Lully's followers in Germany - El Gran Teatro del Mundo

Lully's followers in Germany - El Gran Teatro del Mundo ©Benoît Pelletier
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Les inspirations vives et charmantes de la France du XVIIIe

Repéré en 2018 dans le cadre du projet européen EEMERGING+, l’ensemble El Gran Teatro del Mundo réunit huit jeunes musiciens autour de l’exploration du style musical français aux prémices du XVIIIe siècle. Le label Ambronay Editions lui offre l’opportunité de partager son nouveau projet grâce à l’enregistrement, leur tout premier, dans la collection Jeunes Ensembles. L’auditeur peut ainsi découvrir, non seulement les qualités de cet ensemble – que nous avions déjà découvert lors d’un festival eeemerging à Ambronay et à la Chapelle Saint-André d’Andlau – quatre œuvres de « lullistes » allemands, de compositeurs germaniques ayant admiré la musique française jusqu’à s’en inspirer. Ce programme est d’autant plus intéressant, voire actuel, qu’il met en valeur les liens forts entre les cultures européennes malgré les périodes de guerre qui opposaient les Etats. Conscients que leur musique avait le pouvoir de « préluder à l’harmonie de tant de nations, a l’aymable paix », pour reprendre les mots du compositeur Georg Muffat, ils n’ont vraisemblablement pas hésité à manifester leur fascination pour le noble et splendide style proposé par Jean-Baptiste Lully et répondre également aux goûts de leurs protecteurs et mécènes. C’est ainsi à une aussi belle qu’intéressante exploration du grand théâtre du monde qu’invite l’ensemble bien nommé.

L’enregistrement débute par la Sonata n°2 en sol mineur, également considérée – à juste titre – comme étant un concerto grosso, de Georg Muffat. Celui-ci ayant été élève de Lully et ayant travaillé avec Arcangelo Corelli à Rome, de retour à Passau il lui vient à l’idée de mêler les styles français et italien, prémices de ce que l’on appellera les « Goûts réunis ». L’œuvre ouvre par un mouvement Grave, instaurant une atmosphère toute particulière, sombre et lourde, assez dramatique grâce aux harmonies qui s’enchevêtrent. Les instruments semblent émerger avant de laisser place à un autre, mettant en avant, outre un jeu de plans au sein du groupe, une prise de son recherchée et subtile de Christoph Frommen, proposant également d’efficients effets de stéréophonie. La subtilité se retrouve indéniablement dans les propositions de dynamiques des musiciens, dont la recherche minutieuse de couleurs spécifiques est patente. La gigue allegro qui suit contraste par son aspect farceur par des interruptions soudaines de silence et leurs réponses espiègles. On peut se montrer fort satisfait de la clarté de son de l’ensemble, offrant notamment des moments de belle éloquence lors du Forte e allegro ou de nuances douces sur un fil lors du Grave qui précède l’Aria. Lors de celle-ci, on apprécie que chacun des instrumentistes ait sa place. On peut ainsi entendre très clairement le jeu alerte du continuo basson/ clavecin composé de Claudius Kamp et Julio Cabballero Pérez, qui est également le directeur artistique de l’ensemble. Après une touchante Sarabande, le mouvement Grave est sans doute l’un des plus beaux de l’œuvre. Les violonistes Coline Ormond et Yoko Kawakubo y font entendre une ornementation qui semble facile tant elle est expressivement justifiée. L’expressivité se retrouve également dans ces harmonies qui se mêlent grâce à de langoureux retards. Il est remarquable que, bien que chacun des instruments possédant un timbre dont le caractère lui est propre, ils partagent une direction commune, comme unifiée par le même soin d’un soutien joliment conduit. L’auditeur peut une nouvelle fois être frappé de la prise de son, lui permettant d’entendre les timbres comme mis à nu, sans modification flatteuse. C’est écoute est particulièrement appréciable pour les violons, au son assez brut, débarrassées de toute expressivité inutile, surtout de la main gauche : tout est dans le geste de l’archet, ce qui demande assurance et finesse, surtout dans les moments les plus piani telle la toute fin de ce mouvement. L’œuvre se termine néanmoins par une Borea guillerette et dansante.

Si l’on ne peut être certain que Johann Caspar Ferdinand Fischer ait rencontré Lully, son œuvre ne peut cacher sa connaissance profonde de la tradition musicale française, preuve indéniable avec cette très plaisante Suite n°1 en Do Majeur. Dans les six danses de cette suite, on ressent très fortement l’inspiration lulliste, notamment par ces rythmes pointés avec élégance, ces phrasés aux aspects nobles et vives de la danse, joliment alerte, voire virtuose, dans l’entraînant Air des Combattants. D’ailleurs, le livret de l’enregistrement fait judicieusement remarquer que l’acte I d’Amadis de Lully fait entendre également une marche et un air des combattants fort comparables à ceux de Fischer. On est presque frustré de ne pouvoir profiter plus longuement de la vive danse Rigaudon aux allures pastorales, introduite par les flûtes à bec de Michael Form et Claudius Kamp, avant d’être rejointes par les violons. La Chaconne finale permet à chacun des instrumentistes de s’exprimer avec une certaine délectation pour l’auditeur.

La suite Nobilis Juventus de Muffat fait entendre quelques danses aux couleurs caractéristiques de pays européens : l’Entrée des Espagnols, l’Entrée des Hollandois, la Gigue des Anglois, la Gavotte des Italiens et les Menuets pour les François. Dans cette œuvre, parfois figurale, réunissant les goûts et les nations, l’ensemble y fait entendre les mêmes qualités que précédemment. Toutefois, après la pétillante suite de Fischer et la force mélodique que l’on entendra dans la suite de Telemann, elle paraît davantage montrer une volonté d’une culture européenne harmonieuse. Nommé kapellmeister à la cour de Žary, Georg Philipp Telemann, pour répondre aux goûts de son protecteur, le comte Erdmann von Promnitz, a dû se plonger dans l’étude des partitions de Lully pour s’en inspirer tout en laissant libre cours à son propre génie, et également de son début d’intérêt pour la musique italienne. Sa Suite en mi bémol majeur TWV 55:Es4 fait d’abord entendre une ouverture à la française dont la prestance est offerte par une inventivité mélodique, bien soutenue par un phrasé pertinent. On peut également apprécier l’agilité des réponses et des jeux entres les instruments. On peut être touché de la tendre danse Loure interprétée par le violiste Bruno Hurtado Gosálvez, dont le timbre intime de l’instrument soutient une musicalité sensible. La bourrée II est particulièrement intéressante par sa mélodie sur une note dont la couleur est changée par le continuo. Après une amusante insertion d’une Polonaise, on peut apprécier le Prélude improvisé au clavecin de Julio Cabballero Pérez, serein et phrasé aussi avec sensibilité, avant un Aria du violon tendre et élégamment orné. L’œuvre se termine par de joyeux et vivants Passepieds, jeux musicaux qui ne manque néanmoins pas d’éloquence.

S’inspirer mutuellement pour créer une belle harmonie et ainsi réunir les nations, malgré leur identités propres : voici une belle leçon des compositeurs passés que nous rappelle avec talents El Gran Teatro del Mundo !



Publié le 21 oct. 2021 par Emmanuel Deroeux