Affetti amorosi - Girolamo Frescobaldi - Le Banquet Céleste

Affetti amorosi - Girolamo Frescobaldi - Le Banquet Céleste ©Le Banquet Céleste / GLOSSA
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Le 02 février 2018 marque la sortie dans les bacs d’un CD intitulé « Affetti amorisi » et consacré au compositeur Girolamo Frescobaldi (1583-1643).
Ce CD est enregistré par Le Banquet Céleste dans une église chère à notre cœur, l’église romane de Froville (Meurthe & Moselle) où se déroule chaque année, entre mi-mai et début juillet, le Festival de Musique Baroque et Sacrée de Froville (www.festivaldefroville.com).
Avant sa sortie officielle, nous avons eu le privilège d’en obtenir un exemplaire afin de le chroniquer.

La couverture du CD nous intrigue… Sur un fond bleu nuit, le Soleil et la Lune trônent à leur zénith. Les deux astres mythiques se détachent « clairement » du fond uni. La gravure, les représentant, s’illumine dans un camaïeu de gris à noir, mis en relief par des éclats de blanc. Avec son nom évocateur, Le banquet Céleste nous adresserait-il déjà un message subliminal ?
L’opposition de ces deux astres est incontestable. Devons-nous alors orienter l’objet de notre réflexion vers le spirituel, l’affectif dans la mesure où la traduction littérale du titre du CD signifie « Affections amoureuses » ?
Le Soleil incarne la raison, la conscience. L’homme de sciences anglais, Robert Fludd (1574-1637), souligne le caractère divin du soleil tel un guide vers la pleine conscience. Il illumine de ses rayons la Lune. L’astre apparaît comme immortel par sa forme immuable.
Quant à la lune, elle figure la sensibilité, les émotions, la part féminine de chaque être. Son apparence est en perpétuel mouvement comme le cycle de la vie (naissance, croissance, vieillesse et mort).
Tout comme deux amoureux, les astres se cherchent, se fuient, se courtisent… Une influente « proximité » les lie indéfectiblement malgré l’antagonisme masculin/féminin ! L’un ne peut exister sans l’autre…

Moins connues que ses œuvres instrumentales, les pièces de Frescobaldi, immortalisées par cet enregistrement, ont été composées entre 1615 et 1630. Elles sont regroupées dans deux livres pour une ou plusieurs voix et basse continue, « Primo e secondo Libro d’Arie musicali per Cantarsi nel Gravicembalo, e tiorba ». D’ailleurs, le CD porte le sous-titre suivant « Arie musicali, Firenze, 1630».
Les arias sont en quelque sorte libérées des règles en usage à l’époque. Le rythme s’affranchit des mesures séculaires, linéaires. L’ornementation, groupe de notes improvisées ou écrites destinées à embellir ou varier une mélodie vocale ou instrumentale, s’évade des « canons renaissances ». L’idée d’irrégularité germe et croît dans l’esprit. Les Portugais, évoquant cette musique, ont employé le qualificatif barroco en référence aux irrégularités d’une perle. Ce terme préfigure le baroque naissant… La sensibilité baroque va se développer dans un climat troublé (guerres civiles, guerre de Religion, …). Les mœurs changent, la pensée aussi. Le monde prend conscience de la fragilité de la vie…
L’allégorie sélène refait surface en percevant le temps de manière cyclique, comme l’Eternel retour (concept mésopotamien, selon lequel l’histoire du monde se déroule de façon cyclique). L’Amour en est un des satellites…

Les arias, dans ce disque, évoquent tout autant l’amour humain que divin. Emmené par Damien Guillon, le Banquet Céleste restitue une fine texture à ce nouveau style d’écriture vocale. Il use, avec maestria, des couleurs expressives sur la gamme des sentiments.
Ainsi, Oscure selve (piste 01) révèle la voix rayonnante et gracieuse de Damien Guillon. Le contre-ténor, accompagné au luth par André Henrich, invoque l’amour, le désir dans les sombres forêts. Dans le pur style recitativo secco (récitatif sec : forme dans laquelle l’accompagnement instrumental est réduit au minimum), il implore Cupidon. Il se rapproche du débit de la parole et de ses inflexions favorisant une diction parfaite. De sa voix unique, il donne double-sens à la phrase : « L'altro m'abbaglia, e perch'io non conoschi Mio mal » – « L'autre moi éblouit et je ne connais pas mon tourment ». Il obscurcit tout en projetant le chant dans la lumière. Le travail créatif nous comble de joie. A la manière de Marie-Geneviève-Charlotte Darlus (1720-1805) dans ses Pensées et réflexions morales (1760), « Les sensations sont pour le plaisir, le sentiment est pour le bonheur. »
Nous atteignons la plénitude, l’évanescence mystique grâce au sonnet spirituel Maddalena alla croce (p.23). La voix est soutenue par les graves puissants du violoncelle tenu par Julien Barre et le jeu vif au clavecin de Kevin Mament-Navratil.

Autre bonheur, que celui d’entendre la voix de Céline Scheen dans l’aria di romanesca (air romanesque) Dunque dovrò (p. 06). Le timbre clair resplendit même lorsque la soprano exprime la peine, le tourment. La pureté vocale profite à la « fabrication » du son. Chaque ornement est posé avec maîtrise, fraîcheur. Nous goûtons à ces fruits si délicieux… Et y mordons à pleines dents lorsqu’elle entonne Vanne o carta amorosa (p. 10). Forme vocale appréciée du baroque naissant ou « adolescent », la lettre amoureuse (lettera amorosa) renforce le pouvoir des mots. Ecoutons le soin apporté au récitatif. Sans être sous l’emprise de la mesure, Céline Scheen intensifie le verbe accentuant chaque aspérité du texte.

Malgré la courte durée de l’aria Se l’aura spira (p. 05), nous pouvons apprécier la voix du ténor Thomas Hobbs, avis confirmé par sa seconde intervention solo : Voi partite moi sole (p. 15). Il soutient la ligne mélodique et s’impose dans l’exercice délicat du récitatif. La diction est parfaite ! Il donne vie au texte en dehors de tout artifice scénique. La voix est ample, chaude.
Nous ne pouvons regretter que le rôle « mineur » qui lui a été confié dans cet enregistrement…

La dernière voix, la basse Benoît Arnould, nous enchante tout autant. Tout comme son prédécesseur, il ne peut faire valoir sa voix que dans un unique extrait soliste, Troppo sotto due stelle (p. 07). Nous le déplorons ! Les graves sont chauds et s’affirment puissamment. L’émission sonore est franche et soyeuse tout comme le doigté de la harpiste Marie-Domitille Murey.

En duo ou trio, les chanteurs s’uniront dans un bel accord vocal. La lumière se dégage de leur chant dans des teintes enluminées, dans de subtils accents. Par-ci, par-là, des petits frottements accentuent délicatement le mouvement de la musique. Ils rendent délicieuses les notes longues tenues, crescendo ou decrescendo.

Intercalées entre les pièces vocales accompagnées, cinq pièces purement instrumentales, telles les danses, cadencent le déroulé de l’écoute. Répondant au nom de Balletto e Ciaccona (p. 04), Toccata per spinetta, over liuto (p. 09), Gagliarda terza (p. 18), Passacagli (p. 21) et Ancidetemi pur (p. 24), elles divulguent surtout la virtuosité des instrumentistes. Que dire d’autre ? Si ce n’est que des compliments ! De l’homogénéité, elle est atteinte. De la souplesse, nous ne pouvons attendre mieux…

Les arias de Frescobaldi, brillamment interprétées par le Banquet Céleste, démontrent l’inventivité mélodique du compositeur et l’excellent travail des chanteurs et instrumentistes.

Eloquence sans esbroufe ! Aucun artifice – dans le sens de la tromperie – n’est usité. Naturel et profondeur sont bien les qualités réelles de ce nouvel enregistrement servi par l’exceptionnelle acoustique de l’église romane de Froville.



Publié le 25 janv. 2018 par Jean-Stéphane SOURD DURAND