Arie per la Cuzzoni - Hasnaa Bennani

Arie per la Cuzzoni - Hasnaa Bennani ©Mantua, silver-gilt and linen thread, England, c.1775 - © V&A Images
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L’Etoffe soyeuse de la voix…

En ce début d’année, le label Ramée/Outhere sort un nouvel enregistrement consacré aux airs écrits par Georg Friedrich Haendel pour la soprano italienne Francesca Cuzzoni, à la vie sulfureuse et tumultueuse dépassant l’entendement ! Entre le compositeur et la chanteuse, les débuts ne furent qu’une succession d’échanges agités, répondant à un chaos nourri par les excentricités de la diva. Le théoricien berlinois de la musique Friedrich Wilhelm Marprug alla même jusqu’à écrire que « cette excellente chanteuse témoignait (dans ses jeunes années) d’un penchant certain pour apprendre à connaître de près le sexe masculin. ». Son destin de diva lui fut fatal, puisqu’elle mourut dans le plus grand dénuement !
A côté des pages du Caro Sassone, musicalement familières comme Giulio Cesare, Ottone, Scipione, …, qui n’ont plus besoin d’être présentées, le choix vocal pour ce disque inédit s’est porté sur la soprano franco-marocaine Hasnaa Bennani. A chacune de ses interventions scéniques ou discographiques, cette jeune voix ne cesse de créer l’émerveillement. Elle entrelace de légers fils mélodiques posés délicatement sur son métier à tisser, sa voix, là où naît une étoffe aux reflets soyeux.
Dans l’audacieux accompagnato Che Sento ? Oh Dio !, issu de Giulio Cesare (plage 3), elle laisse apparaître une voix très agréable. Mais la lumière jaillit de l’ombre dans l’air Se pietà di me non senti, l’amour déchirant est magnifié dans sa géhenne presque intolérable. Elle décoche les notes aiguës sans effort apparent. L’énoncé de sa peine prend naissance dans ses ornements naturels. L’intonation est pure.
La virtuosité prend toute sa signification dans l’air Scoglio d’immota fronde, (Scipione, pl. 5), dans lequel elle aligne vocalises sur vocalises avec un aplomb à couper le souffle. Mais cette douceur peut se révéler fort bien dangereuse. Sous ses airs angéliques, allons-nous imaginer un seul instant sa perfidie ? Sous les traits de la princesse Asteria, elle feint de quitter son fiancé Andronico pour épouser le souverain tartare Tamerlano, dans le seul dessein de le tuer (pl. 10). Cette ruse plante avec assurance le côté théâtral de la soprano.
Se’l moi duol non è si forte (pl. 17) ajoute une manifeste théâtralité à son jeu dramatique. Rodelinda, dans une lamentation poignante, découvre les vêtements ensanglantés de son mari. Elle souffre avec grâce.
La délicate tâche d’accompagner cette jeune voix « naissante » est confiée à l’ensemble belge Les Muffatti, né en 1996 dans et autour du Conservatoire royal de Bruxelles. Un groupe de douze musiciens ont eu le désir de se spécialiser dans le répertoire baroque pour orchestre à cordes. Leur nom est issu de celui d’un compositeur allemand Georg Muffat (1653-1704). Leur démarche a attiré l’attention de Peter Van Heyghen, devenu leur coach et chef d’orchestre.
Dotés d’enthousiasme et d’un investissement sincère, Les Muffatti impriment une toile aux grandioses couleurs. Ils insufflent d’impressionnantes impulsions instrumentales tirées de Scipione avec l’ouverture (pl. 1) en plusieurs mouvements couplée à une marche (pl. 2) et une « sinfonia » (pl. 13). Sous leurs gestes parfaitement maîtrisés, la musique devient une douce jouissance…
Ce langage gestuel et théâtral s’exprime à la perfection dans le concerto d’Ottone (HWV 15 – scène 3, acte I) dans un frénétique vivace. Cette mélodie sera d’ailleurs utilisée de nouveau par Haendel dans son célébrissime Concerto Grosso, op.3 n°6. L’ensemble explore en profondeur les méandres haendéliens et apporte une grande minutie dans leurs exécutions.
L’ouverture de Tolomeo, Re di Egitto (pl. 11) apporte encore plus de théâtralité, déjà si présente et inhérente à tout art baroque. Le chef d’orchestre fascine, hypnotise même car de ses mouvements naît la Musique. Leurs deux dernières pièces purement instrumentales – Ballo di Larve (pl. 12) et Sinfonia (pl. 14 & 18), extraits d’Admeto – sont tout autant empreintes d’affects.
Cet enregistrement démontre une ambition portée à bout de bras. La maîtrise des techniques de jeu appropriées, le choix de l’instrumentarium le plus adéquat se révèlent fort captivants. Aucune place n’est laissée à l’ennui. Même lors des silences entre les différentes plages du CD, la dynamique demeure. L’harmonie qui en résulte, n’a qu’une finalité, émouvoir et convaincre l’auditoire. La voix et les instruments ont bel et bien tissé l’étoffe la plus fine à la manière d’Antonio Stradivari dans son art de la lutherie.

Publié le 22 févr. 2016 par Jean-Stéphane SOURD DURAND