Dialogues - Martin Alonso

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Dialogues, ou les conversations entre Sainte Colombe et Hersant

Instrument longtemps délaissé, la viole de gambe retrouve sa notoriété depuis quelques décennies grâce au renouveau de la musique baroque. Aujourd’hui, on découvre de « nouvelles » pièces qui s’endormaient dans des bibliothèques et archives, et en même temps, un certain nombre de compositeurs écrivent pour cet instrument, explorant de nouvelles possibilités sonores et expressives.

Dialogues, le récent disque de Ronald Martin Alonso (paru en septembre dernier), résume cette situation. L’enregistrement met en parallèle deux écritures pour la viole seule, à trois siècles de distance : Monsieur de Saint-Colombe (v. 1640 - v. 1700) et Philippe Hersant (1948).

Les pièces de Monsieur de Saint-Colombe que l’on peut entendre ici, bien qu’écrites autour de 1690, ont été « découvertes » récemment dans le fonds patrimonial de la bibliothèque municipale de Tournus en Bourgogne. Surnommées Manuscrit de Tournus, les partitions ont fait objet d’une édition seulement en 2013. Les fac-similés du manuscrit édités chez Minkoff sont aujourd’hui introuvables. Ces musiques nous sont donc connues que depuis peu, malgré leur âge.

Ronald Martin Alonso leur redonne le souffle avec sa sensibilité de notre temps afin de faire revivre ces notes oubliées depuis des siècles. Il déclare qu’à la découverte de ces partitions dans un magasin de musique de la rue de Rome à Paris, il a immédiatement été fasciné par « la richesse et la folie de l’écriture qui ressemblait à de la musique improvisée, pleine de fantaisie. » La fantaisie qu’il explore dans son interprétation en accord avec son émerveillement : les coups d’archet rapides, posés, coulés, soutenus…, tous intimement liés aux tempi choisis, aux intonations affirmées ou douces, à la résonance qui amplifie et enrichit le discours, ou encore à la virtuosité au service de l’expression et bien d’autres éléments. Alonso sort de sa boîte un ou plusieurs joyaux qui correspondent à chaque danse des Suites et grâce à son imagination, insuffle à celle-ci une forme, une chair et une âme pour faire danser les notes. Ainsi, ses gigues sont particulièrement revigorantes après une sarabande gracieuse et élégante ; un brin de nostalgie apporté dans les allemandes rend ces pièces introspectives ; quant aux courantes, les notes vivaces laissent imaginer la vigueur de son exécution.

Entre les trois Suites, il introduit deux œuvres de Philippe Hersant, Le chemin de Jérusalem en trois mouvements et Pascolas, également en trois mouvements. Et il comble merveilleusement le saut de temporalité entre les deux compositeurs. On reconnaît ainsi, dès le début du Chemin de Jérusalem, la même élégance teintée de langueur et la même frénésie délicieuse que chez Sainte-Colombe. Chaque mouvement de cette œuvre est constitué de plusieurs sections brèves à des tempi différents, créant une atmosphère de Suite.

Quant à Pascolas, c’est l’aspect évident de danse qui rapproche des Suites. L’œuvre a été composée en 2019 à la demande de notre violiste et lui est dédiée. Elle est inspirée de La danza de los pascolas y del venado (Danses des chasseurs et du cerf), une dense rituelle des Indiens du Nord-Ouest du Mexique. Le compositeur a écrit les trois mouvements d’après les documents sonores qu’il avait achetés au Musée d’Anthropologie de Mexico il y a 40 ans. C’est autour de certaines ritournelles entendues dans ces documents que Hersant a construit l’œuvre, dont le gambiste exprime si bien le caractère presque obsessionnel. Est-ce affaire de « tempérament » ? Car Ronald Martin Alonso, d’origine cubaine, démarque son interprétation par la spontanéité et la chaleur, qualités liées certainement à son origine.

Cette association réussie des deux univers compose naturellement un bel enregistrement, qui constitue un parfait cadeau de Noël pour mélomanes.



Publié le 24 déc. 2020 par Victoria Okada