Anime amanti - Mameli & Pianca

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Grâces et tourments de l'amour

Pour identifier la chronologie des différentes étapes et tendances esthétiques de la musique occidentale il est coutume de s'appuyer sur des dates-repères, qui correspondent souvent à la création d’une œuvre ou à la mort d’un compositeur. Pourtant, nous savons bien qu'en réalité l’art est animé par des processus vivants et complexes qui l'alimentent et le transforment : aucun courant ne surgit du néant, et les goûts nouveaux qui supplantent les anciens ont souvent mûri à l'ombre de ces derniers.

Les musiche nuove (nouvelles musiques) qui font irruption avec une certaine urgence sur la scène musicale de l’Italie peu avant le début du XVIIème siècle n'échappent pas à ce principe. Elles sont considérées comme le début d'une période musicale éblouissante et riche, nommée après coup baroque, qui allait s'étendre sur près de deux siècles. Mais elles découlent assez directement des expressions et des créations artistiques nées dans la splendeur intellectuelle de la Renaissance, qui développe une pensée où l’humain prend un rôle central par rapport à la nature et aux arts.

Un certain idéal du monde classique constitua le terreau fertile inspirateur de l’ébullition intellectuelle et artistique de la fin de la Renaissance. A Florence une congrégation d'intellectuels humanistes, musiciens et poètes, appelée la Camerata Fiorentina commence à tourner le regard vers les anciens mythes grecs, qui posaient l’homme au centre de la scène, dans des représentations allégoriques ou littérales d’un univers taillé à sa mesure, qui reflète ses sentiments et ses émotions. Les règles, pratiques et principes de la musique à plusieurs voix (polyphonique) pour louer Dieu entretenaient certes un rapport profond avec des émotions humaines, à travers la recherche de la perfection divine. Mais l'émotion humaine replacée dans son contexte devient désormais objet musical, à mesure que s'affirme l'audace de sa pensée et de son invention. A cet égard ce n'est nullement un hasard si Vincenzo Galilei, le père de Galilée, fut un pilier essentiel de cette Camerata Fiorentina.

Le programme Anime Amanti nous replonge dans cet univers, à travers soixante-dix minutes d’une sélection intelligente, représentative des différents affetti contenus dans ces musiche nuove. Elles s'appuient sur une reconstruction imaginaire du théâtre grec, parlé-chanté en monodie, avec l’accompagnement minimal d’un seul instrument : ici le luth.

Il lamento di Arianna (de l’opéra L’Arianna, aujourd’hui perdu, de Monteverdi) ouvre cette narration des différents états et sentiments des âmes aimantes. Lui répondent ceux de Barbara Strozzi (L’Eraclito Amoroso) et de Sigismondo d’India (Lamento di Didone), dans un programme où la douleur et la souffrance alternent avec les plaisirs de l’amour érotique, le désir qu'il suscite mais aussi le dédain amoureux qui le repousse. On y retrouve aussi des pièces de Caccini et Merula, dans un immense arc amoureux imaginaire dont le Ohimè ch’io cado de Monteverdi occupe sans conteste le sommet, appuyé à la manière grecque sur ses deux colonnes Eros et Pathos.

Anime Amanti nous conduit ainsi dans un monde ancien et mythique, rehaussé d'intermèdes instrumentaux exquis du luthiste Luca Pianca. Roberta Mameli, de sa voix claire au timbre doré, se livre à une interprétation théâtrale et expressive de ces œuvres. Pour l'accompagner, Luca Pianca dessine une basse continue véritablement orphique, qui dialogue à tout moment avec la chanteuse d’une manière captivante et imaginative.

Sans aucun besoin d’être « rénovées » artificiellement par des mélanges de jazz ou des percussions à la mode, dans une atmosphère improvisatrice puisant sa source dans la connaissance d’un répertoire énorme dans sa « petitesse », ces musiques toujours nouvelles continuent ainsi d'exister : un luth et une voix suffisent à leur insuffler la vie.



Publié le 23 mars 2018 par Dario Moreno