Sonates en trio - Clément

Sonates en trio - Clément ©
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Une musique du Siècle des Lumières

Découvrir les œuvres d’un compositeur quasi inconnu demeure toujours un plaisir rare… le claveciniste Iakovos Pappas accompagné du violoniste Augustin Lusson présentent en première mondiale l’enregistrement des six sonates pour clavecin et violon de Charles-François Clément, un compositeur légèrement postérieur à Jean-Philippe Rameau qui traversa les règnes de Louis XV et Louis XVI pour s’éteindre en 1789 juste avant la Révolution Française (même si certaines sources mentionnent 1799).

De la vie de ce compositeur, on ne connaît que très peu de choses. Né à Apt en Provence vers 1720, il fut professeur de clavecin à Paris .Il adapta plusieurs opéras italiens pour le public parisien et publia un Essai sur l'accompagnement du clavecin (1758) , un  Essai sur la basse fondamentale (1762) , des cantatilles dont l’une est délicieusement intitulée Le Célibat, ainsi qu’un livre de six sonates « en trio » pour clavecin avec accompagnement de violon (1743) dédicacées à « Monsieur et Madame Forqueray » (Jean-Baptiste, le fils d’Antoine), qui font donc l’objet du présent enregistrement. Antoine Forqueray, de son côté, lui dédiera tout spécialement un mouvement dans sa quatrième Suite en sol mineur qu’il intitulera La Clément et qui sera publié en 1747 à titre posthume. Pour l’anecdote, on retiendra aussi que Clément se trouve cité dans les mémoires de Casanova qui l’aurait connu à Paris et lui aurait au passage ravi sa fiancée du nom de Manon Balletti - dont on peut encore admirer le portrait signé Jean-Marc Nattier à la National Gallery à Londres. Enfin, Charles François Clément était membre de la franc-maçonnerie, de la Loge des Neuf Soeurs plus précisément, dont le grand-maître n’était autre que Benjamin Franklin et dont Voltaire fut membre honoraire.

Une démarche commune aux deux interprètes

Deux musiciens de talent, habitués de la scène baroque, se sont réunis pour meneur à bien ce projet : Augustin Lusson tout d’abord, jeune virtuose comptant actuellement parmi les meilleurs violonistes de la scène baroque, remarqué dès l’âge de 18 ans par Sigiswald Kuijken. Après avoir étudié le violon baroque auprès de Patrick Bismuth, il a complété sa formation en collaborant avec les meilleurs ensembles de musique baroque français. Musicien éclectique, il s’intéresse également au jazz, aux musiques traditionnelles, en particulier aux traditions irlandaises, ainsi qu’aux musiques expérimentales. Choisi par le claveciniste Iakovos Pappas pour la réalisation de cet enregistrement, Augustin Lusson explique sa démarche : « le répertoire inconnu m'intéresse car il nous permet de sortir de notre zone de confort et mieux comprendre le langage de l'époque. L’œuvre de Clément est vraiment très particulière dans son écriture et je considère que cela fait partie de notre devoir d'interprète en musique ancienne de remettre sur la table ce type de musique parfois mal-aimée à cause de son caractère iconoclaste » Iakovos Pappas quant à lui, étudie le clavecin auprès d’Anne-Marie Beckensteiner (épouse de Jean-François Paillard et pionnière de la renaissance de la musique baroque) et de Bob Van Asperen. Connu pour ses recherches sur la déclamation et la prononciation dans la musique vocale, il compte parmi les quelques professeurs enseignant la déclamation chantée. Sa pratique du continuo l’a très tôt conduit à collaborer avec la quasi-totalité des ensembles baroques français, notamment en tant que chef de chant du Centre de Musique Baroque de Versailles de 1993 à 1997, et l’ensemble de son travail a été salué par la critique.

Une écriture originale

Les six sonates interprétées dans cet enregistrement ont fait l’objet d’une publication en 1743 intitulée Sonates en trio pour un clavecin et un violon ! Bien que composées pour deux instruments et non pour trois comme le titre pourrait le laisser entendre : Charles François Clément s’associe à Jean-Philippe Rameau pour considérer le clavecin comme équivalent à deux voix. Dès la première écoute, l’originalité de l’écriture séduit immédiatement. D’une écriture dense, ces sonates témoignent d’une inventivité et d’une créativité musicale avérée. Dépourvue de basse chiffrée, la partition est a contrario écrite en totalité avec précision et avec une partie de violon indépendante qui ne se cantonne guère à un simple rôle d’accompagnement. Ainsi que le souligne Iakovos Pappas, Clément est un harmoniste accompli dans la lignée de Leclair et de Rameau. Il est capable d’écrire des passages, tel le second mouvement de la première sonate, d’une tendresse simple tout en maniant également la forme avec une facilité et une impression de désinvolture toute personnelle.

Au travers de ces sonates, Clément s’éloigne peu à peu du modèle en trois mouvements préconisé par notamment par Mondonville pour tendre progressivement vers la disposition des  Pièces en concert de Rameau . La moitié d’entre elles, les n°1, 2 et 6 suivent le modèle en trois mouvements. D’ailleurs, l’écoute de ces sonates rappelle indéniablement Mondonville par leur style d’écriture inventif et novateur, agrémenté d’une petite touche toute italienne. L’équilibre entre les deux instruments est absolument parfait et l’interprétation est particulièrement soignée dans le moindre détail, avec un accord au diapason 415Hz dit « tempérament Rameau » bien évidemment. Comme le précise Iakovos Pappas, « Il ne faut pas perdre de vue que ce rapport de stricte égalité entre les deux instruments n’a jamais été attesté auparavant, et que peu de compositeurs postérieurs peuvent s’en prévaloir d’y être arrivés. ».  Le premier mouvement Allegro de la Sonate n°2 n’est pas sans rappeler La Mandoline, de la Suite n°2 d’Antoine Forqueray, dont le matériau thématique présente une similitude évidente. Toutefois, au vu des liens d’amitié entre le compositeur et la famille Forqueray, il est très probable qu’il s’en soit inspiré, consciemment ou non. On peut en dire autant du premier mouvement de la première sonate, sans pouvoir toutefois le rattacher à une pièce en particulier. Ces six sonates d’un style très raffiné témoignent du talent d’un compositeur dont les œuvres méritaient de toute évidence de sortir de leur oubli.

Une authentique réussite

Au delà de l’aspect découverte, cet enregistrement constitue une authentique réussite qui met en exergue la complicité entre deux musiciens de grand talent et permet de faire revivre plus de deux siècles après des œuvres d’un compositeur tombé injustement dans l’oubli ! La virtuosité du jeune violoniste Augustin Lusson, son jeu d’une grande subtilité allié à la parfaite maîtrise des « deux voix » de l’accompagnement au clavecin de Iakovos Pappas servent au mieux la musique d’un compositeur de premier plan. L’Aria de la Sonate n°IV, dont le thème oscille savamment entre mode mineur et majeur, ou l’Aria de la Sonate n°V dans lequel le jeu de luth du clavecin tout en subtilité soutient à merveille la partie violon en est une belle illustration. L’Allegro de la Sonate n°VI, de style brillant, presqu’extraverti, offre une belle conclusion à ce programme d’une grande homogénéité.

Une prise de son impeccable, à la fois aérée et naturelle, sans réverbération, participe au plaisir de l’écoute et permet d’apprécier le son du clavecin et surtout celui d’un violon âgé de trois siècles ! Un mot au sujet des instruments s’impose: Augustin Lusson, lauréat de la fondation Jumpstart Jr. à Amsterdam (voir le site), bénéficie du prêt d'un instrument d’exception pour une durée de 10 ans. Il interprète donc ces sonates sur un magnifique violon signé Alessandro Mezzadri, construit entre 1720 et 1730. Considéré comme le fondateur de l'école de lutherie de Ferrare, ce luthier a laissé des instruments élégants, d’une très grande qualité de facture, pouvant rivaliser avec les instruments de Niccolo Amati. Iakovos Pappas joue un clavecin de Gérard Fontvieille, un facteur renommé qui a contribué par son travail à la renaissance de cet instrument dans les années 1970 et qui a apposé son nom sur de magnifiques réalisations.

Pour conclure, l’intérêt musical de ces six sonates est une évidence. Leur écriture novatrice pour l’époque, même si elle se classe indéniablement dans un style dit galant, révèle un compositeur de premier ordre à la personnalité affirmée. La musique française de cette époque recèle encore de nombreux trésors à exhumer et comme le précise Iakovos Pappas : « La meilleure voie pour comprendre une telle musique est de l’écouter avec une attitude active, sans jamais oublier qu’elle n’est pas conçue comme un loisir ou pour servir de fond sonore ».



Publié le 27 mai 2021 par Eric Lambert