter, comme une aria où il manque quelques mesures de la partition d’alto. Ainsi, nous ne jouons que les airs que nous avons pu retrouver.

BaroquiadeS : Pour revenir à Quella Fiamma, je n’avais pas idée que c’était de Conti…

Nathalie Stutzmann : Dans le recueil de Parisotti, ce n’est justement pas indiqué de Conti. Mais lors de nos recherches, nous avons découvert qu’il s’agissait d’une cantate entière avec une petite aria, un récitatif en plus de Il mio bel foco et Quella Fiamma et on a découvert qu’il l’avait attribuée à un mauvais compositeur. On s’est ainsi trompé de compositeur pendant plus de cent ans mais nous avons retrouvé le manuscrit complet dont il y a une photo dans le livret du disque.

BaroquiadeS : Dernière question : quel serait le rôle de contralto que vous rêveriez de chanter et que l’on ne vous a jamais proposé ?

Nathalie Stutzmann : J’aurais vraiment aimé chanter sur scène le rôle de Rinaldo que l’on ne m’a jamais proposé mais je ne chante plus d’opéra sur scène. Mais il faut faire des choix parfois et je fais déjà tellement de choses passionnantes à côté que c’est sans aucun regret.



Publié le 07 déc. 2017 par Robert Sabatier