Clavier bien tempéré - Bach

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Clavier bien tempéré de Bach : liberté et trame dramatique

L’un des sommets de la littérature de la musique occidentale, le Clavier bien tempéré de Bach est une bible que tous ceux qui touchent le clavier doivent s’approprier d’une manière à une autre. Mais un débat persiste toujours autour de ses pièces pour clavier, à savoir quel instrument choisir pour leur interprétation. Si certains tiennent absolument à ce qu’elles soient jouées sur un clavecin ou un clavicorde, d’autres optent pour le piano moderne qui offre une possibilité infinie d’expressions.

Piotr Anderszewski fait partie de cette dernière catégorie de musiciens. Dans une interview donnée dans l’émission Musique Matin de France Musique le 28 janvier 2021, il a déclaré que « les œuvres de Bach transcendent les instruments » et que « réduire l’exécution de ces compositions (en l’occurrence les deux volumes du Clavier bien tempéré) à un seul instrument d’époque — au clavecin — équivaudrait à limiter son universalité ».

Bach occupe une place de choix dans la discographie d’Anderszewski. Les Partitas (n° 1, 3 & 6, 2002), la Suite française n° 5 et l’Ouverture dans le style français (2007), les Suites anglaises (n° 1, 3 & 5, 2014) ont jalonné son parcours. Concernant les quarante-huit Préludes et Fugues publiés dans l’ordre chromatique, le pianiste n’est pas convaincu cet enchaînement sur lequel il « butait et rebutait » depuis toujours. Pour pouvoir partager le génie du Cantor, il lui fallait concevoir une ligne plus naturelle sur le plan musical et émotionnel.

Ainsi, il a placé selon son propre ressenti les douze des vingt-quatre Préludes et Fugues du Livre II choisis pour cet album, parfois en fonction de tonalité, parfois par contraste. Par ailleurs, il les considère comme des pièces de caractère, notamment quant aux thèmes de chaque fugue. Leurs oppositions et leurs ressemblances jouent beaucoup dans son choix de l’ordre ; il s’attache par ailleurs à alterner le majeur et le mineur, probablement dans le souci d’opposition.

Le sens dramatique d’Anderszewski permet d’ouvrir le disque avec le Prélude en ut majeur dans un tempo assez large, pour mieux marquer le mouvement permanent des notes traversant toute la fugue qui suit. La Fugue n° 8 en ré dièse mineur qu’il joue comme s’il livrait à une réflexion lente sur un sujet grave, est suivie du Prélude n° 11 en fa majeur plein de grâce, presqu’innocent. Dans la Fugue n° 7 en mi bémol majeur, il traite son thème de manière dansante. Tout de suite après, il joue le Prélude n° 16 en sol mineur dominé par les notes pointées à la française, puis il insiste dans la Fugue sur une même note répétée à sept reprises du premier thème, comme des sauts ou des pas marqués. Cela évoque indéniablement non seulement une suite de danse, mais également des danseurs en plein mouvement.

Son interprétation, somme toute assez romantique à notre sens, invite ainsi à l’auditeur d’imaginer sa propre histoire au son du piano moderne dans une dynamique large et aux multiples nuances. Il tire un grand profit de ces caractéristiques afin d’explorer, comme dit lui-même, la liberté qu’offre Bach dans son écriture rigoureuse.



Publié le 11 mai 2021 par Victoria Okada