Sonates pour violoncelle et basse continue - Giorgio Antoniotto

Sonates pour violoncelle et basse continue - Giorgio Antoniotto ©Claire Lamquet
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Bien heureux que nos rédacteurs ne se soient pas empressés de commenter l’enregistrement consacré à un compositeur méconnu de l’époque baroque, Giorgio Antoniotto (1681-1766).
Cela nous a permis de pouvoir l’écouter. Et là, dès les premières phrases instrumentales, la magie sonore s’est emparée de nous.
Sans aucune hésitation et saisis par la poésie du langage musical, nous avons délaissé nos occupations.

Nous aurions pu croire en un moment illusoire, pure divagation de l’esprit. Non, point de cela ! Point de fantasmagorie ! Nous étions bien face à une révélation double…

Tout d’abord, celle de la découverte de l’ensemble Hemiolia. Nous avouons notre ignorance au sujet de son existence.
Cependant, l’origine du nom nous évoque nos « lointains » cours de formation musicale. Une hémiole est un terme musical relatif à la notation ancienne (baroque notamment). Il s’agit de l’insertion d’une structure rythmique ternaire dans une structure à rythme binaire, ou inversement. L’enchâssement subsiste dans certaines partitions contemporaines.
Créé en 2008 par la violoncelliste Claire Lamquet, l’ensemble excelle dans l’interprétation du répertoire italien et/ou italianisant de la période baroque. Il voue également une certaine prédilection à la musique patrimoniale du Nord de la France. D’ailleurs, il a consacré son premier enregistrement au violoniste et compositeur maubeugeois Marie-Alexandre Guénin (1744-1835). Le CD a été salué à de nombreuses reprises par la presse nationale et internationale.
A géométrie variable, l’ensemble de chambre se produit sur des instruments historiquement informés (originaux ou copies d’époque). Cela confère à la restitution sonore une personnalité unique et une puissance émotionnelle qui ne pourraient être atteintes par des instruments dits « modernes ».

La seconde découverte a trait au compositeur, Giorgio Antoniotto. Ce nom ne figure malheureusement pas dans la liste des « Stars du Baroque », si vous nous permettez l’expression ! Cela est fort regrettable. Espérons que le CD corrige cette injustice !
Qui est cet illustre inconnu ? Né à Milan, Giorgio Antoniotto s’accomplit dans différents domaines notamment en musique (violoncelliste et compositeur).
Fuyant l’Italie tombée aux mains des Autrichiens, il s’engage au service de l’Espagne. En 1733 à Amsterdam, il publie, sous le nom d’Antoniotti, douze sonates pour violoncelle (ou viole de gambe) et basse continue, dont sept sont gravées sur le présent CD.
Antoniotto marque la théorie en publiant le Traité de Composition musicale, l’Arte Armonica (l’Art de l’Harmonie), à Londres en 1760 sous son vrai patronyme. Il se révèle être à la fois un talentueux musicien et un brillant théoricien.
Il pratique avec excellence le violon mais dû l’abandonner en faveur du violoncelle. Ce revirement, obligé, fait suite à une blessure à la main avec une épée, circonstances aux contours flous…
Il fréquente la plupart des cours d’Europe. Il résida notamment en Hollande, en Angleterre et en France où il mourut à Calais en 1766.

Il existe un nombre conséquent d’enregistrements baroques mais bien peu mettent en « vedette » le violoncelle dans le rôle titre.
A l’époque baroque, le violoncelle était principalement dévolu à l’accompagnement, à la basse continue (continuo).
Antionotto, en précurseur, lui attribue le premier rôle « d’instrument chantant ». L’ensemble Hemiolia, par son interprétation soignée, restitue parfaitement les styles suonabile (instrumental) et cantabile (vocal). Les instrumentistes se livrent à une interprétation flexible comme nous le souhaiterions dans chaque enregistrement. Leur phrasé harmonieux en est d’ailleurs la preuve absolue.
Claire Lamquet exploite toute l’étendue (ambitus) de son violoncelle. L’adagio, Sonata 6 en mi mineur (piste 1), développe un dialogue enflammé (fuocoso) avec le clavecin de François Grenier. Les deux instrumentistes mettent leur virtuosité au service de l’expression. Propos réitéré pour l’adagio de la Sonata 5 en la majeur (p. 05) et celui de la Sonata 2 en fa majeur (p. 13).
L’archet du violoncelle souffle une vivifiante impulsion sur le mouvement spiritoso (avec entrain) de la Sonata 6 en mi mineur (p. 02). Claire Lamquet entraîne dans son élan Stéphanie Petibon à la guitare baroque, doigté agile et élégant. La dextérité se confirmera sur le mouvement lent grave (p. 15), Sonata 2 en fa majeur, cette fois-ci au théorbe.
La violoncelliste colore la musique par ses rapides coups d’archet dans l’allegro assai (p. 08), Sonata 5 en la majeur. Cette dextérité instrumentale nous remémore celle nécessaire à la pratique du violon, rappelons-le, premier instrument d’Antoniotto.
Le discours, puisque tel est bien le terme exact, est fascinant. Le jeu cantabile se joue presque bocca chiusa (bouche fermée), imitation de la voix humaine dans l’adagio (p. 09) de la Sonata 11 en la mineur.
Les mouvements prestissimo (p. 14) et allegro in fine (p.16) de la Sonata 2 en fa majeur impliquent un jeu quasi martelé (martellato). L’idée d’avancement du dialogue est bien présente avec les gammes ascendantes et descendantes. Nous sommes tout ouïe…
Le grave (p. 19), Sonata 3 en si bémol majeur, emploie un langage affetuoso (affectueux). La sensualité nous étreint.
Un moment intense se vit avec l’adagio (p. 25) de la Sonata 10 en fa dièse mineur.

Relevons la place offerte à la viole de gambe (Aude-Marie Piloz), celle d’assurer le continuo. Ce choix a été entièrement voulu par Claire Lamquet et ses musiciens. Cette volonté confère une dimension mélodique intéressante au plus haut point. La violiste tirera profit de son instrument tout au long de l’enregistrement. Son jeu est net, sa technique d’archet irréprochable !
La viole de gambe et le violoncelle, doté de leur propre timbre, renforcent la mélodie, les harmonies.
Les ornements au clavecin brillent avec éclat restant toujours gracieux.

Le disque constitue donc bel et bien une révélation double : un compositeur et un ensemble.
Face à la qualité interprétative optimale, l’apparente simplicité rime avec la virtuosité. Tout est soigneusement pensé, calculé et joué. Le placement des micros l’est tout autant. Les respirations instrumentales, les glissements d’archets s’entendent ce qui n’occasionne aucune gêne.
Saluons aussi l’élégance du coffret. Non dénuée d’un certain humour, Claire Lamquet apparaît, toute souriante, sur une photographie en noir et blanc à l’exception de ses gants d’un rouge cardinal…



Publié le 16 oct. 2017 par Jean-Stéphane SOURD DURAND