Cantata - Mehta

Cantata - Mehta ©Pentatone
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Délectable !

Bejun Mehta a décidément une carrière très à part dans le microcosme actuel des contre-ténors, totalement différente par le parcours, les répertoires abordés, ainsi que pour les enregistrements. Un parcours différent, car non seulement il a commencé sa carrière musicale en tant que violoncelliste, continuée par une reconversion chez les barytons, puis a opté pour la voix de contre-ténor et, finalement, arriver, tout récemment à la direction d’orchestre. Après divers essais, c’est sa rencontre, ainsi que sa remise en cause musicale (aussi bien technique que de répertoire) avec René Jacobs (lui aussi contre-ténor, à la technique vocale très particulière) qui a constitué un élan extraordinaire pour sa carrière. Mais c’est un travail assidu de six ans qui lui a ouvert les portes des scènes mondiales. Pour le répertoire, il a abordé tous les « rôles usuels » des contre-ténors (Mitridate, Orlando, Orfeo ed Euridice de Gluck, Rinaldo, Le Messie, qu’il a également enregistrés), mais la création contemporaine l’intéresse également : Written on the skin ou Dream of the song de Georges Benjamin ou encore Les trois sœurs de Peter Eötvös. Mis à part un El Maestro Farinelli, où il cède à la tentation des CD à programme, contrairement aux autres contre-ténors qui excellent dans la recherche des répertoires des grands castrats italiens, des XVIIème et XVIIIème, c’est autre chose qui intéresse Bejun Mehta, et ce CD en est l’exacte démonstration. Avec ce sixième récital solo, Bejun Mehta, nous offre certainement son enregistrement le plus abouti.

Le titre général du CD, Cantata, peut tromper. En effet, ce n’est pas dans l’acceptation habituelle du terme opposée à Sonare (qui est très usitée en France, Italie ou Allemagne à l’époque baroque et qui désigne habituellement une forme chantée, en soliste ou non, pas forcément d’inspiration religieuse et accompagnée, au moins par un continuo) mais plutôt, dans un sens plus général de chanter en soliste qui semble guider le programme, (qui inclut des extraits d’opéra et d’oratorio). Le sous-titre est plus explicite : Yet can I hear (Puis-je entendre encore cette voix suave) est le nom d’un air extrait du Choice of HerculesHaendel (plage 19). Il illustre totalement ce que le chanteur veut nous faire entendre : colorations, dynamique et richesse du timbre, vibrato totalement maîtrisé ainsi qu’une parfaite exigence sonore et vocale, mais surtout simplicité et transparence, le tout dans un style diablement personnel. On est toutefois loin de la satisfaction unilatérale de l’hédonisme d’un chanteur, souvent ennuyeux à l’écoute au bout d’un temps plus ou moins long !. Le Lamento de Johann-Christoph Bach, l’un des cousins germains de Johann Sebastian, (plage 16), en est également un exemple parfait, d’un dramatisme presque expressionniste. L’Akademie für Alte Musik Berlin, qui a enregistré ce CD avec Bejun Mehta (on n’ose pas dire accompagné, le qualificatif est trop limité ici !) l’enveloppe dans un écrin, presque amoureux (flûte, hautbois) mais aussi tonique, avec des expressions au moins aussi puissantes que celles du chanteur, avec bien sûr, la qualité musicale habituelle de cet ensemble.

La cantate de Johann Sebastian Bach, Ich habe genug (Je suis comblé), BWV 82, est d’une probité extrême, d’une retenue, surtout dans le premier air (plage 5), où résignation et soumission à l’inéluctable dominent. Cette cantate est souvent interprétée par des voix graves (masculines ou féminines, et il y a pléthore d’enregistrements, plus de cent, historiques ou non !). Ici, sans aucune afféterie, Bejun Mehta, en saisit parfaitement le sens et nous le transmet, directement, simplement avec un orchestre hors du commun. Sans doute la nouvelle version de référence de cette cantate, interprétée par un contre-ténor.

Difficile de parler des autres morceaux sélectionnés dans cet enregistrement sans se répéter, tant l’enregistrement est globalement de qualité superlative. Les morceaux choisis chez Haendel (quatre sur huit) nous semblent tous également et parfaitement chantés. Une section un peu en retrait est celle de Vivaldi : Pianti, sospiri e dimandar mercede RV 676 (Larmes, soupirs et appels à la miséricorde , plages 12 à 15), époustouflante de virtuosité, de technique, mais finalement un peu décalée par rapport au projet de ce CD.

Pour conclure, voici à mon sens, l’enregistrement baroque de l’année, aussi bien pour le choix du programme que pour la qualité des interprètes, et la plénitude à laquelle sont parvenus, tant Bejun Mehta que l’Akademie für Alte Musik Berlin. Ne passez pas à côté et délectez vous de l’une des plus belles voix actuelles de contre-ténor.



Publié le 28 août 2018 par Robert Sabatier