Leuven Chansonnier - Sollazo Ensemble

Leuven Chansonnier - Sollazo Ensemble ©Rob Stevens
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L'indispensable Chansonnier

Découvert début 2017 et totalement inconnu avant cette date, le Chansonnier de Louvain (Leuven Chansonnier), nommé ainsi à cause du lieu de sa conservation, va sans aucun doute devenir un des manuscrits incontournables au répertoire de bon nombre d'ensembles de musique Renaissance. En effet, sa rédaction, actuellement datée vers 1470 - 1475, met en évidence, outre la qualité musicale des morceaux qui la constituent, ainsi que leur nombre (cinquante chansons, dont une seule composition religieuse), un panel de compositeurs, quand on a pu en l'état actuel les repérer, qui laisse rêveur : Johannes Ockeghem (vers 1410-1497), Antoine Busnoys (ou Busnoi) (vers 1433 - vers 1492), Firminus Caron (? -vers 1475), Gilles Binchois (vers 1400 - 1560). C'est ainsi un manuscrit hors du commun... Mais c'est surtout la découverte de douze pièces ne figurant dans aucun autre manuscrit actuellement connu qui a retenu l'attention des musicologues et interprètes de cette période de musique dite Franco-Flamande.

Entre le XIIIème et le XVIème siècle, un chansonnier est un recueil (manuscrit ou imprimé) de chansons profanes (souvent composées par des trouvères ou troubadours anonymes), avec ou sans partie musicale, écrit dans diverses langues (en général latines), et généralement compilé pour une occasion précise, pour un prince ou autre commanditaire. Il existe un grand nombre de Chansonniers, comme celui d'Uppsala (publié en 1556) ou celui du Roi (manuscrit datant du XIIIème, contenant plus de 600 chansons)...

Le manuscrit de Louvain est parfaitement complet et, chose assez rare pour être notée, est encore recouvert de sa reliure originale, comme le montre la couverture du disque. Il a été acquis par le Fonds Léon Courtin - Marcelle Bouché et confié à L'Alamire Fondation de Louvain pour l'analyse musicologique. Une interprétation intégrale du manuscrit a été donnée au festival Amuz d'Anvers en août 2018, par quatre ensembles : Leones Ensemble, Le Park Collegium, le Huelgas Ensemble et l'Ensemble Sollazzo.

L'Ensemble Sollazzo, dont nous avions déjà chroniqué ici la précédente sortie discographique (En Seumeillan, Editions Ambronay, mai 2018), a ainsi décidé de se lancer dans l'enregistrement intégral de ce Chansonnier. C'est le volume 1 de ce projet qui vient de paraître au label Passacaille associé pour l'occasion à Ambronay Editions (il devrait être suivi de deux ou trois autres opus). Si l'Ensemble Sollazzo a changé quelques-uns de ses membres, les sept musiciens qui ont participé à cet enregistrement, et en particulier la vielliste, Anna Danilevskaia, nous livrent un parcours musical sans faute. Le luth de Christophe Sommer, souvent présent, est d'un ravissement permanent. Les deux sopranos, Yukie Sato et Perrine Devillers, ainsi que le ténor léger Vivien Simon, rivalisent de charme et leur diction est très au point, tous sont toujours de bon goût. Les deux sœurs Danilevskaia toutes deux à la vielle et le traverso de Johanna Bartz, rivalisent de justesse, le tout avec une belle présence, alliés par instant à une vraie virtuosité.

Dans les quatorze plages présentes dans ce volume 1 (pour une durée un peu courte de 62 minutes), quatre font partie des compositions anonymes inédites du Chansonnier de Louvain (plages 9, 10, 11 et 14) et sont d'une beauté extraordinaire.

La vielliste Anna Danilevskaia nous a fourni quelques secrets de cette partition et révélé en quoi les possibilités d'interprétations sont multiples. Dans le manuscrit, il semble que la place des pièces ne soit pas due au seul hasard, avec des regroupements essentiellement par thèmes. Pour ce qui est des pièces déjà connues, on note certaines petites variantes par rapport aux autres manuscrits. Les pièces sont écrites à trois voix, sauf une qui en propose quatre. Les mélodies sont notées sur une portée (ici pas de neumes). Le rythme est quant à lui plus difficile à établir, les trois voix, non mesurées, n'étant pas superposées. Le Cantus (soprano) est noté avec la première voix, les autres étant en général dévolues aux instruments. Tous les textes, très majoritairement écrits au masculin, sont en français, les interprètes ont opté pour une prononciation la plus proche possible (pour ce que l'on en sait) de celle de l'époque.

Quelques points forts, à écouter de toute urgence dans ce CD, nous semblent être : Escu d'ennuy (l'une des compositions nouvellement découvertes, plage 9), où la soprano Perrine Devillers, est admirable de simplicité. Je ne fays plus, de Gilles Mureau, à deux voix chantées, (plage 12) est d'une douceur étrangement envoûtante. La plage 2, avec la composition de Johannes Ockeghem, Ma bouche rit, est d'une mélancolie déchirante et d'une intense poésie.

Un CD à écouter au plus vite. Les mélomanes peu accoutumés à cette forme de musique l'écouteront certainement à petite dose, mais ce Chansonnier n'est certainement pas compilé pour une écoute en continu. Quoi qu'il en soit, l'interprétation de l'Ensemble Sollazzo mérite toutes les éloges. Un seul bémol, on aurait aimé savoir précisément pour chaque morceau quels sont les instrumentistes ou chanteurs qui interviennent.



Publié le 09 janv. 2020 par Robert Sabatier