Arie a una, due e tre voci - Campana

Arie a una, due e tre voci - Campana ©
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Hommage à une compositrice exceptionnelle du XVIIe siècle

Francesca Campana Romana, née à Rome vers 1610, a vécu et composé exclusivement dans la Cité papale, d'où l'appellation de Romana (romaine) que l'on trouve sur le frontispice du recueil d'airs publié à Rome en 1629 et dédicacé au prince de Castiglione, Luigi Gonzaga, par la compositrice elle-même. Nous n' avons que très peu d'informations sur Francesca Campana mais il est évident qu'elle reçut une éducation musicale exceptionnelle pour les femmes de son époque, ce qui laisse supposer qu'elle ait grandi dans un milieu social d'une certaine importance et culturellement stimulant. Nos connaissances actuelles sont liées à son mariage avec Giovan Carl Rossi (1617-1653), compositeur et frère cadet de l'un des plus fameux compositeurs de la musique romaine du début du XVIIe siècle, Luigi Rossi (c.1597-1653). Mais les témoignages de l'époque et précédents son mariage parlent de sa virtuosité vocale, de son talent en tant que joueuse d'épinette et de compositrice.

Au cours de l'automne 1629, au moment de la publication des Arie a una, due e tre voci, le nom de Francesca Campana avait déjà fait son apparition dans Le risonanti sfere (Rome, Bobletti, 1629) : une anthologie de quinze pièces musicales de quatorze compositeurs, qui s'ouvrait sur un morceau musical de Francesca Romana. Si cette anthologie marquait le début de la compositrice dans le monde de l'édition, le recueil Arie a una, due e tre voci marque une étape encore plus importante dans le monde de la musique romaine : c'est le premier recueil imprimé consacré aux œuvres d'une unique compositrice. Un étape importante restée sans égal à Rome, pendant une bonne partie du XVIIe siècle. L'année suivante, elle publie un recueil de Madrigaux, malheureusement perdu.

Cependant, les quinze airs du recueil sont dignes d'une analyse approfondie, non seulement pour leur importance historique mais surtout pour leur intérêt musical. Le style de Francesca Campana est riche en dissonances et chromatismes qui soulignent le potentiel expressif de ses textes, même si elle n'atteint pas la qualité de Gesualdo ou de Marenzio. La maîtrise créative de la forme dont elle fait preuve, semble porter vers un espace de débat habilement construit sur les valeurs de la prima prattica polyphonique et la seconda prattica dans l'art du motet ; entre musique verticale et horizontale, et sur la suprématie entre le texte et la musique.

Les airs à une, deux et trois voix de l'album respectent en majorité la forme strophique, commune également à l'air pour soliste et basse continue, (sonnets et madrigaux) mais présente aussi des choix différents. Ainsi, les quatre premiers airs (Semplicetto augelin, Che ove il mondo superbo, Misero tu non sai et Vattene via dalle mentite scorte) n’obéissent pas à la forme strophique. Ils constituent un unique sonnet mais divisé en quatre compositions musicalement autonomes, unis par la cohérence sémantique du texte. L'auteur du sonnet est probablement Francesco Bracciolini.

Au contraire, le madrigal S'io ti guardo ti sdegni, s'io ti parlo tu fuggi utilise la forme strophique pour soliste et basse continue. La première strophe reprend le texte d'un madrigal de Giovanni Andrea Rovetti. La deuxième strophe, par contre, est un ajout d'un texte anonyme dont la structure est identique à la première strophe. Le dernier madrigal de l'album, Occhi belli, occhi amati, est un cas à part qui permet à la compositrice de s'insérer dignement dans le débat entre Antiques et Modernes: un madrigal à trois voix en contrepoint imitatif sans basse continue.

Les airs chantés alternent avec des morceaux pour instrument, plus anciens et probablement d'origine napolitaine. Ils proviennent du Manuscrit di Luigi Rossi, conservé à la British Library of London, ayant appartenu au compositeur et lié aux années de sa formation à Naples.

Pour la première fois, nous pouvons enfin écouter l'ensemble des œuvres de Francesca Campana, tirées de l'oubli par l'ensemble Ricercare Antico et par son fondateur et luthiste, Francesco Tomasi. La grâce et l'élégance des Arie de Francesca Campana sont soulignées par la belle voix de Riccardo Pisani et par l'excellence de l'accompagnement musical.



Publié le 05 avr. 2021 par Véronique Dumoulin