French Sonatas for Harpsichord and Violin - J. Pramsohler & Ph. Grisvard

French Sonatas for Harpsichord and Violin - J. Pramsohler & Ph. Grisvard ©Christian Möhring
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Pour leur troisième album en commun, le violoniste Johannes Pramsohler et le claveciniste Philippe Grisvard s’attèlent à un programme inexploré qui nous réserve une multitude de trésors, de pièces rares. Cinq sonates sur les onze proposées font l’objet de leur premier enregistrement mondial. Le violoniste et son fidèle complice sont coutumiers du fait. Avouons-le, sans détour, ceci pour notre plus grand plaisir…

Enregistré sous le label Audax Records, créé par le violoniste lui-même, le coffret contient deux CD. Le livret qui les accompagne, est rédigé en quatre langues (français, anglais, allemand et japonais). La version japonaise atteste de l’intérêt porté à l’artiste par le peuple nippon.
L’aspect esthétique du coffret répond aux codes souhaités par Johannes Pramsohler. Cette régularité présage une musique précise et précieuse ! La couverture épurée du coffret focalise notre attention sur le nom des compositeurs situés en haut à gauche. Se détachant aisément du blanc immaculé de la pochette, ils apparaissent au premier regard. Nous les découvrirons au cours du commentaire.

Sous le titre French Sonatas for Harpsichord and Violin, l’album sème les graines de notre future écoute. Il nous guide vers le genre musical de la sonate. Plus exactement, l’album recèle des pièces de clavecin en sonates avec accompagnement de violon. Comme nous pouvons le remarquer dans le détail des CD, les compositeurs ont attribué différentes appellations à leurs œuvres : Pièces de clavecin en sonates avec accompagnement de violon, Troisième Livre de Pièces de Clavecin, Sonates pour le clavecin avec accompagnement de violon, Sonates en trio pour clavecin et un violon, etc. Ces diverses dénominations prouvent un fait établi : les sonates pour clavecin avec accompagnement de violon ne constituent pas un nouveau style, mais s’insèrent bel et bien dans celui des pièces pour clavecin.

Le terme sonate provient de l’italien « suonare » (« jouer, sonner »). Il s’agit d’une composition musicale en un ou plusieurs mouvements, pour soliste ou ensemble instrumental. S’opposant à celui de cantate (pièce chantée), la sonate était à l’origine composée pour le violon. Elle répondait à deux genres précis, soit pour un soliste et basse (continuo), soit pour un « trio » : deux solistes et continuo.
L’ « instrumentarium », ensemble des instruments de musique utilisés pour une œuvre, se limitait à un ou deux instruments dit mélodiques (en l’occurrence le violon) et une basse continue exercée par un ou plusieurs instruments graves dits monodiques (viole de gambe, violoncelle, basson) ou harmoniques (luth, théorbe, guitare baroque, orgue ou clavecin dans le présent album).
La sonate se décompose en trois ou quatre voire cinq mouvements alternativement lents et vifs, de durée plus ou moins variable. Les influences italiennes (établies sur trois mouvements) et françaises seront les maîtresses de la sonate.
De coupe binaire, les mouvements reproduisent les rythmes de diverses danses (Gigue, Rondeau Gracieux, …). La coupe binaire s’applique surtout aux grandes pièces instrumentales (symphonie, sonate). La première partie contient l’exposition présentant les deux thèmes (thème « A » et thème « B ») qui seront développés ultérieurement. Un « pont modulant » permet de passer d’un thème à l’autre. Quant à la seconde partie, elle constitue le développement suivi de la réexposition ou de la réexposition-coda.
Les présentes explications se teinteront de clarté lors de l’écoute des deux enregistrements…

Les sonates pour clavecin avec accompagnement de violon soulignent le rôle prépondérant du clavecin. Le clavecin n’occupait, à son origine, qu’un rôle d’accompagnement du chant en lieu et place du luth. Aux XVIIème et XVIIIème siècles, le clavecin connaît un essor fulgurant. Les facteurs et les compositeurs participent au développement de l’instrument face à ce nouvel attrait.
Les facteurs améliorent nettement les qualités techniques et sonores grâce aux registres, aux jeux multiples, aux accouplements, aux accords et aux tempéraments. Les modifications apportées confèrent à l’instrument une richesse insoupçonnable sur le plan harmonique.
Quant aux compositeurs, ils lui offrent un répertoire riche et varié. L’engouement se manifeste d’abord en Italie. Les compositeurs transalpins créent leurs pièces suivant le style appelé communément « italien ». Des noms s’imposent, comme ceux de Girolamo Frescobaldi (1583-1643), Arcangelo Corelli (1653-1713), Domenico Scarlatti (1685-1757) et Antonio Vivaldi (1678-1741), pour ne citer qu’eux.
En France, la « riposte » se fait attendre. Ce n’est qu’à partir de 1715, sous la Régence de Philippe d’Orléans, qu’est insufflé un nouveau précepte selon lequel la musique n’est composée que pour elle-même. Une certaine idée de « pureté » apparaît en perspective. La musique devient un vecteur qui communique des émotions, des sensations voire des idées. Pour André Grétry (1741-1813), « la musique tire ses premiers avantages des beautés poétiques, idéales ou exagérées qu’elle se permet, non sans doute pour être plus vraie, mais pour être musique. », Les mémoires ou essais sur la musique (1797).

Jean-Joseph Cassanéa de Mondonville (1711-1772) est le premier compositeur français, à s’essayer aux sonates pour clavecin avec accompagnement de violon. En 1740, il publie ses Pièces de clavecin en sonates avec accompagnement de violon. Il révolutionne le rapport au clavecin, considéré comme instrument d’accompagnement.
La Sonata I en sol mineur (CD n°1, pistes 01 à 03) s’épanouit dans une luxuriante végétation sonore. La forme employée est celle de la sonate à l’italienne. Elle s’articule autour de trois mouvements, dont l’aria central est plutôt lent.
Le violoniste, Johannes Pramsohler, fait sonner son instrument à la manière cantabile (chantante). La phrase musicale de l’Ouverture (p. 01) brille sous les coups d’archet répondant à l’impulsion legato (liée) ou saltato (sautillée). Le mouvement Grave (p. 01) se dote de couleurs profondes relevées avec brio par les deux musiciens. Soyons attentif au doigté du claveciniste Philippe Grisvard sur le mouvement Allegro concluant la première piste. Dans une série d’accords et de notes arpégées, il vivifie le dialogue. L’argumentation sera reprise dans l’Allegro final (p. 03) où règnent la virtuosité et l’expression.
Sur le CD n°2, la Sonata VI en la majeur (p. 04 à 06) est tout aussi resplendissante notamment grâce à la tonalité La majeur. Saisissons au vol les modulations, les altérations notamment sur le mouvement Larghetto (p. 05). La douleur s’incarne par les plaintes de l’archet en jeu porté (portato : plusieurs notes sont jouées dans un même archet mais en les espaçant). Alors que le clavecin renforce la complainte par ses trilles et ses accords appuyés voire plaqués, le mouvement lancinant nous ceinture, nous immobilise. Rien ne peut troubler l’écoute. Un délice sonore !

Deux ans plus tard, soit en 1742, Michel Corrette (1707-1795) publie ses pièces de clavecin sous un titre légèrement divergent de celui de son prédécesseur. Il les nomme Sonates pour le clavecin avec accompagnement de violon.
Compositeur fécond vu le nombre de pièces écrites pour clavecin, il développe un style se rapprochant, à ses débuts de François Couperin (1668-1733), avec ses suites de danses avec titres. Il s’émancipe et évolue vers sa propre écriture : variations sur des thèmes de concertos, méthode pour toucher le clavecin, sonates pour clavecin avec accompagnement de violon.
Par exemple, la Sonata IV en mi mineur (CD n°1, p. 10 à 12) est conçue sur le style français. Michel Corrette la développe autour d’un vibrant Allegro (p. 10), puis d’un mouvement Affettuoso d’une expressive tendresse (p. 11) et enfin d’un Presto véloce (p. 12). Ni le violon, ni le clavecin ne tiennent le « haut de la portée ». Mis sur un pied d’égalité, le discours musical n’en est que plus fabuleux. Aucune rivalité ne se dégage…

En 1743, c’est autour de Charles-François Clément (ca. 1720-1789) de s’exercer à cette écriture. Il se distingue littéralement de ses prédécesseurs en étant le seul à nommer ses pièces Sonates en trio pour clavecin et un violon.
La Sonata I en do mineur (CD n°2, p. 13 à 15), dont c’est le premier enregistrement mondial, offre un rôle obligé au clavecin sans pour autant effacer le violon, bien présent. Les influences françaises se ressentent. Ne s’inscrit-elle pas dans les six sonates pour clavecin et violon dédiées à Jean-Baptiste-Antoine Forqueray (1699-1782) et à son épouse ?
L’Allegro ma non troppo (p. 13) suit un rythme haletant. Malgré l’éclat du violon, la ligne musicale se teinte d’une relative oppression exprimée par les modulations. L’Aria affettuoso (p. 14) se révèle assez moderne dans son approche faisant front au rayonnant Allegro (p. 15).
Nous y voyons les prémices du mouvement allemand « Sturm und Drang » (« Tempête et passion »), période transitoire entre le siècle des Lumières (Aufklärung) et le Romantisme. La tournure des phrases musicales, énoncées en tonalité mineure, exhalent les sentiments.

Le violoniste Louis-Gabriel Guillemain (1705-1770), quant à lui, reprend en 1745 la terminologie employée par Mondonville, à savoir Pièces de clavecin en sonates avec accompagnement de violon.
Que ce soit la Sonata V en ré majeur (CD n°1, p. 04 à 06), soit la Sonata VI en sol mineur (CD n°1, p. 13 à 15) ou la Sonata IV en do mineur (CD n°2, p. 10 à 12), elles font toutes l’objet du premier enregistrement mondial au disque.
Aux influences italiennes notoires, les trois sonates différent du style de Mondonville. La partie de clavecin requiert une exigence virtuose. Elle fait appel à la pleine possession des registres, des tempéraments mésotoniques et inégaux, des différents jeux. Philippe Grisvard est tout simplement divin. Son complice fait preuve de la même dextérité. Nous sommes fascinés par la complexité du dialogue musical.

Un autre claveciniste s’immisce dans le paysage musical français. En 1747, Luc Marchand (1709-1799) publie, à son tour, son premier recueil : Pièces de clavecin en sonates avec accompagnement de violon. Egalement pour la première fois au disque, la Première suite avec accompagnement de violon en la mineur (CD n°2, p. 01 à 03) fait honneur aux influences françaises. Mais elle s’apparente à la sonate italienne puisqu’elle se divise en trois mouvements.

Une année plus tard, Claude Balbastre (1724-1799) compose la Sonata I en sol majeur (CD n°1, p. 16 à 18) contenue dans ses Pièces de clavecin en sonates avec accompagnement de violon.
Le compositeur joue sur les deux styles : italiens et français. Le mélange favorise la fraîcheur musicale. L’archet racé de Johannes Pramsohler s’empare de l’Aria gratioso (p. 17). Les couleurs, les effets sont d’une rare intensité. Quant au clavecin, il occupe la ligne d’accompagnement ce dont il sort mémorable.

Et c’est en 1756 que Jacques Duphly (1715-1789) publie son Troisième Livre de Pièces de clavecin. Répondant aux noms, en apparence fantasque, de La de Casaubon, La Du Tailly et La de Valmallette (CD n°1, p. 07, 08 et 09) ou de La de May, La Madin (CD n°2, p. 8 et 9), ou, aux noms plus communs tels Rondeau, Grave, Gay. Ces pièces révèlent toutes, sans exception, la virtuosité du compositeur. Elles sonnent comme le testament de l’instrument à cordes pincées qui est appelé à disparaître prochainement au profit du pianoforte, puis du piano.
Notons que les dénominations fantasques, précitées, désignent les amis ou les protecteurs de Duphly.
L’ensemble des pièces affirment le don de mélodiste du compositeur. Duphly excelle dans l’art des ruptures harmoniques qui nous plongent dans un profond émoi. Il s’échappe des lignes précises par de fécondes « approximations ». Nous sommes tenus en haleine de la première à l’ultime note…

Arrivés au terme de l’album, relevons plusieurs points.
Les sonates pour clavecin avec accompagnement de violon s’intègrent entièrement dans les pièces pour clavecin. Elles ne constituent nullement un nouveau genre musical.
Malgré une mixité plus ou moins marquée des styles (italien et français), les compositeurs ne renient en rien leurs identités liées à leur pays d’origine. Les influences françaises marquent l’ensemble des pièces gravées sur l’album.
Nous constatons un parfait équilibre entre les deux instrumentistes. Ni le violon, ni le clavecin n’ont été délaissés, oubliés dans le rôle ingrat d’accompagnement.
Johannes Pramsohler et Philippe Grisvard sont entrés dans un véritable dialogue où chacun tire parti de ces exquises sonates…



Publié le 04 mars 2018 par Jean-Stéphane SOURD DURAND