Madrigaux - Monteverdi

Madrigaux - Monteverdi ©
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Un héritage Monteverdien

Si l'on parcourt les madrigaux de Claudio Monteverdi (1567-1647), comme pour beaucoup de compositeurs de la même époque, italiens ou non, c'est en fait, tout autant la visite d'un laboratoire de création (dans cette époque, où la musique était en plein bouleversement) qu'un livre de vie que l'on feuillette.

En effet, entre le premier livre (paru à Crémone en 1587) et la publication posthume du neuvième (Venise 1651), Monteverdi aura composé pas moins de 151 madrigaux ! En parallèle, bien évidemment, de toutes les créations du compositeur, plus marquantes les unes que les autres: Orfeo (1607), l'Arianna (1608, mais perdue), les Vespro della Beata Vergine (1610), la Selva Morale e Spirituale (1640), L'Incoronazione di Poppea (1643)... Durant cette période, sa vie également a changé, et bigrement ! Né à Crémone en 1567, il est engagé comme maître de musique de la chambre, à la cour de Vincenzo Ier à Mantoue en 1591 (où le décès de son épouse en 1607 va l'anéantir), puis comme Maître de Chapelle de San Marco à Venise (de 1613 à sa mort), c'est là qu'il est ordonné prêtre en 1632, pour finalement à plus de 75 ans se lancer dans une incroyable carrière de compositeur d'opéra... Bref, l'incarnation de l'énergie, de la créativité. et de la musique avant toute chose. D'ailleurs ses contemporains l'avait surnommé « L'Oracle de la musique » !

Si les enregistrement des madrigaux de Monteverdi sont souvent réalisés livre par livre, il en existe une seule intégrale discographique, celui de la Venexiana (chez Glossa), hautement recommandable ! Certes, d'autres enregistrements sont également superlatifs : Le Concerto Italiano (Naïve, livres 2, 4 et 6), Savall (Alia Vox, livre 8) ou Jacobs (Harmonia Mundi, livre 8), pour ne citer qu'eux.

Dans ce paysage, l'idée de « compilation » du ténor et chef Paul Agnew à la tête de chanteurs et instrumentistes des Arts Florissants, pour le label Harmonia Mundi, est à marquer d'une pierre blanche. Paul Agnew évoque une « autobiographie musicale, la naissance de la musique moderne ». Il s'agit pour le chef, de choisir livre par livre, les madrigaux jugés importants à différents égards : pour la musique, pour le dramatisme, pour l'histoire, ou par simple goût personnel. Enregistrés en trois CD, nouvellement réunis en un coffret, ce travail a nécessité quatre années d'enregistrements (2011-2015), 15 chanteurs, 22 instrumentistes et a donné lieu à un nombre incalculable de concerts dans le monde entier. Le 450ème anniversaire de la naissance de Monteverdi est passé par là et Paul Agnew l'a magnifié à sa façon !

Certes, il est facile de dire que, tel madrigal non enregistré est plus important que tel autre choisi, et nous n'entrerons pas dans cette controverse sans intérêt. Il suffit par contre de noter que chaque CD correspond à une « période monteverdienne importante » (CD 1 : Crémone - livres 1 à 3 -, CD 2 : Mantoue - livres 4 à 6 -, CD 3 : Venise - livres 7 et 8 -), que l'effectif répond à la nouvelle doxa « d'une voix par partie », sauf pour les derniers livres dans lesquels la seconda pratica (en partie créée par Monteverdi) est de mise, et que le livre neuf a été « omis ».

Le CD 1 : Crémone (également le plus ancien pour ce qui est de la captation) est dans son intégralité un bijou. Les cinq voix apparaissent dans leur totale nudité (mais avec six chanteurs alternant pour les trois premiers livres). Il est pour nous, certainement le plus beau. Aucune monotonie, des voix transparentes qui s'enchevêtrent, la grâce incarnée ! Peut-être y a-t-il chez Alessandrini par exemple, pour certains madrigaux, plus de souplesse, mais la plage 1 (Cantai un tempo, & se fu dolc'il canto, Livre 2) suffira pour beaucoup d'auditeurs à rendre définitivement les armes devant une telle interprétation.

Le CD 2 : Mantoue est plus humain, mais assez dramatique, étrange mélange plutôt agréable à l'écoute. Dire que Zefiro torna (CD 2, plage 15) est un chef-d'œuvre magnifié par les interprètes, est une tautologie. On commence à approcher les qualités du dernier Monteverdi (très proche de l'opéra naissant) et la présence des instrumentistes des Arts Flo, est particulièrement précieuse. C'est une vraie osmose entre instruments et voix. La Sestina, rarement donnée, en est un magnifique exemple (plages 16 à 20).

Le troisième et dernier enregistrement (CD 3 : Venise) est celui qui est bien sûr le plus proche de l'opéra de l'époque. Les instrumentistes sont parfaits, et point trop nombreux. On notera uniquement un manque d'italianité de certaines voix, d'une certaine souplesse et donc aussi de théâtralité qui nous a fait défaut. La Lettera amorosa (livre 7, plage 6) en est tout de même le point fort. Dans le Combattimento di Tancredi e Clorinda (livre 8 et plage 11) Paul Agnew ose le testo (c'est-à-dire le récitant) et sa prestation nous a beaucoup émus. Certes il manque certainement un grain de folie et de mordant, mais son investissement et sa qualité vocale sont immenses (alors que ce rôle est souvent confié à des voix usées ou marquées par le temps).

Ce coffret, mûrement réfléchi et organisé, est un compromis parfait pour qui ne peut (ou ne veut) acquérir l'intégrale des madrigaux de Monteverdi et une interprétation de qualité. Les voix, possèdent un beau timbre et les ensembles font montre d'un travail exemplaire, jamais mis en défaut tout au long de ces trois CD.



Publié le 24 févr. 2018 par Robert Sabatier