Rencontre avec Romain Bockler

BaroquiadeS : Bonjour Romain. On vous a entendu récemment à Marseille, dans Les Fêtes Vénitiennes, données lors du festival Mars en Baroque (lire notre chronique), et nous avons été attirés par votre voix de baryton...

Romain Bockler : Je travaille depuis longtemps avec Jean-Marc Aymes, le directeur du festival Mars en Baroque. Je l’ai rencontré quand j’ai débuté le chant au conservatoire, où il était professeur de clavecin. Il m’a ensuite invité à intervenir avec son orchestre Concerto Soave. Nous travaillons beaucoup sur le répertoire baroque italien.

BaroquiadeS : Qu’est-ce qui vous attire dans ce répertoire ?

Romain Bockler : Le XVIIème siècle constitue une période charnière. Les premières décennies sont encore empreintes d’un contrepoint séculaire et rigoureux. Mais celui-ci est bousculé par l’arrivée du madrigal : on s’écarte alors du strict contrepoint pour créer la monodie accompagnée, le recitar cantando. En tant qu’interprète il est très important pour moi de comprendre et d’assimiler cette évolution musicale essentielle. C’est pourquoi je chante aussi bien des polyphonies du XVIème siècle que des opéras du XVIIIème.

BaroquiadeS : Les polyphonies c’est très différent du baroque...

Romain Bockler : Oui, c’est comme être à la fois soliste et faire partie d’un ensemble. On ne peut pas s’appuyer sur les autres, et pourtant il est indispensable de savoir les écouter. C’est assez éloigné de ce qu’on apprend dans le chant classique, et c’est probablement aussi pour cela que ce genre m’attire.

BaroquiadeS : Mais n’est-ce pas un peu difficile de chanter des répertoires aussi différents ?

Romain Bockler : Je pense qu’on peut chanter des musiques très variées si la technique est saine. Je rencontre régulièrement des professeurs à Paris et à Amsterdam pour perfectionner ma technique. Travailler la technique c’est primordial, cela permet de chanter des morceaux qui relèvent d’un large espace temporel. Par exemple l’an dernier, j’ai chanté à Avignon dans Le Dialogue des Carmélites, actuellement je chante dans Didon et Enée, et je tiendrai le rôle du pasteur dans Miranda à Caen et à Bordeaux, dans lequel je succède à Marc Mauillon. La majorité de mes rôles appartiennent au répertoire baroque, pour lequel ma formation au CNSMD de Lyon m’a donné beaucoup d’outils.

BaroquiadeS : Et comment êtes-vous venu au chant ?

Romain Bockler : Mes premières sensations musicales datent de l’écoute des Madrigaux de Monteverdi. En fait je suis venu au chant assez tard. Quand j’étais en école d’ingénieur je me suis tourné assez naturellement vers le son et les vibrations. J’ai d’ailleurs fait aussi un master d’acoustique. A la même époque j’ai commencé à chanter, mais la musique était pour moi comme un rêve inaccessible. Après mes études j’ai tenté le concours du Conservatoire de Lyon, que j’ai eu le plaisir de réussir : c’était comme un signe du destin ! Et c’est ainsi que je suis devenu chanteur...

BaroquiadeS : Et comment mène-t-on une carrière de chanteur ?

Romain Bockler : En tant que baryton j’ai de la chance, il y a des rôles pour tous les âges de la vie… Le métier est difficile, il faut gérer son stress : la scène, les auditions,… On se remet constamment en question. Et parfois on perd la voix… L’élément psychologique est important : il faut un équilibre solide entre vie personnelle et vie artistique. Mais j’ai toujours gardé des yeux d’enfant pour ce métier. Et j’ai la chance que cela dure depuis plus de dix ans !

BaroquiadeS : Quels sont vos projets ?

Romain Bockler : Mon projet principal à l’heure actuelle réside dans la finalisation du premier enregistrement de l’ensemble Dulces Exuviae, que j’ai formé avec le luthiste slovène Bor Zuljan, autour de chansons de Josquin des Près. Ce répertoire de la Renaissance nécessite de la documentation : rechercher des traités de l’époque, et essayer de les comprendre, ce qui n’est pas toujours aisé ! A l’époque il est implicite que le compositeur livre une partition afin que l’interprète s’en empare, un peu comme une pierre brute que l’on sculpte. Au début du XVIème siècle, la latitude de l’interprète est très grande, on le sait grâce aux témoignages. Ce CD intitulé Josquin - Adieu mes Amours devrait sortir en juin chez Ricercar. Nous serons invités le 27 avril prochain sur France Musique pour parler de cette actualité. J’ai aussi enregistré récemment Les Vêpres de la Vierge de Monteverdi avec l’ensemble La Fenice de Jean Tubéry, en effectif réduit, ce qui leur confère une esthétique sonore assez originale.

BaroquiadeS : Et côté scène ?

Romain Bockler : J’ai déjà mentionné Didon et Enée, et Miranda. En juin je chanterai Jésus dans la Passion selon Saint Matthieu à Ratisbonne (Regensburg).

BaroquiadeS : Je reviens sur votre formation initiale : est-ce un atout d’être un spécialiste de l’acoustique quand on est chanteur ?

Romain Bockler : L’acoustique est une discipline complexe, et assez empirique, notamment pour ce qui tient aux instruments et aux salles. J’ai travaillé sur l’acoustique des salles, pour me rendre compte que c’était un domaine très subjectif. Et en tant que musicien on est souvent très subjectif : l’impression sonore dépend beaucoup du mental du musicien ! Et aussi du type de musique. Ce n’est donc pas noir ou blanc. L’emplacement de l’auditeur compte aussi beaucoup. Les chefs eux-mêmes ne sont pas forcément d’accord entre eux, et je suis un de ceux qui ont le moins de certitudes... Le responsable de mon master d’acoustique, lui-même musicien amateur, me faisait un jour observer au cours d’une répétition qu’on ne doit jamais se fier aux musiciens pour juger de l’acoustique d’une salle.

BaroquiadeS : Merci beaucoup Romain pour ces passionnantes explications, et nous ne manquerons pas de vous suivre dans vos prochaines réalisations.



Publié le 29 mars 2019 par Bruno Maury