Le Coucher du Roi - Roussel

Le Coucher du Roi - Roussel ©
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Louis XIV et Morphée

Au cérémonial très codifié du grand coucher du roi succédait celui du petit coucher caractérisé par une intimité bien plus grande et faisant place à la musique. Morceaux favoris du monarque, pièces rêveuses y étaient données par la « garde » musicale rapprochée de Louis XIV. On connaît d’ailleurs à ce titre, pour n’en citer que quelques exemples, les Suites pour les couchers de Roy de Marin Marais dont le Ricercar Consort de Philippe Pierlot a donné une version incontournable. De même, les pièces de Robert de Visée ont fait l’objet de plusieurs enregistrements de Manuel Staropoli et Massimo Marchese.

Mais ici, les excellents Thibaut Roussel et Thomas Leconte ont rassemblé un programme de toute beauté, piochant dans divers répertoires, envisagés de nos jours comme des ensembles homogènes, alors que l’usage de l’époque était justement de les juxtaposer au gré des souhaits du roi et des disponibilités du service. Fort intelligemment conçue, cette heure de musique réunit aussi bien des pièces solistes, des trios, des airs sérieux que des adaptations instrumentales de pièces vocales, tirées notamment de ballets ou de tragédies en musique, variant ainsi les éclairages et les ambiances, en s’acheminant doucement vers le sommeil. S’il y a peu de découvertes parmi les pièces, leur mise en perspective confère à ce projet une indéniable originalité, magnifiée par une réalisation qui n’appelle que des éloges. De surcroît, le DVD bonus filmant certaines d’entre-elles et en ajoutant de nouvelles (Antoine Dornel et Jacques Hotteterre par exemple) ou mobilisant d’autres chanteurs (les remarquables Eugénie Lefebvre et Étienne Bazola), ne fait guère double emploi. Magnifiquement filmé (on notera une fois de plus l’excellence de la réalisation d’Olivier Simmonet) dans le cadre somptueux du Grand Appartement, le concert témoigne de l’osmose parfaite entre la musique et les lieux pour lesquels celle-ci a été conçue. Couleurs instrumentales et vocales répondent en miroir à celles du décor, l’éclat des ors s’atténue peu à peu, les ombres parent les balustres, tapisseries, cheminées et ornements de leurs voiles assombris, les chandelles s’éteignent et aux sons, qui s’évanouissent dans l’air, dansent les restes de fumée, dans un dialogue de volutes et d’arabesques.

Il convient de noter combien la relecture de certaines pièces nous permet de revisiter celles-ci. Ainsi, la Grande Pièce Royale « que le Roy demandait souvent » à son surintendant Michel-Richard de Lalande est donnée ici dans une version plus chambriste qu’à l’accoutumée. Aux couleurs orchestrales auxquelles nous sommes habitués se substitue ici la douceur des flûtes allemandes (magnifiques sonorités rondes et chaudes de Valérie Balssa et Thomas Leconte) au lieu des hautbois que l’on entend plus souvent. Mais rien ne manque ici, la gravité de la passacaille initiale débouche sur un fugato très serré plein de virtuosité. De même, le magnifique solo de basson lors du passage en majeur cède la place ici au chant de la viole, ce qui nous vaut un savoureux dialogue avec le violon de Josèphe Cottet dont les agréments improvisés nous attendrissent.

Atys, surnommé alors « l’Opéra du Roy », ne pouvait manquer ici à l’appel, d’autant plus que son Sommeil en constitue sans doute le point culminant. Cette pièce, à juste titre fameuse, l’une des plus admirables de Lully, toute empreinte de la gravité de son sol mineur, déroule les ondulations conjointes de ses cordes qui dialoguent avec les flûtes, générant d’envoûtants retards qui nous hypnotisent imperceptiblement. Le traitement réservé au trio vocal réunissant Morphée, Phantase et Phobétor voit ces personnages remplacés à dessein par les violes (relevons à ce titre la beauté de ce pupitre avec Myriam Rignol, Mathilde Vialle et Julie Dessaint !). L’adaptation est parfaitement réussie. Il en est de même pour les pages extraites d’Alceste, du Triomphe de l’Amour ou du Ballet des Muses dont les irrésistibles Canaries vous donneront envie de danser.

L’univers des pièces en trios est brossé de façon allusive par des compositions de Philidor, Marais ou La Barre, dont la plainte contraste avec les danses pleines de rusticité de l’illustre gambiste. Mais ce sont les pièces de Lemoyne et surtout de Visée pour théorbe et guitare qui retiennent l’attention. Il peut s’agir de pièces originales, parées de titres comme La Mutine ou La Conversation ou non comme l’entêtante passacaille du Livre de 1686). Relevons aussi les transcriptions livrées par des manuscrits d’époque, ce qui nous vaut une Chaconne des Harlequins bien connue mais surtout une Entrée des Nymphes (ici dénommée Plainte d’Atys) sonnant magnifiquement sous les doigts inspirés de Thibaut Roussel. Moelleux, gravité habitent ces pages qui devaient toucher tout particulièrement le monarque qui avait appris la guitare.

Les airs sérieux réunis ici sont signés des grands maîtres du genre : Michel Lambert et Sébastien Le Camus. Pour voix seule ou en dialogue (comme celui d’Antoine et Cléopâtre), ceux-ci explorent les tourments amoureux, poncifs du genre, cependant sublimés par les splendides textes signés de Jacqueline Pascal, d’Henriette de Coligny, comtesse de la Suze, d’Isaac de Benserade. Les Sombres déserts de Lambert prouvent une fois encore, s’il en était besoin, combien Marc Mauillon possède la voix idoine pour ce répertoire. Diction parfaite, beaux graves et aigus lumineux, émotion pleine de naturel, tout est mis ici au service de ces airs, témoignages raffinés de la « carte du tendre » de cette époque. Danaé Monnié nous offre, quant à elle, un Laissez durer la nuit confondant de beauté. Soutenue par l’écrin des violes et du théorbe, sa voix déploie une magnifique plainte quasi extatique. Le timbre est splendide, l’élocution admirable, au service du texte, nous invitant à « pleurer à la faveur des ombres ».

Ce petit coucher trouve son achèvement avec Le Dodo ou l’Amour au berceau de François Couperin. En miroir du grave prélude de Lalande qui ouvrait cette évocation, il s’agit d’une transcription à deux violes tout à fait judicieuse. En effet, dans ses fameux Concerts des Goûts réunis, le compositeur fait appel à ces deux instruments (Douzième concert à deux violes, ainsi que le treizième pour deux instruments à l’unisson qui réitère la formule). Ici, la pièce de clavecin originale sert de support à une berceuse ineffable d’une extrême douceur, encore accrue lors du passage en mineur. Morphée tend les bras à Louis XIV. Le roi s’endort. Quant à nous, nous restons bouche bée devant pareil enchantement.



Publié le 13 févr. 2021 par Stefan Wandriesse