Armide - JB. Lully

Armide - JB. Lully ©Aparté
Afficher les détails
Pour notre plus grand plaisir

Ultime œuvre de la collaboration fructueuse entre Lully et son librettiste Quinault, Armide (1686) est - dès ses premières représentations triomphales - saluée comme un chef d’œuvre. Le compositeur est alors parvenu au sommet de son art dans un genre musical créé de toute pièce par lui : la tragédie en musique. Cette tragédie lyrique se caractérise originalement par le récitatif. Mis au point par Lully depuis les comédies ballets élaborées avec Molière, le récitatif est une amplification musicale de la déclamation théâtrale classique.

Lorsqu’il compose Armide, Lully a déjà écrit dix opéras avec son librettiste Quinault dans lesquels il a modelé et mis à l’épreuve son récitatif afin de lui conférer du naturel, de lui donner une musicalité extrême pour toujours mieux servir l’action dramatique. Le monologue d’Armide au second acte en constitue l’exemple le plus parfait.

Armide fait partie des opéras de la « seconde manière » du compositeur. Ceux dans lesquels tout l’orchestre accompagne, soutient, commente les récits des personnages essentiels, intensifiant la puissance dramatique. Ainsi, sans surprise, Armide demeure l’œuvre référence, elle est l’opéra le plus enregistré - et le plus souvent représenté à la scène - du répertoire lullyste.

Après avoir servi les partitions d’Amadis et de Roland, Christophe Rousset se mesure avec Armide au dernier opéra d’une trilogie dont le sujet est inspiré des héros de roman de chevalerie, genre en vogue au Grand Siècle. Ardent défenseur de la tragédie lullyste, le chef aixois démontre une nouvelle fois toute sa maîtrise du langage du compositeur et agit en véritable metteur en scène.

Cet enregistrement réalisé en concert à la Philharmonie de Paris fin 2015 fait suite aux représentations scéniques données sur la scène de l’Opéra national de Lorraine quelques mois plus tôt. Il bénéficie sans doute de la maturation du travail effectué au théâtre par les artistes interprètes.

A la tête de l’orchestre ou depuis son clavecin, le chef soutient les chanteurs et leurs passions dans les nombreux récitatifs et airs. Il obtient de belles sonorités et des caractères variés tout au long de l’action dramatique : on gôute les riches couleurs du continuo (et notamment le doux son du luth…) lors des récitatifs simples, l’oreille est délicatement séduite par la suavité des cordes lors du sommeil de Renaud à l’acte II scène hypnotique, dynamisme et rebond de la passacaille. Dans les nombreux ballets émaillant la partition, l’orchestre propose un florilège des différents « caractères » des danses typiques de la fin du siècle.

Déjà complice de plusieurs enregistrements consacrés à Lully avec les Talens lyriques, le chœur de Chambre de Namur s’avère à nouveau très juste, précis et soigné dans sa diction. Ses interventions flattent le goût de l’auditeur.

Côté voix, on retrouve autour des Talens Lyriques des artistes familiers du répertoire baroque et de nouvelles voix explorant l’esthétique baroque.

Dans le rôle-titre, une vraie tragédienne se révèle chez Marie Adeline Henry (Armide). Par son chant constamment expressif, abondant en nuances et aux couleurs variées, elle exalte toutes les passions de la magicienne Armide. Rageuse, contrariée, colérique souvent, hésitante, troublée, dépitée ; la soprane est toujours juste dramatiquement. Les beaux monologues que lui confère la partition sont sublimés par son interprétation. On retient aussi l’audacité des choix dans les ornements du chant.

Dans les rôles des suivantes d’Armide, Judith van Wanroij (Phénice) et Marie Claude Chappuis (Sidonie) tentent de détourner la magicienne de sa passion pour Renaud. Les deux voix féminines assurent également d’autres emplois tout le long de la partition. Dans le prologue, la voix solide de van Wanroij assure fièrement l’allégorie de la Gloire. Et on goûte les teintes acidulées de la voix de Marie-Claude Chappuis notamment un air au caractère pastoral (acte IV).

Face à Armide, le « héros » Renaud présente moins de relief sur le plan dramatique. Côté vocal, le beau style noble du ténor canadien Antonio Figueroa donne de l’éclat aux interventions du héros chevalier. Un charme indéniable se révèle en particulier dans le très bel air accompagné du second acte (Plus j’observe ces lieux) et dans son duo avec Armide débutant l’acte V.

Autour de Renaud, la distribution vocale masculine est d’une grande qualité. Lors de la scène d’apparition de La Haine – moment clé de l’œuvre - le timbre, les accentuations, l’engagement chez Marc Mauillon font merveille dans ce rôle maléfique, sur une rythmique trépidante laissant l’héroïne Armide désemparée.

L’art vocal français de la fin du XVIIème siècle est encore servi admirablement par le duo Etienne Bazola (Ubalde) / Cyril Auvity (le chevalier Danois) au quatrième acte, alliant une diction soignée à une musicalité éclatante. Douglas Williams (Hidraot) et Emiliano Gonzalez Toro (Artémidore) complètent ce plateau vocal masculin, parfaitement à leur aise dans leurs interventions. Du premier, on retiendra en particulier son duo furieux avec Armide (Esprits de haine et de rage).

Aboutissement de quinze années d’exploration des tragédies du surintendant par Les Talens lyriques, cet enregistrement d’Armide remplit parfaitement le cahier des charges lullyste. Une réussite pour notre plus grand plaisir.



Publié le 30 mai 2017 par David Adam