Ave Virgo gloriosa - Vox Poetica

Ave Virgo gloriosa - Vox Poetica ©Saturnino Gatti (1463-1515), La translation de la Sainte Maison de Lorette (ca 1510)
Afficher les détails
Musique mariale de la Renaissance au Baroque

Ce court programme se consacre au répertoire marial en Italie à la charnière de la Renaissance et du Baroque et s’illustre par des polyphonies du 17ème et 18ème siècles, accompagnées par quelques intermèdes instrumentaux. Monteverdi alimente la moitié de ces trois quarts d’heure. Non les célèbres Vespro della Beata Virgine, mais les Laetaniae parues à titre posthume en 1650, figurant parmi la quinzaine d’œuvres sélectionnées par l’éditeur vénitien Alessandro Vicenti. Rappelons que cette liturgie est associée à la Santa Casa de Loreto (Italie, province d’Ancône), relique d’une maison de Nazareth où selon la foi chrétienne la naissance de Jésus fut annoncée par l’Ange Gabriel, et qui fut ramenée depuis la Terre Sainte en 1291. Cette translation, à l’origine d’un sanctuaire majeur du culte de la Sainte Mère, est évoquée en couverture sur le tableau de Saturnino Gatti. Ces Litanies de Lorette Costanzo Porta les avait déjà abordées en 1575 dans une forme à huit voix. Le texte avait été officialisé en 1601 sous le pape Clément VIII. On s’explique d’autant moins la relative brièveté du CD que ces rites engendrèrent un véritable engouement dans les décennies consécutives et qu’il y avait donc largement matière à puiser parmi ce fonds : dans sa thèse pour l’Université de Durham (octobre 1990), David Anthony Blazey recensait plusieurs dizaines de compositeurs italiens qui écrivirent au moins une Litanie à la Vierge durant le Sedicesimo !

L’autre contribution monteverdienne qu’inclut ce disque provient du recueil Selva Morale e Spirituale diffusé en 1640 alors que le compositeur culminait à son poste de maître de chapelle de la Basilique San Marco de la cité sérénissime : le Magnificat secondo à quatre voix, dans un veine archaïque (stile osservato) en alternance avec la monodie grégorienne, et d’un rayonnement plus modeste que l’autre Magnificat à huit voix que nos interprètes ont laissé de côté. Cette option d’austère gravité se réitère dans le choix du Salve Regina d’Alessandro Scarlatti : des deux motets à quatre voix du Napolitain écrits d’après cette antienne, l’équipe Vox Poetica a retenu non celui en stile concertato mais celui en contrepoint imitatif. C’est encore l’héritage de la Renaissance et une culture traditionaliste qui s’expriment dans l’hymne Ave Virgo Gloriosa de Girolamo Frescobaldi, page de quelque trois minutes qui donne son titre à l’album. Elle provient des trente-trois pièces imprimées dans le Liber secundus diversarum modulationum (Rome, 1627), source majeure de la production sacrée du grand claviériste, faisant suite à un volume qu’à ce jour on n’a point retrouvé. Autre avarie, la partie d’altus manque à l’unique exemplaire rescapé et a dû être reconstituée pour cet enregistrement.

Le parcours s’entretoise d’étapes pour vents et viole attestant la vigueur des Canzoni da sonare au nord du pays, souvent dérivées d’aria francese, qui résonnaient dans les foyers aristocratiques, mais aussi lors des fêtes solennelles de l’année liturgique. Le Primo Libro (1588) de l’éditeur Vincenti place en tête de son anthologie une Canzon de Claudio Merulo, intitulée L’Olica en l’honneur d’un dignitaire ukrainien originaire de cette ville. C’est une collection plus tardive (1608) qui nous procure un spécimen de Giovanni Battista Grillo, révéré organiste de Saint-Marc. Parmi ces trente-six chansons de douze éminents auteurs publiées par Alessandro Raverii, on remarque le nom de Giovanni Gabrieli (1557-1612) : l’on peut regretter que le programme n’ait été complété par les ors de ce brillant polyphoniste, auquel Hespérion XX avait consacré un vinyle en octobre 1978 chez EMI, couplé avec son contemporain Gioseffo Guami (1542-1611). À la place, nous revenons à Frescobaldi qui fit paraître trois séries de canzoni entre 1628 et 1634, et dont on nous propose ici deux pièces tirées de la troisième mouture : la Canzon Seconda (sur l’air populaire La Romanesca) et la Sesta. Chacune témoigne de l’invention rythmique et harmonique déployée sur une experte structure monothématique soumise à variations.

L’écoute ? Hélas, d’emblée l’interprétation étonne par sa réalisation certes sincère et fervente, mais prosaïque et peu probante. Voire défaillante. Une si candide prestation, franche et enthousiaste, attirerait certainement la sympathie au concert mais encourt le reproche lors d’une audition tant soit peu exigeante. Ici un faux-départ, là une justesse hasardeuse, au sein de tempi spongieux, d’une cohésion grossière ou mal vissée : peu d’instants échappent à la déception. Si seulement les voix offraient une couleur séduisante, au lieu de quoi les sopranos perçantes, les ténors métalliques, le vibrato d’un autre âge ne trouvent aucun secours dans une ingrate acoustique, frontale et boursouflée. L’esthétique pourra aussi surprendre, ainsi chez Scarlatti le plain-chant adipeux en guise de stile antico. Le début de la plage 7 accumule même les disgrâces au gré des interventions. L’attaque nasalisée du Christe Eleison se distingue peu d’une caricature. Parmi les récentes productions de ces Litanies, on réécoutera les ensembles Compagnia del Madrigale (Glossa, 2014) ou Odhecaton (Arcana, 2017), autrement convaincants.

Les interludes à cornet et sacqueboutes sont mieux servis par Nova Alta, sans atteindre la virtuosité ni l’éclat : ces loquaces miniatures requièrent un parfait réglage qui semble ici trop laborieux. Parenthèse : l’orgue positif n’est pas cité dans la nomenclature page 1. Sans qu’on doute de la probité de la démarche ni du bon vouloir de l’équipe, face à un résultat qui ne dépasse pas toujours l’amateurisme, on s’interroge sur la nécessité d’immortaliser devant des micros une session proche du « brut de décoffrage ». Sur le même thème de dévotion à la Vierge, on consultera plutôt des récitals mieux aboutis tel Per la Vergine Maria par le Concerto Italiano de Rinaldo Alessandrini (Naïve, 2011). Saluons en tout cas la qualité du livret signé par Concetta Assenza, aussi érudit que développé (douze pages denses dans la traduction anglaise), qui présente chaque opus dans son contexte et en fournit une fine analyse.



Publié le 26 juil. 2021 par Christophe Steyne