La Passion selon Saint Marc (BWV 247) - 1731 - Jean-Sébastien BACH (1685-1750), livret de PICANDER

La Passion selon Saint Marc (BWV 247) - 1731 - Jean-Sébastien BACH (1685-1750), livret de PICANDER ©
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Un moment d'exception

Selon une publication du diocèse d’Annecy, Marc est « l’évangéliste reporter » par excellence de la Passion du Christ. En effet, le texte qui lui est attribué consacre la moitié de son contenu aux dernières semaines de la vie de Jésus, bien davantage que ne le ferons les trois autres Evangélistes. Son supplice et sa mort sur la croix constituent le thème central et la caractéristique de son « reportage ».
C’est avec cet Evangéliste que Jean-Sébastien Bach fait l’apprentissage de la composition musicale de ce genre particulier que sont les Passions. En 1713 - âgé de 28 ans-, il collabore avec Reinhard Keiser et copie une Passion selon saint Marc composée par ce dernier. Il produira ensuite ses propres Passions dont nous connaissons trois d’entre elles: selon saint Jean (1724), selon saint Mathieu (1727) et selon saint Marc (1731). Chacune d’entre elles sera exécutée à plusieurs reprises, en l’état ou remaniée, pour animer les cérémonies de la Semaine Sainte.
Le livret initial de la Passion selon saint Marc est rédigé par Christian Friedrich Henrici, dit Picander. Celui-ci extrait du récit attribué à saint Marc les chapitres 14 et 15 de son Evangile (dans la traduction de Martin Luther) : ils relatent les circonstances de la trahison, du procès et de la mort de Jésus sur la croix. Pour mettre le texte en musique, Bach réemploie notamment la partition de sa Trauerode (BWV 198) écrite en 1727, l’ode funèbre exécutée aux obsèques de la reine de Pologne, Eberhardine de Brandebourg-Bayreuth. La souffrance et la mort, celle du Christ ou celle d’une princesse restée fidèle à la religion luthérienne malgré son mariage avec un prince catholique, constitue le terreau commun à ces deux œuvres. La partition initiale de notre Passion a disparu ; celle qui a été révisée en 1744 semblait condamnée au même sort. Jusqu’à la découverte d’un livret à Saint-Petersbourg, en 2008. Notre Passion est créée à Leipzig, le 23 mars 1731, lors de l’office du Vendredi Saint ; mais c’est sa version de 1744 qui a été reconstituée pour le concert donné par le Concert Etranger à l’abbatiale d’Ambronay, le 25 septembre 2015.
Aujourd’hui, les Passions s’écoutent comme des pièces de concert. Mais c’est oublier leur vocation essentiellement liturgique. C’est le grand mérite du chef Itay Jedlin d’avoir replacé cette Passion dans son contexte, celui d’un accompagnement du cheminement spirituel proposé à une assemblée de fidèles participant aux offices du Vendredi Saint. Pour cela, il redonne notamment vie aux « chœurs de foule » (« turbae »), reconstitués pour la circonstance. Aussi, des spectateurs volontaires, épaulés par un chœur amateur local mêlé au public, avaient-ils été invités à reprendre, à l’unisson, deux chorals appris juste avant le concert. Conduits par le chantre Stefan Früh et avec l’orgue pour seul accompagnement, ce dialogue ponctuel entre l’assemblée et le choeur produit un résultat poignant, particulièrement lors de l’exécution des chorals O Lamm Gottes unschuldig (O Agneau de Dieu innocent) en lieu et place du moment jadis consacré au sermon du pasteur et, au terme de la cérémonie, Nun denket alle Gott (Maintenant, remerciez tous Dieu). Cette communion d’une partie du public avec l’orchestre (chantant) et le choeur donne à l’œuvre une intensité se traduisant par des applaudissements nourris pour saluer ces deux moments de grâce. Cette version est habitée, à l’image de son chef ; elle a une âme que nous peinons à retrouver dans une autre version de cette œuvre gravée en 2015.



La création mondiale donnée dans l’abbatiale d’Ambronay est remarquable à d’autres points de vue. Nous en retiendrons trois. Saluons d’abord le talent des musiciens du Concert Etranger et de leur chef. Créé en 2006, cet ensemble réunit des jeunes instrumentistes séparés par leurs origines nationales mais unis par une même passion : « l’interprétation fidèle du répertoire baroque, soutenue par une recherche musicologique et artistique ». De ce point de vue, la Passion produite lors du Festival illustre merveilleusement leur projet, celui de replacer une œuvre « dans son temps, dans son lieu et dans son public originel ». Projet ambitieux que celui d’un retour à l’ambiance sonore d’une liturgie luthérienne vieille de près de trois siècles, mais résultat convaincant obtenu ce 25 septembre 2015.
Rendons maintenant hommage au chœur qui, également, transcende les frontières. Il joue ici un rôle central car, dans cette oeuvre, le nombre de chorals est plus important que dans les autres Passions composées par Bach. En totale symbiose avec l’orchestre, il déploie une harmonie qui touche le cœur des auditeurs. Certes, il est composé uniquement des huit solistes qui se produiront successivement lors des arias. Mais, plus agile que les grands ensembles, chaque voix y prend sa place et l’ensemble tient dans un équilibre parfait. Petit nombre, mais grands effets, notamment lors des passages chantés a cappella.
Un dernier mot sur la qualité des solistes. Il faudrait les citer tous, tant leur talent s’exprime pour notre bonheur. Certains nous ont plus particulièrement touchés. Vincent Lièvre-Picard, auquel est confié le rôle de l’Evangéliste, mérite une mention particulière. Sa diction est parfaite et le texte qu’il interprète en allemand se comprend sans difficulté. Il est vrai qu’il s’était déjà exercé au répertoire en langue allemande en interprétant des Lieder de Schumann, en janvier 2013. Lisandro Abadie nous plonge dans le drame intérieur vécu par l’homme-Dieu qui se prépare au sacrifice. Jan Böner est émouvant dans sa profession de foi Mein Heiland, dich vergess ich nicht(Mon Sauveur, je ne t’oublie pas) ; Hasnaa Bennani est saisissante lorsqu’elle annonce l’approche de Judas ; Lucile Richardot nous bouscule dans la condamnation de la duplicité du monde qui se cache derrière le baiser du traître. Lors de l’aria Welt und Himmel, nehmt zu Ohren (Terre et ciel, écoutez), Nicolas Brooymans et les trois solistes féminines superposent deux messages, l’un puissant et rythmé à destination de la terre et du ciel, l’autre porté avec tendresse et mesure en direction des pécheurs pour leur annoncer le terme du sacrifice divin.
Un dernier mot sur la partie confiée à l’orgue. Pièce manquante dans le livret retrouvé à Saint-Pétersbourg, Freddy Eichelberger a mis en musique le récit évangélique traduit par Luther. Le résultat est concluant tant il reconstitue le style du Kantor, hormis la pièce d’orgue qui précède le choral final : elle révèle davantage, à nos yeux, ses talents d’improvisateur.
Pour finir, exprimons un regret, immense : celui de ne pas avoir communié en direct à ce moment musical d’exception. Un seul espoir néanmoins : pouvoir partager notre passion pour cette Passion lorsqu’elle sera gravée, Internet étant, à notre connaissance, le seul média actuellement disponible pour revivre ce moment exceptionnel.

Publié le 25 déc. 2015 par Michel BOESCH