Rencontre avec Paul-Antoine Benos

Figurant au nombre des lauréats HSBC des Jeunes Talents de l’Académie du Festival d’Aix en Provence, Paul-Antoine Bénos nous avait particulièrement impressionné lors du concert « Caprices de Divas », le 27 novembre 2017 à la salle Gaveau (voir le compte-rendu).

BaroquiadeS : Vous avez une très solide formation musicale et scénique. Pouvez-vous nous dire ce qui vous a amené en particulier vers le chant?

Paul-Antoine Benos : J'ai réellement débuté mes études musicales en rentrant à l'âge de huit ans au Conservatoire de Montpellier, ma ville natale, en classe de percussions. Mais le chant m'attirait déjà beaucoup. J'ai donc intégré en parallèle la structure Opéra Junior, en lien avec l'Opéra National de Montpellier, me donnant l'opportunité de participer à mes premiers projets scéniques. Ce fut une expérience dont je garde d'excellents souvenirs! Je me suis inscrit par la suite dans le cursus de chant choral du conservatoire alors dirigé par Claire Garonne puis Patrice Baudry, et au sein duquel j'ai eu la chance d'appréhender déjà pas mal de répertoire! Ceux-ci m'ont fortement encouragé et convaincu de poursuivre dans cette discipline.

BaroquiadeS : Comment choisit-on de devenir contre-ténor? Et comment choisit-on son registre ?

Paul-Antoine Benos : Enfant, j'ai chanté en tessiture de soprano puis alto. Après ma mue, je me suis un peu cherché vocalement. J'utilisais fréquemment ma voix de fausset pour aborder mes aigus. C'était une tessiture qui me semblait venir assez naturellement, dans laquelle je me sentais à l'aise. Je n'avais alors pas idée que la voix de fausset constituait une tessiture à part entière, vouée à tout un répertoire Je n'ai d'ailleurs découvert réellement le répertoire baroque qu'à partir de ce moment-là !

BaroquiadeS : Comment vous situez vous par rapport aux contre ténors stars comme Philippe Jaroussky, Max Emmanuel Cencic ou Franco Fagioli ? Avez-vous un modèle ?

Paul-Antoine Benos : Tous trois sont des chanteurs aux carrières exceptionnelles, que j'apprécie évidemment, mais pour des raisons différentes. J'admire la beauté de timbre de Max Emmanuel Cencic, tout comme je suis fasciné par l'art vocal et la virtuosité de Franco Fagioli qui repousse les limites du répertoire jusqu'alors dédié aux contre-ténors. Quant à Philippe Jaroussky, auprès duquel j'ai eu la chance de travailler lors de l'académie de Sablé-sur-Sarthe et avec qui je garde contact encore aujourd'hui, c'est pour moi un grand artiste: tout à la fois talentueux, humble et généreux, et dont le parcours force le respect ! Également, Bejun Mehta, Andreas Scholl ou encore Christophe Dumaux sont des contre ténors que j'apprécie beaucoup. Mais il n'y a pas que les contre ténors que j'affectionne! Les grands chanteurs tels R. Alagna, A. Netrebko, L. Tezier, S. Degout, C. Bartoli - pour ne citer qu'eux - me fascinent par leur implication totale et la facilité apparente de leur chant ! Et tant d'autres encore !... Je pense qu'on apprend beaucoup en écoutant et en allant voir en concert les chanteurs. Tous sont, d'une manière ou d'une autre, très inspirants. Reste à essayer, pour le jeune chanteur que je suis, de ne pas tomber dans le mimétisme et de garder autant que possible sa spontanéité, son naturel. Par ailleurs, il est intéressant de se rendre compte que la voix de contre-ténor, par la diversité des timbres, des styles, et la singularité des artistes qui la représente, constitue une tessiture à part entière aujourd'hui. À l'instar de toutes les autres tessitures, elle jouit à mon avis d'une certaine « légitimité » qui lui manquait auparavant, notamment auprès des professionnels et des programmateurs du monde lyrique. Tout cela est de bon augure et surtout encourageant pour les jeunes contre ténors qui décident de s'embarquer dans une carrière professionnelle.

BaroquiadeS : Nous vous avons remarqué et apprécié dans « Caprices de divas ». Comment avez-vous été retenu pour ce spectacle ? Comment l’avez-vous vécu ?

Paul-Antoine Benos : À la suite de l'académie du Festival de Sablé dirigée par Philippe Jaroussky justement, la directrice du festival m'a proposé de participer à un récital lors de l'édition suivante, en compagnie de trois autres contre-ténors et l'ensemble Il Pomo d'Oro. Ce spectacle était coproduit avec Les Concerts Parisiens. Ces derniers ont par la suite envisagé ce spectacle assez original et m'ont proposé d'y participer. J'ai accepté avec grand plaisir ! La salle Gaveau étant assez mythique, le défi était à la fois excitant et intimidant. Ce fut au final une très belle expérience! Anthea Pichanick et Myriam Arbouz ont courageusement accepté de remplacer au pied-levé les deux chanteuses initialement prévues pour le projet, ce qui nous a rendu très vite solidaires et bienveillants entre chanteurs mais aussi avec les musiciens de l'ensemble Les Muffatti. Ils nous ont chaleureusement accompagnés sur ce projet !

BaroquiadeS : Vous allez chanter Rinaldo à Besançon et à Compiègne début 2018. Ce n’est pas un peu effrayant un rôle-titre à ce stade de votre carrière ?

Paul-Antoine Benos : Sans oublier d'autres très belles scènes telles celles de Nantes et Angers, ou encore La Rochelle... Il y a plus d'une vingtaine de dates de prévues pour ce projet! Un sacré défi pour un jeune chanteur en cours de formation, c'est certain ! Lorsque l'on m'a proposé de passer une audition pour le rôle, j'ai pris un temps de réflexion. Mon professeur et les personnes en qui j'ai confiance m'ont convaincu d'accepter. J'ai alors été contraint de mettre mes études au Conservatoire entre parenthèses. Il n'est pas évident de se décider à se lancer dans le grand bain quand on est comme moi de nature assez prudente. En outre, il y a toujours une part de risque d'accepter car rien n'est gagné d'avance évidemment, même après avoir bénéficié de l'enseignement du Conservatoire qui nous prépare autant que possible aux réalités du métier. Après, il faut se lancer à un moment ou à un autre! Je pense que toutes les hypothèses et tous les pronostics ne valent rien face à l'expérience vécue, particulièrement celle de chanter avec mise en scène. Ce qui est certain c'est que toutes les conditions sont réunies pour que j'aie la confiance nécessaire et que je prenne un maximum de plaisir !

BaroquiadeS : Comment préparez-vous cette prise de rôle ?

Paul-Antoine Benos : De tous les airs du rôle, je ne connaissais que Cara Sposa et Venti turbini que j'avais déjà travaillé avec mon professeur Yves Sotin au Conservatoire. J'ai eu également la chance, en amont des premières répétitions de faire une petite séance de travail très précieuse avec P. Jaroussky à qui j'ai chanté la quasi-totalité du rôle ; rôle qu'il avait lui aussi déjà abordé. Tout le travail de mémorisation se fait en revanche de manière autonome. Nous avons eu ensuite plusieurs résidences de répétitions notamment à Dunkerque, au Théâtre la Licorne où siègent les décors imaginés par Claire Dancoisne, la metteur en scène, et Royaumont, où nous avons essentiellement travaillé sur la musique avec Bertrand Cuiller qui assure la direction musicale. Nous avons pris le temps de nous connaître entre chanteurs, comédiens et techniciens, et avons pu nous familiariser avec les costumes, le jeu de scène, la musique, puis la psychologie de nos personnages et leurs émotions qui évoluent au fil de l'œuvre. Nous avons aussi bénéficié des conseils d'une coach d'italien, très utiles notamment pour les récitatifs. Il y a enfin la dernière ligne droite avec les deux semaines de répétitions intensives avant les deux premières représentations à Quimper où nous aurons l'occasion de filer l'œuvre le plus possible.

BaroquiadeS : Et la suite vous la voyez comment ?

Paul-Antoine Benos : Après la dernière de Rinaldo en mars, j'enchaîne avec une Passion selon Saint Mathieu de Bach avec La Chapelle Rhénane que nous donnerons à Strasbourg, Lyon et Leipzig. Puis quelques récitals avec plusieurs ensembles regroupant mes amis musiciens, avant un bel été avec quelques festivals, dont deux reprises de Rinaldo à Sablé-sur-Sarthe et Bruges. Et pas mal d'autres projets encore, plus lointains, dont certains attendent confirmation. L'expérience de la scène et cette série de représentation de Rinaldo sera à mon avis très riche d'enseignements sur ma manière d'aborder et gérer mes futurs projets.

BaroquiadeS : Une jeune carrière et une vie personnelle, privée, ce n’est pas trop difficile à concilier ?

Paul-Antoine Benos : Je suis aux prémices de ma carrière professionnelle mais je commence effectivement à expérimenter les contingences de la vie de chanteur. Au sortir du Conservatoire, on peut se sentir un peu en perte de repères. Pour ma part, je garde contact avec mes professeurs, mais j'apprends dans le même temps à être autonome dans mon travail. Cette autonomie est nécessaire car nous sommes le plus souvent assez livré à nous-même en période de production. Chacun retrouve sa chambre d'hôtel à l'issue des répétitions et goûte à la solitude. Et même s'il n'est pas évident de quitter ses collègues à l'issue d'un beau projet, on est bien content de retrouver son « chez-soi » et ses proches. On doit trouver le juste équilibre entre les moments consacrés au chant et ceux, tout aussi importants, qui nous permettent de déconnecter un peu.

BaroquiadeS : Pouvez-vous nous dire en quelques mots ce qui vous caractérise, qui vous êtes ?

Paul-Antoine Benos : Je suis assez curieux. Tout ce qui touche à l'art en général m'intéresse! J'ai la chance d'habiter Paris qui regorge de salles de spectacles, de musées et autres lieux où l'on peut étancher sa soif de culture ! Je suis de nature contemplatif et, par conséquent, un peu étourdi il faut bien l'admettre ! J'aime passer du bon temps avec mes amis et ma famille, leur soutien et leurs conseils sont fondamentaux pour moi. Je hais les situations de conflits, qui me mettent très mal à l'aise, de même que les jugements a priori, sans fondements. J'aime le débat, je défends l'esprit critique, mais l'humiliation ne se justifie jamais à mes yeux. J'ai beaucoup de respect pour les chanteurs en général, et plus particulièrement ceux qui arrivent à mener leur carrière dans la durée, tout comme ces sportifs qui réitèrent leurs exploits années après années. Ils savent se remettre en question, faire preuve d'humilité, tout en gardant cette confiance nécessaire dans les moments difficiles. Enfin, tout en étant assez exigeant avec moi-même, je m'efforce de rester optimiste. J'ai conscience qu'évoluer dans un domaine qui m'est cher et qui a ses lettres de noblesses constitue une grande chance! Comme disait l'autre, « La musique adoucit les mœurs »... Se retrouver investit d'une telle mission est assez plaisant à mes yeux !

BaroquiadeS : Pour nous permettre de mieux vous connaître, accepteriez-vous de nous dire quel est votre pire défaut personnel ?

Paul-Antoine Benos : Je dirais l'indécision, l'hésitation. La peur de devoir trancher et d'avoir fait le mauvais choix.

BaroquiadeS : Quel serait votre rêve ?

Paul-Antoine Benos : Ne jamais cesser d'être curieux. Partager le plus longtemps cet amour de la musique avec le plus de monde possible et rendre fier de moi les gens qui me soutiennent.

Vous pourrez entendre Paul-Antoine Bénos dans le rôle-titre de Rinaldo (Haendel) : les 18 et 19 janvier à Quimper ; les 24, 26, 28, 29 et 31 janvier à Nantes ; les 4 et 6 février à Angers ; les 9 et 10 février à Besançon ; le 13 février à Saint-Louis ; les 16 et 17 février à Compiègne ; les 20 et 21 février à Dunkerque ; le 1er mars à Charleroi ; le 4 mars à Mâcon ; le 13 mars à La Rochelle



Publié le 06 janv. 2018 par Jean-Luc Izard