Oeuvres pour clavier - Fasch

Oeuvres pour clavier - Fasch ©
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A la découverte de Carl Friedrich Christian Fasch

Audax Records vient de publier un enregistrement qui donne un éclairage édifiant sur un compositeur méconnu : Carl Friedrich Christian Fasch (1736-1800). Jusqu’à maintenant, son nom est associé, pour une poignée de spécialistes et mélomanes avertis, à la Berliner Singakademie (Académie de chant de Berlin). Cette Académie est surtout connue par la recréation de la Passion selon Saint Matthieu de J.S. Bach sous l’impulsion de Mendelssohn en 1829. La postérité n’a pas autant retenu le nom de Fasch qui fut pourtant son fondateur. Sa biographie d’après Carl Friedrich Zelter (successeur de Fasch et professeur de Fanny et Félix Mendelssohn) que rapporte Philippe Grisvard, notre pianofortiste, est un véritable roman ; il n’est pas inutile ici de rappeler ou plutôt révéler brièvement son parcours.

Il entre en 1756 (l’année de naissance de Mozart) à la cour de Frédéric II, le roi mélomane et flûtiste virtuose, où il partage son poste pendant presque dix avec Carl Philip Emmanuel Bach. Lorsque la guerre de Sept Ans éclate, peu de temps après son arrivée à Berlin, il parvient à subvenir tant bien que mal à ses besoins en enseignant à des élèves. En 1783, le nouveau Kapellmeister arrive avec une messe à 6 voix d’Orazio Benevoli en poche (sur ce compositeur on pourra lire la chronique de notre confrère dans ces colonnes). Passionné par la splendeur romaine du XVIIe siècle, notre protagoniste en compose une pour le même effectif, mais ne parvient pas à la faire chanter. Par ailleurs, ses conditions matérielles le font sombrer dans la dépression. L’arrivée du nouveau roi Frédéric-Guillaume après le décès de son ancien protecteur offre à Fasch l’occasion d’une véritable renaissance. Pour ce nouveau départ, le compositeur brûle tout ce qui appartient à son passé. En 1789 il trouve une occasion de revanche pour sa messe : il monte un chœur avec une dizaine de chanteurs dilettanti de la haute société qui la fait enfin résonner. De surcroît, il compose d’autres œuvres à plusieurs voix. Les réunions se répètent et mènent à la création de Singakademie, contribuant à instaurer la tradition de chant choral en Allemagne où le niveau était jusqu’alors exécrable. Il introduit dès 1794 un motet de J. S. Bach au répertoire du chœur et fait connaître le Cantor de Leipzig avant même que Mendelssohn ne le « découvre ».

Si sa vie était un reflet d’une époque en pleine mutation, ses partitions témoignent de la mutation stylistique que connaissait alors la musique. Son écriture suggère le clavecin et le pianoforte à la fois (Sonate en fa majeur), révèle un caractère avant-gardiste (Sonate en si bémol mineur), ou au contraire conventionnel (pièces de caractère).

L’interprétation de Philippe Grisvard est, comme à l’accoutumée, remplie d’inventivité. La première pièce du disque, La Hagenmeister, est marquée par une séquence de deux mesures qui se termine par deux accords, formule qui se répète à maintes reprises. Il varie à l’infini la manière de jouer ces accords, conférant à son interprétation une touche d’improvisation. Cette impression d’improvisation revient fréquemment, par exemple dans le deuxième mouvement de la Sonate en ut où on note une belle et élégante fluidité ; dans la Sonate en fa, les trilles et mordants sautillants sont particulièrement plaisants. Notre claviériste sait magnifiquement mettre en avant le caractère très différent d’une pièce à l’autre des quatorze variations de l’Ariette, en renouvelant constamment le propos. Alors que la variation la plus longue ne dure même pas deux minutes, l’invention musicale de Fasch ainsi que l’ « amusement » plein de fraîcheur que Grisvard tire de cette partition sont tout à fait admirables. La simplicité de son jeu va de pair avec celle qui marque la fin de ces variations sans aucune grandiloquence conclusive, ce qui fait l’un des charmes de ce CD.



Publié le 01 déc. 2020 par Victoria Okada