From Heaven on Earth - Hoffmann

From Heaven on Earth - Hoffmann ©
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« From Heaven on Earth », du paradis sur terre...

Le répertoire de musique baroque écrit pour le luth est immense, et encore en grande partie « inexploré ». Nombreux sont les manuscrits renfermant des pièces « injouées » depuis plus de trois siècles qui méritent d’être sortis de l’oubli du fond des bibliothèques. La découverte du manuscrit d’un certain Ferdinand Fischer, compositeur totalement tombé dans l’oubli, en est l’éclatante démonstration, et découvrir une musique totalement inédite demeure un plaisir rare qu’il convient de ne pas manquer.

Hubert Hoffmann, luthiste attitré de l'ensemble Ars Antiqua Austria et musicien de renom, aime à s’égarer hors des sentiers battus du répertoire « luthistique » pour redonner vie à des œuvres composées et jouées à une époque ou le luth connaissait son âge d’or. Après avoir signé un enregistrement de référence désormais introuvable d’œuvres de Jan Antonin Losy (ou Jan von Losimthal, comte Logy) qui fut le premier entièrement consacré à ce compositeur majeur, Hubert Hoffmann réitère dans sa démarche en ressuscitant ici les compositions oubliées d’un certain Ferdinand Fischer. Les œuvres enregistrées constituent le commencement d’un vaste projet de recherche sur les luth et les tablatures de l’abbaye de Kremsmünster entrepris par Hubert Hoffmann.

Un manuscrit sorti de l’oubli

C’est en visitant l'abbaye bénédictine de Kremsmünster en Haute-Autriche il y a quelques années afin d’ admirer les luths d’époque conservés dans les archives de l'abbaye qu’ Hubert Hoffmann fait une découverte en examinant superficiellement les nombreux manuscrits qui y sont conservés. En effet, son attention est retenue par un manuscrit en particulier, joliment calligraphié, renfermant des pièces qui s’avèrent d’un très grand intérêt musical. Au fil de ses recherches, Il découvre qu’elles émanent d’un certain Ferdinand Fischer, un ecclésiastique retiré dans cette même abbaye au début du 18ème siècle. De plus, il s’avère que l’un des luths d’époque en bois de palissandre daté de 1604, fabriqué par le célèbre facteur Magnus Tieffenbrucker, était l’instrument lui appartenant et sur lequel il jouait !

Après avoir étudié en détail le manuscrit, Hubert Hoffmann constate qu'une grande partie des pièces contenues dans le manuscrit ne se retrouvaient nulle part ailleurs dans les innombrables manuscrits de luth de cette période disséminés de par le monde. Il s’agissait donc bel et bien de pièces composées par Ferdinand Fischer lui même, d’une belle qualité d’écriture dans style très original. Une musique inédite, résolument baroque, composée à la croisée des 17ème et 18 siècles dans un style préfigurant le style baroque germanique tardif de Weiss, Hagen ou Kellner, mais dans lequel pointent par moments des accents très français !

Ferdinand Fischer, prêtre et luthiste

Que sait on de ce Ferdinand Fischer ? Pas grand-chose à vrai dire… Né en 1651 (ou 1652 selon les sources) à Kuchl non loin de Salzbourg, soit 36 ans avant Weiss, il étudia la théologie à Salzbourg avant de devenir prêtre catholique à Linz, et il vécut une partie de sa vie au monastère bénédictin de Kremsmünster en Haute-Autriche. On sait également de lui qu’il fut un maître du luth renommé à son époque, qu’il connaissait parfaitement les compositeurs français pour le luth (Gaultier, Mouton, Gallot) pour les avoir recopiées dans ses manuscrits sans la moindre erreur. Enfin, on peut aisément penser que sa musique l’aidait à adoucir son quotidien dans l’abbaye…


L’abbaye de Kremsmünster

Pour cet enregistrement entièrement consacré à Ferdinand Fischer, intitulé From Heaven on Earth (Du paradis sur terre), Hubert Hoffmann a sélectionné dans le manuscrit trois partitas composées de façon traditionnelle par des suites de danses, en trois tonalités différentes : ré mineur, do majeur et do mineur.

Dans la première partita, après un magnifique prélude non mesuré tout en délicatesse et en retenue dans lequel on décèle d’emblée les influences allemande et française (d’Ennemond Gaultier de toute évidence), se succèdent trois arias, puis une quatrième en plage 6, chacune suivie de son double (la pièce d’origine diminuée) dans lesquelles on peut apprécier d’emblée la qualité d’écriture de Ferdinand Fischer, admirablement servie par le talent d’Hubert Hoffmann. (Diminuer une pièce est un procédé musical qui consiste à insérer un groupe de notes de courte durée dans l'intervalle de deux notes de la mélodie d’origine remplissant l’espace entre ces deux notes. La pratique du « double » en musique baroque, extrêmement courante dans la musique écrite pour le luth, consiste donc à diminuer la pièce originale et la jouer juste à la suite. Il était fréquent à l’époque baroque que des luthistes composent un double sur des pièces déjà existantes, et certaines pièces connues ont un auteur différent pour leur double). La partita s’achève tout en douceur sur une Retirada pleine de sérénité (la Retirada est un mouvement au tempo assez lent qui tient lieu de conclusion à une suite de danses ou une sérénade. On en retrouve notamment dans les œuvres de Biber).

La partita en do majeur qui suit est celle qui caractérise le mieux style de Fischer. Un style d’écriture « hybride », évoluant entre styles français et allemand. Une Chaccogne (orthographe du manuscrit) majestueuse, magnifiquement variée, lui tient lieu de conclusion.

La dernière partita, en do mineur cette fois, est construite comme la première, avec un prélude non mesuré à la française en introduction, et une Retiradaécouter sur Youtube) pour conclure selon la tradition des luthistes autrichiens. L’ Allemande rappelle étonnamment une pièce d’Ennemond Gaultier… et montre une fois de plus comment ces partitions de luth ont pu voyager en cette époque dans toute l’Europe, s’échanger entre musiciens et influencer leur compositions respectives.

Une transcription de la Passacaille de Biber

Mais le plus intéressant demeure la Passacaille (également à écouter sur Youtube), une transcription par Fischer lui même d’une bien célèbre œuvre pour violon de Biber, celle de la Sonate VI du Rosaire. Il s’agit peut-être de la plus belle pièce de l’enregistrement… Dans cette transcription, Ferdinand Fischer a su à merveille conserver l’atmosphère aérienne, quasi méditative propre à cette pièce dont le rendu au luth est étonnant ! Une autre Passacaille transcrite pour le luth, en sol mineur, figurait déjà dans un enregistrement de 2014 consacré au luth baroque à Vienne par le luthiste autrichien Bernhard Hofstötter, dans lequel il fait état d’un manuscrit de l’abbaye de Kremsmünster sans que le nom de Ferdinand Fischer soit mentionné.

A travers ce choix de partitas pour le moins judicieux, Hubert Hoffmann nous offre en quelque sorte un condensé de l’œuvre musicale d’un compositeur quasi inconnu jusqu’à présent. Le jeu parfait d’Hubert Hoffmann sert à merveille cette musique faite de pièces hétérogènes au premier abord, mêlant musique populaire à danser, pièces galantes, réminiscences du style brisé à la française et influences à la fois italienne et germanique. Elle entraîne en douceur l'auditeur vers un autre monde, un « paradis sur terre » pour reprendre le titre de l’album.


Partition du manuscrit original (extrait)

L’enregistrement dont la qualité est quasi parfaite a été réalisé dans un studio en Belgique. Cependant, le réaliser dans l’église abbatiale de Kremsmünster aurait toutefois constitué symboliquement un plus ! Le son ample et profond du luth d’Hubert Hoffmann sublime littéralement cette musique. Dans cet enregistrement, l’artiste a fait le choix de jouer non pas sur une copie d’un luth de Tieffenbrücker similaire à celui sur lequel jouait Ferdinand Fischer, mais sur une copie d'un luth à 11 chœurs d’après Joachim Tielke, luthier contemporain des compositions (concernant le luth à 11 chœurs, se reporter à ma récente chronique). Cet album est sans conteste une bien belle réalisation qui confirme qu'il reste encore bien des trésors à découvrir dans le répertoire du luth à travers les centaines de manuscrits qui sommeillent au fin fond des bibliothèques. La conclusion reviendra à Hubert Hoffmann lui même : « Puisse cette musique, réveillée de siècles de sommeil, émouvoir encore nos cœurs aujourd'hui! ».



Publié le 25 avr. 2021 par Eric Lambert