Les Arts florissans - Charpentier

Les Arts florissans - Charpentier ©
Afficher les détails
L’Apothéose des Arts

D’une idylle en musique, je fis un opéra royal : c’est ce qu’aurait pu dire Gaétan Jarry qui a eu l’heureuse idée de remettre sur le métier ces Arts Florissans (sic) que l’ensemble éponyme avait enregistrés au tout début des années…1980 ! L’œuvre, parmi les meilleures de celles composées à la fin du XVIIe siècle, notamment en 1685 en raison de grandes fêtes princières, nécessitait qu’on s’y intéressât à nouveau, à condition toutefois d’en renouveler l’approche, la version de William Christie n’ayant rien perdu de sa beauté ni de sa fraîcheur. Agnès Mellon, Guillemette Laurens, Jill Feldman, Dominique Visse, entre autres, s’y révélaient en effet pour nous enchanter et servir cette partition exigeante, en en respectant la dimension intimiste, la commanditaire Marie de Lorraine, dite Mademoiselle de Guise ne disposant que d’une quinzaine de musiciens et chanteurs, parmi lesquels s’illustrait Marc-Antoine Charpentier (1643-1704), comme compositeur mais aussi incarnant le rôle de la Peinture où pouvait s’illustrer sa voix de haute-contre.

Gaétan Jarry et l’Ensemble Marguerite Louise, qu’on avait découverts avec grand plaisir dans le répertoire sacré de Charpentier, ont fait ici le choix de recourir à de grands moyens, conférant, à un divertissement conçu pour le salon, une dimension scénique, magnifiée par des effectifs fournis. D’une part, c’est désormais un vrai chœur de 18 chanteurs qui donne une véritable ampleur aux pages contrastées qui lui sont confiées. Amour du ciel et de la terre est à cet égard significatif, opposant plusieurs idées, l’une pleine de douceur et homophonique, à celle fougueuse et agitée Qu’après le bruit affreux des foudres de la guerre, apaisée par les imitations descendantes sur Il est charmant d’ouïr. D’autre part, sur le plan instrumental, ce ne sont pas moins de 20 musiciens qui sont réunis pour offrir un véritable soutien orchestral. L’ouverture sonne comme celle d’une pastorale héroïque de l’académie royale de musique et les airs de violes des guerriers, augmentés de roulements de tambours (Nadia Bendjaballah) acquièrent ici une vraie couleur martiale fort bienvenue. Les flûtes allemandes sont au nombre de cinq, on y retrouve notamment Anna Besson et Sébastien Marq (ce dernier à la flûte à bec également). La basse continue est opulente : Pierre-Augustin Lay (basse de violon), Robin Pharo (basse de viole), Marc Wolff (archiluth), Ronan Khalil (clavecin et orgue) et Gaétan Jarry (orgue) nourrissent récits, pièces vocales et instrumentales d’une solide assise, colorée et profonde.

Consécutive à la trêve de Ratisbonne (15 août 1684), cette idylle en musique destinée à célébrer un roi vainqueur de ses ennemis et vanter le mécène absolu que celui-ci incarne, repose sur une dramaturgie fort simple, prétexte à une partition merveilleusement écrite. Les arts y caractérisent, chacun à leur manière, en miroir du pouvoir royal, l’expression de leur pouvoir créatif. La Musique, incarnée par une délicieuse Maïlys de Villoutreys convainc d’emblée par ses divins concerts et sa douce harmonie. Virginie Thomas démontre avec grâce que la Poésie est bien le corps de ces concerts. La Peinture, Jonathan Spicher, nous persuade sans difficultés de la témérité de son glorieux projet. Le bas-dessus chaud et distingué d’Anaïs Bertrand accorde une riche matière à l’Architecture, pour dresser un noble palais et beaux jardins, qu’on devine aisément, sans qu’il soit besoin de recourir aux photos - fort belles au demeurant- émaillant le livret.

Au sol majeur initial (doucement et joyeux, selon les Règles de composition de Charpentier) succède un changement décor saisissant, dont le bruit effroyable en fa majeur (furieux et emporté) laisse envisager toute la portée. La Discorde, personnage souvent incarné par une voix masculine à l’époque, offre à David Witzack l’opportunité de donner une envergure impressionnante à ce rôle qui ne nous fait guère regretter Gregory Reinhart. Renversons le ciel, la terre et l’onde et Débats, séditions sont exprimés avec toute la rage nécessaire, amplifiée par le chœur de furies qui évite l’enlaidissement des voix souvent requis dans ce genre de pages infernales, le caractère particulièrement fougueux de la musique se suffisant pleinement. La Paix de Cécile Achille sait se montrer attendrissante dans Fille de la nuit, mais aussi tenir tête à la Discorde sans fléchir, ce qui nous vaut de beaux récitatifs et une invocation à Jupiter, Souffres-tu monarque des Dieux, où se succèdent de courtes séquences enchaînées avec maestria avant d’émouvoir dans le menuet Parais dans ta beauté première où voix et instruments alternent avec une grâce infinie pour une prière plus intérieure (ré mineur, grave et dévot).

Si la somptueuse chaconne qui suit oublie un peu la danse (que ce soit par le tempo assez retenu, mais aussi en raison d’une quasi absence de passages chorégraphiques), elle n’en constitue pas moins une sorte d’apothéose où les arts se retrouvent de concert avec le chœur pour une page ambitieuse où la charmante paix du ciel à propos descendue est célébrée avec un faste qui nous réjouit véritablement. Quant à la sarabande en rondeau finale, elle offre une conclusion en apesanteur où la Paix, les Arts et les Guerriers célèbrent le retour d’un Âge d’or longtemps espéré. Un doux balancement ternaire sur Demeure toujours avec nous conduit à une cadence d’une grande beauté, irradiée de lumière.

C’est avec une qualité en tout point équivalente que les extraits de La Couronne de Fleurs viennent compléter ce programme. Si l’ensemble Amarillis nos avait gratifiés de cet hommage pastoral au Roi Soleil (label Ambroisie), c’était toutefois avec des effectifs plus modestes. Force est de constater que l’amplification résultant des moyens adoptés ici se fait au service d’une œuvre qui, sans égaler la qualité des Arts Florissans, possède néanmoins d’indéniables charmes, que ce soit dans les airs, les danses rustiques et les chœurs qui l’animent.

Nous avions récemment souligné au sujet de L’Europe galante (voir notre chronique dans ces colonnes) le soin éditorial apporté à cette collection : il se retrouve ici notamment au travers de la toile de Charles Le Brun, L’Entrée d’Alexandre dans Babylone qui offre un frontispice particulièrement approprié aux œuvres de cet enregistrement d’une haute qualité. Souhaitons que Gaétan Jarry et son Ensemble Marguerite Louise se penchent sur les grandes beautés de l’Idylle sur la Paix de Lully, qui mériterait cette richesse de traitement, la version chambriste d’Hugo Reyne ne les ayant qu’effleurées. L’Églogue de Versailles pourrait se joindre à la liste, sans oublier Les Fontaines de Versailles de Lalande qui nous manquent toujours aussi cruellement.



Publié le 06 déc. 2018 par Stefan Wandriesse