Sonatas & Trios. Boismortier

Sonatas & Trios. Boismortier ©Ricercar Outhere
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Boismortier ? De l’esprit et du cœur !

Il est toujours plaisant de découvrir un tout jeune ensemble de musiciens, quand celui-ci entre dans le monde, au travers d’un premier opus particulièrement réussi. Il est étonnant du reste que l’éditeur ne dise mot sur ce Petit Trianon, qui s’est constitué grâce à la rencontre heureuse, lors d’études supérieures communes au Centre de Musique ancienne de Genève. Le tableau de Michel-Ange Houasse représentant une soirée musicale est judicieusement choisi pour la couverture et annonce fort opportunément le concert auquel nous sommes conviés. Quant à la notice de Stéphan Perreau, curieusement entachée de coquilles, elle s’avère passionnante, étant donné sa profonde connaissance du compositeur ici représenté : ce singulier personnage, si indépendant, original et créatif qu’était Joseph Bodin de Boismortier (lire la passionnante biographie de Stéphan Perreau : Joseph Bodin de Boismortier (1689-1755), un musicien lorrain-catalan à la cour des Lumières, Les Presses du Languedoc, Montpellier, 2001, 240 p).

Si ce compositeur des plus prolixes est jugé comme encore trop peu connu selon nos musiciens, qui ont décidé de se pencher sur son cas, il faut rendre à César ce qui est à César, en l’espèce Hervé Niquet à qui l’on doit d’avoir ressuscité avec bonheur et gourmandise des pans entiers de l’œuvre considérable de ce Lorrain, parti un temps séjourner à Perpignan avant de s’installer durablement à Paris et d'y faire une brillante carrière. Sonates pour basses, ballets de village, motets, ainsi que les merveilleux Daphnis et Chloé ou le pittoresque Don Quichotte chez la duchesse (sur cette dernière, lire la chronique de Michel Boesch : Don Quichotte chez la duchesse) ont permis de se faire une image plus juste d’un musicien, trop longtemps cantonné à des pièces mineures quoique fort utiles pour leurs vertus pédagogiques.

Aussi le programme ici proposé s’avère-t-il extrêmement séduisant et très intelligemment construit. Un florilège de sonates en trio, aux combinaisons instrumentales des plus variées évite toute monotonie, effet encore renforcé par quelques-unes des pièces de clavecin de la Suite en ut mineur, parmi lesquelles la Caverneuse déploie ses graves, la Valétudinaire sa fragilité, la Marguillère sa fière majesté et la Décharnée sa vivacité aux effets digitaux ramistes. Paolo Corsi les défend de fort belle manière, faisant sonner un très bel instrument dont on aurait aimé en savoir un peu plus.

Les sonates attestent d’une maîtrise absolue de l’écriture en trio, construite sur des lignes mélodiques courtes et constamment entremêlées avec grâce et élégance. Voilà qui fait penser indéniablement à Telemann, avec qui Bodin de Boismortier partage, outre une production surabondante, le goût pour les assemblages les plus inédits et originaux. Là où on aurait eu deux instruments de dessus identiques, celui-ci associe le violon et le violoncelle, au-dessus du continuo, ce qui nous vaut un largo de la sonate VI en ré majeur de l’Opus 50 absolument inoubliable : les lignes se caressent, s’entrecroisent avec la plus grande des sensualités, dans des couleurs chaudes et lumineuses (magnifiques Amandine Solano et Cyril Poulet, qui font chanter véritablement leurs instruments). Il est impossible de résister aux enchantements de toute la fin de la deuxième partie de ce mouvement inaugural ! En miroir, la sonate II en mi mineur de l’Opus 37 marie avec évidence le traverso chaleureux d’Olivier Riehl au truculent basson de Xavier Marquis, lequel vient par ailleurs nourrir avec sa rondeur bonhomme un continuo charnu et généreux. A un allegro très volubile succède un adagio empreint de tendresse et de gravité, avant qu’un allegro plein de fougue ne vienne conclure cette sonate où l’intérêt est sans cesse relancé.

L’association du traverso et du violon a inspiré à Boismortier des moments d’intense poésie. En témoignent l’affectuoso (sic) de la sonate III de l’Opus 41 aux réminiscences de musette, le fait de jouer le début sans continuo étant du plus heureux effet. Voilà qui fait penser au lever de soleil du prologue de Zaïs de Rameau dans ses premiers instants. Le largo en si mineur de la sonate II de l’Opus 41 déploie ses arpèges avant d’adopter une mélodie qu’entrecoupent des silences pleins de mystère. Le largo de la sonate V de l’Opus 37 réunit le traverso, le violon et le violoncelle en plus du continuo, dans une page dense et somptueuse.

On ne décèle aucune superficialité dans ce programme : quelle profondeur d’emblée, avec cet adagio endeuillé de la sonate IV en sol mineur, qui débute des profondeurs, auxquelles le traverso et le violon répondent douloureusement, avec leurs lignes chromatiques ascendantes et leurs soupirs languissants, avant que n’éclate un allegro plein de vivacité. Une sarabande diaphane, danse dans une subtile alchimie qui mêle à la gravité une délicatesse consommée. Très italien d’esprit, le presto, qui lui succède, emporte tout sur son passage tel une bourrasque, qu’un minuetto vient apaiser par son style français, quoiqu’en dise son intitulé.

La virtuosité, on l’aura compris, n’est pas pour autant exclue de ces pages, comme par exemple dans le premier allegro de la deuxième sonate de l’Opus 41, où le traverso déroule ses traits violonistiques, non sans humour, face à sa partenaire qui, elle, joue un motif en soupirs, comme si les rôles de cette petite comédie galante étaient inversés. L’allegro fugué de la sonate VI de l’Opus 50 permet au violon et au violoncelle de rivaliser brillamment, tout comme au compositeur de faire montre d’un contrepoint fort élégant.

Au savant, Bodin de Boismortier savait combiner le populaire, ce qui nous vaut notamment un final de la sonate V en la mineur de l’Opus 37 plein de verve et d’humour, dont la rusticité s’offre comme un clin d’œil au Telemann, inspiré par la musique polonaise, dont le double concerto pour traverso et flûte à bec offre un exemple saisissant. Nul doute que cet allegro vous entêtera et vous mettra dans la meilleure humeur qui soit. C’est donc avec un bonheur non dissimulé que nous accueillons ce nouvel ensemble, dont on souhaite qu’il poursuive son défrichage du répertoire français du XVIIIe siècle dont il se saisit avec une gourmandise communicative. Comme on les comprend !



Publié le 07 juil. 2017 par Stefan Wandriesse