La captive du sérail - Valiquette

La captive du sérail - Valiquette ©
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Des puissants aux captives : un panoptique amoureux

Cet album est à l’image de la Grande salle des Croisades du château de Versailles, où il a été enregistré : un voyage de Versailles jusqu’à Istanbul. Une riche et féconde rencontre entre les cultures orientales et occidentales.

Le livret qui accompagne le CD est composé d’une centaine de pages. Le texte en français est traduit en anglais et en allemand. Bien plus qu’un livret, c’est une réelle invitation à découvrir une part de cette histoire intriquée entre l’Europe et l’Orient. Ce petit livre d’accompagnement est richement composé, aussi bien en ce qui concerne les textes, les œuvres que les photos…

Notons tout d’abord la qualité des textes que nous propose Laurent Brunner, directeur de Château de Versailles Spectacles, éditeur du coffret. Ces pages d’histoire sont très captivantes, notamment sur la place de l’esclavage en Europe et jusqu’aux harems d’Istanbul. On y apprend les détails de certaines guerres légendaires entre les armées ottomanes et celles des empires européens. Sans oublier l’alliance franco-turque entre François 1er et Soliman le Magnifique qui, avec son amiral en chef Barberousse, mena des raids en Espagne et en Italie. Une alliance qui durera plus de deux siècles.

Au XVIIIème siècle, l’intérêt grandissant pour les « turqueries » imprègne la littérature (Les Lettres persanes de Montesquieu) comme l’opéra (l’Entrée du Turc généreux dans Les Indes galantes de Rameau). L’opéra-comique, né en France, avec ses textes parlés, ses histoires d’amour et ses intrigues familiales en sera également influencé. Celles et ceux qui souhaiteront approfondir leurs connaissances ou juste découvrir les compositeurs et leurs œuvres pourront dévorer, sans modération, les pages qui leurs sont consacrées. Un livret à la hauteur de la richesse de cet enregistrement.

Ces aventures, aussi bien lyriques que littéraires sont rythmées par un judicieux choix de treize peintures, finement reproduites. On y trouve des toiles de Titien, Ingres, Gérôme et d’autres peintres inspirés par l’orientalisme. Ces œuvres représentent une histoire des harems et de ces femmes captives.

Enfin, les photos réalisées par la photographe Capucine de Chocqueuse donnent une très belle illustration des héroïnes marquées par le désespoir, le courage et l’amour. Héroïnes auxquelles la soprano Florie Valiquette prête sa voix.


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L’album rassemble des airs peu connus du grand public. Il présente surtout une surprenante version en français d’airs de L’Enlèvement au Sérail de Mozart, écrit pour l’empereur Joseph II. Il existe de nombreuses interprétations de cette œuvre qui offrent, et c’est le cas ici, une version plus dynamique. Mise en perspective avec des réalisations contemporaines en allemand, je trouve que la version en français apporte, dans les deux airs qui nous concernent, une certaine douceur. En plus de garder toute sa qualité dramatique, l’air de Constance me semble ici plus romantique, la captive plus amoureuse et combattante que dans la version originale. Il en va de même pour la piste suivante, où la version en français donne une fluidité supplémentaire à l’air des deux amoureux qui ont hâte de se retrouver… dans la mort.

Le rythme de l’album est donné dès le début. L’ouverture, avec Grétry, est un savant mélange entre des attaques vives, soutenues, et un délicieux solo plus lent, de hautbois. D’une durée d’un peu plus d’une heure, onze des dix-sept pistes sont chantées par la soprano Florie Valiquette, dont deux accompagnées par le ténor Nicholas Scott.

Florie Valiquette a déjà une carrière importante, aussi bien en termes d’interprétation que de variété de rôles. Elle est de ces artistes qui excellent aussi bien en concert qu’à l’opéra. Cet album est son premier récital. Elle incarne pleinement les rôles qu’elle interprète. Comment ne pas être saisi par le désespoir de la belle Zéila, captive et loin de son bien aimé Valcour (piste 10). La voix de la soprano réussit à se mouvoir aussi bien dans les airs dramatiques de Zémire, ou en proie à la mélancolie avec Rezia, que dans ceux plus guillerets, tels que Amine avec ces Ah, ah, ah ! Dans les premières pistes, la jeune canadienne nous montre ses plus beaux aigus, notamment avec le rôle de Constance. A l’inverse les dernières pistes et plus particulièrement celle de Roxelane, montrent jusqu’où cette artiste peut étendre sa voix de soprano. Sur l’ensemble de l’album il faut noter l’habileté de l’articulation et du phrasé avec laquelle la soprano et le ténor britannique déclament leurs airs. Cette qualité s’entend surtout dans les duos où chacune des partitions sont parfaitement chantées, les syllabes se détachent agréablement les unes des autres telles une fine dentelle.

A l'occasion de cet enregistrement, et pour diriger l'Orchestre de l'Opéra Royal, il fallait bien un amoureux du baroque en la personne de Gaétan Jarry. En plus d'être soliste il a agilement lié, en plus des voix, les compositeurs Gluck, Gibert, Grétry, Philidor, Monsigny et Mozart autour de cette Captive du Sérail. Avec une telle diversité de compositeurs renommés, c’est un réel exploit que de livrer un album harmonieux. La musique baroque est comme l’Orchestre de l’Opéra Royal, « une histoire à construire ! » (p.71 du livret). C’est un équilibre saisissant qui nous est offert ici. Équilibre entre les pistes instrumentales et celles chantées, mais également un bel équilibre entre l’amplitude, la coloration vocale de la soprano et l’orchestration. Au sein de l’orchestre, chaque instrument trouve sa place. Ainsi les trompettes et les timbales se complètent merveilleusement bien l’une l’autre dans l’Ouverture des Pèlerins de la Mecque. Les instruments à vent, eux, donnent un rythme saisissant à la Danse égyptienne de Grétry.

Habitué des albums qui se terminent sur une piste dynamique, le dernier morceau m’a surpris. Il finit sur une note de douceur qui prête à la rêverie. A la lecture des textes, on comprend mieux pourquoi. Il n’y a pas que les hommes de pouvoir qui emprisonnent. L’amour les rend captifs. Au début de l’album, la captive française de Gréty, soumettrait un Sultan même (piste 3) avec ses beaux yeux pour retrouver sa liberté. Les amoureux Constance et Belmonte de Mozart (piste 5 et 6), se retrouveront, quant à eux, après que le trépas les ait rassemblés. Mais l’amour n’est pas que l’affaire des gens ordinaires : Les rois même portent des fers (piste 15) et cela même s’ils sont rendus invincibles par Mars, (piste 17). L’Amour rend captif, comme l’écrit Gluck dans La Rencontre Imprévue (piste 16). Avec le personnage de Roxelane de Gibert, c’est la captive française de Gréty et toutes les héroïnes qui gagnent, grâce à l’Amour, face au pouvoir. La gloire du roi, comme celle du sultan, s’anéantit devant l’amour. Et vous cédez à votre tout (piste 17).

Ces airs, dont on peut souligner l’agréable cohérence, ont très certainement inspiré de nombreux artistes. Les duos m’ont fait penser à l’opéra-comique, plus tardif, Le Comte Ory de Rossini, et spécialement la version interprétée par Diana Damrau, Juan Diego Flórez et Joyce DiDonato. Les extraits de La Caravane du Caire de Grétry m’ont eux fait voyager jusqu’aux multiples interprétations de la Danse Bacchanale de Camille Saint-Saëns.

Ces extraits de la Caravane me plongent aussi dans l’univers du jeu vidéo Final Fantasy. Les timbales qu’on entend dans la Danse générale (piste 4)  me font penser à plusieurs scènes de Final Fantasy 7 et 9. La Danse égyptienne (piste 8), elle, me rappelle inévitablement la scène du bal de Final Fantasy 8. L’interprétation de ces airs est d’une saisissante contemporanéité.

Bonne rêverie à l’écoute de ces Turqueries Galantes !



Publié le 04 juin 2022 par Dimitri Morel