PORTRAITS DE VIE : Scène de la vie du roi Christian IV- Peter Waldner

PORTRAITS DE VIE : Scène de la vie du roi Christian IV- Peter Waldner ©Mads Kjersgaard & Peter Waldner - Passion Beyond Bach
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Une exceptionnelle triple découverte

Spécialiste de l’œuvre pour clavier de Jean-Sébastien Bach et passionné par le travail sur instruments historiques, Peter Waldner propose de nouvelles pistes de découverte par cet enregistrement PORTRAITS DE VIE : Scène de la vie du roi Christian IV, 8ème de la série du Label Tastenfreuden. Il partage ainsi vingt-quatre œuvres composées autour de 1600, période dans laquelle a été construit l’orgue appelé « Compenius Organ » (1610). Cet instrument exceptionnel est l’œuvre du facteur d’orgue Esaias Compenius et présente la particularité d’être l’un des tous premiers orgues d’importance à être composé entièrement de tuyaux en bois. Plus qu’une curiosité technique, l’orgue de Compenius est un véritable témoin de la vie d’un des plus remarquables rois du Danemark, Christian IV, qui régna de 1588 à 1648, puisqu’il lui fut offert en 1617. Peter Waldner offre donc un programme intelligemment construit, illustrant des moments de la vie du monarque par une œuvre qui a ou aurait pu accompagner la vie publique et privée de ce mélomane. Cette sélection, tout aussi éclectique que cohérente, permet de faire d’une pierre trois coups : Peter Waldner fait premièrement découvrir un beau panel du riche répertoire européen du tout début du XVIIe siècle ; il met également en valeur ce bel instrument qu’est l’orgue de la Chapelle royale du Château de Frederiksborg à Hillerød ; l’organiste invite enfin à connaître un peu davantage et de façon originale Christian IV, monarque important du paysage historique scandinave. Nous pourrions ajouter une quatrième autre belle pépite de cet enregistrement, qui est de (re)découvrir la finesse et l’intelligence de jeu et d’interprétation de l’instrumentiste.

Sous le toucher toujours extrêmement précis et propre de Peter Waldner, l’orgue fait entendre une variété de sonorités très intéressantes, grâce notamment à une utilisation constamment réfléchie. C’est ainsi que l’on peut déjà apprécier la douceur des jeux de flûtes, notamment lors de l’œuvre introductive Puer nobis nascitur du hollandais Jan Peiterszoon Sweelinck (1562-1621), qui illustre la naissance du prince avec tendresse, simplicité et agilité. On peut également apprécier cette tendresse de jeux dans l’œuvre symbolisant l’inauguration de l’orgue dans la Chapelle de Frederiksborg, Gleich wie das Feuer (Comme le feu) de l’allemand Melchior Schildt (1592-1667). En contraste, on est frappé par les sonorités fortes et nasillardes des jeux de cromorne, produisant d’intriguant jeux aux airs très Renaissance à Wer liebt aus streum Herzen (Qui aime de tout son cœur) de Hans Leo Hassler (1564-1612). Les bourdons donnent un air champêtre, voire une impression de railleries, à Malle Sijmen de Sweelinck, qui illustre les fous divertissant la cour. Ces jeux rugueux font également penser aux cors qui donnent toute l’effervescence de la chasse, avec en outre les effets rythmiques qui font penser au trot des chevaux, dans The King’s Hunt (La Chasse du roi) de l’anglais John Bull (1562-1628). L’instrument montre une belle capacité à créer des effets de réponses ou d’échos, pour des figurations efficaces, comme dans l’œuvre précédemment citée, ou plus souvent pour varier et embellir le discours, comme dans Alman : The King’s Jewel de Orlando Gibbons (1583-1625) ou Bull’s Goodnight de John Bull, dans laquelle on entend comme des réminiscences, des rêves dans un rêve.

Mais sans aucun doute, la qualité de l’instrument et des œuvres ne serait possible sans un travail et un talent d’aussi grande qualité de la part de l’interprète. Peter Waldner démontre effectivement un toucher agile, toujours extrêmement clair, à la conscience des différentes voix, à la fois autonomes et interdépendantes les unes aux autres, qui sonnent alors constamment de manière limpide. Malgré une apparence aisée, certaines œuvres ne le sont certainement pas, avec parfois des transitions qui pourraient nous sembler brusques, telle la Batalla de l’espagnol José Ximénez (1601-1672) qui pourtant sont parfaitement amenées par le musicien. Celui-ci démontre une grande connaissance des styles de l’ornementation et les justifie sans faille dans des phrasés conduits avec intelligence. La cohérence de la construction du programme est également manifeste, la gaieté ou l’apparente innocence laissant progressivement place à davantage de lourdeur solennelle pour dépeindre la période de vieillesse puis de mort du monarque. La toute dernière œuvre, Benedicam Domino omni tempore de Robert Johnson (1485-1560), laisse toutefois un peu en suspens, comme si l’on aurait souhaité une musique soit plus majestueuse avec des plein-jeux que l’on n’a évidemment pas entendus (car hors style), soit plus paradisiaque avec des jeux plus doux.

On ne peut être donc que reconnaissant de ce voyage dans l’histoire du Danemark, riche de ses échanges musicaux avec l’Europe grâce à la personnalité remarquable du roi Christian IV. Une invitation originale et intelligente de partir à la découverte de plusieurs pépites en un seul enregistrement que nous offre ainsi l’organiste Peter Waldner. Un CD qui peut être commandé sur le site Peter Waldner



Publié le 05 juil. 2021 par Emmanuel Derœux